Les affrontements continus entre groupes armés et forces gouvernementales dans les régions anglophones et de l’Extrême-Nord du Cameroun ont eu de graves conséquences pour les civils, avec une augmentation des cas de meurtres illégaux, d’enlèvements et de raids perpétrés dans des villages au cours du second semestre.
Les violences dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se sont poursuivies pour la sixième année, bien que le président Paul Biya ait déclaré en janvier que de nombreux groupes séparatistes armés s’étaient rendus et que la menace qu’ils représentaient avait été considérablement réduite. En milieu d’année, il y avait plus de 638 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays dans les régions anglophones et au moins 1,7 million ayant besoin d’une aide humanitaire.
Les séparatistes armés, qui ont imposé par la violence un boycott de l’éducation depuis 2017, ont continué d’attaquer les écoles, les élèves et les professionnels de l’éducation. Des attaques contre les infrastructures et le personnel scolaires ont été enregistrées en 2023, dans la continuité des attaques systématiques contre l'éducation menées tout au long de la crise.
Les civils ont fait face à des meurtres et des enlèvements par des groupes islamistes armés dans la région de l’Extrême-Nord, notamment par Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Islamic State in West Africa Province, ISWAP). Entre janvier et juillet, au moins 169 civils sont morts dans des attaques menées par des acteurs non étatiques. Les inondations et pluies torrentielles de début juillet ont détruit les récoltes et entravé plus encore l’accès humanitaire dans une région qui compte 1,6 million de personnes dans le besoin.
L’espace politique demeure fermé alors que le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), a remporté la majorité des sièges contestés au Sénat lors des élections de mars, consolidant ainsi son hégémonie de 40 ans sur le paysage politique du pays. Le RDPC et ses alliés disposent également d’une majorité de 164 députés sur 180 à l’Assemblée nationale.
La liberté d’expression continue d’être restreinte et les journalistes indépendants de courir des risques dans le cadre de l’exercice de leur métier. Trois d’entre eux, dont un éminent journaliste d’investigation, ont été tués en 2023.
Crise anglophone
Au moins 6 000 civils ont été tués par les forces gouvernementales et les combattants séparatistes depuis le début des violences fin 2016. Les civils des régions anglophones continuent d’être victimes d’abus de la part de multiples acteurs impliqués dans la crise, y compris des violences sexuelles basées sur le genre.
Abus commis par les forces gouvernementales
Les forces gouvernementales ont répondu aux attaques séparatistes par des opérations anti-insurrectionnelles qui, souvent, ne sont pas parvenu à protéger les civils. Dans certains cas, comme à l’extérieur de Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, en juillet, il est possible que des victimes aient été tuées alors qu’elles fuyaient des combats. Il est également possible que des raids militaires abusifs et des meurtres de civils aient été perpétrés contre des individus soupçonnés d’être des séparatistes ou en représailles à des attaques lancées contre des positions de l’armée.
Abus perpétrés par les séparatistes armés
Les combattants séparatistes ont continué de prendre pour cible les civils, les forçant à rester chez eux et menant des attaques à l’occasion d’événements majeurs, y compris pendant une course annuelle et les élections ou lors de la réouverture des écoles début septembre.
Après l’annonce par Paul Biya de la tenue d’élections sénatoriales en mars, plusieurs groupes séparatistes ont menacé quiconque annoncerait son intention de participer et tué, entre autres, un responsable électoral le 18 janvier. Le 5 février, Honourine Wainachi Nentoh, membre du parlement appartenant à un parti d’opposition, le Front social-démocrate (Social Democratic Front, SDF), a été enlevée par des séparatistes armés qui auraient exigé une rançon en échange de sa libération. Elle a été remise en liberté quelques jours plus tard.
Le 20 mai, plus de 30 femmes ont été enlevées par des séparatistes dans un village du Nord-Ouest après avoir protesté contre des taxes illégales imposées par des groupes armés. Un porte-parole du gouvernement a déclaré que certaines avaient été torturées.
Dans la nuit du 16 au 17 juillet, des individus non identifiés et soupçonnés d’être des séparatistes ont tué au moins 10 civils à Bamenda. Les assaillants, qui portaient des uniformes militaires, auraient ouvert le feu dans un bar après avoir accusé les locaux de ne pas soutenir les séparatistes.
Le 11 août, des séparatistes auraient attaqué le village de Kekukesim, tuant au moins quatre civils, dont le chef du village, et incendiant des habitations.
Des combattants séparatistes ont perturbé la rentrée scolaire 2023, prévue le 4 septembre, en imposant un boycott des écoles. Le 7 septembre, quelques jours après la réouverture des écoles, au moins trois civils ont été tués dans le Sud-Ouest, dans un assaut imputé aux séparatistes, qui ont tiré sur les passagers de voitures et incendié des véhicules. Selon l’ONU, au moins 2 245 écoles ne fonctionnent pas dans les régions anglophones en raison des attaques et des menaces des séparatistes armés.
Attaques dans l’Extrême-Nord
Dans la région de l’Extrême-Nord, Boko Haram et ISWAP ont attaqué des civils, se livrant à des meurtres, des enlèvements et des pillages. Par le passé, les forces gouvernementales ont également commis de graves exactions dans le cadre de leur réponse brutale aux attaques.
Depuis janvier, 246 attaques ont été signalées, causant la mort de 169 civils, la plupart dans des attaques perpétrées par des groupes islamistes.
Espace civique et démocratie
En novembre 2022, le gouvernement camerounais et ses partisans ont organisé des événements dans le pays pour célébrer les 40 ans au pouvoir du président Paul Biya.
Le 12 mars, des élections sénatoriales se sont tenues. Le Code électoral prévoit que 70 sénateurs sur 100 doivent être élus par un collège électoral composé de conseillers régionaux et municipaux, tandis que le président en nomme 30 autres. Bien que 10 partis politiques aient participé aux élections, le parti au pouvoir a remporté les 70 sièges. Le 31 mars, le président Paul Biya a ensuite nommé 30 autres sénateurs, dont cinq issus de l’opposition, consolidant davantage l’emprise du RDPC.
Les partis d’opposition ont affirmé que les élections ont été entachées d’irrégularités, accusant le parti au pouvoir de Paul Biya d’avoir acheté des voix. Trois formations politiques ont déposé une plainte auprès du Conseil constitutionnel, demandant un nouveau vote ou une réorganisation partielle du vote dans le centre du pays, invoquant des fraudes et un manque de transparence. La plainte a été rejetée le 21 mars par le Conseil.
Dans les jours qui ont précédé les élections, l’armée a déclaré que des séparatistes avaient lancé une attaque contre des véhicules militaires dans le but de perturber le vote dans les régions anglophones.
Le 7 mai, le chef du parti d’opposition Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, a tenu le premier meeting politique du parti à Yaoundé, la capitale, depuis l’élection présidentielle de 2018. Le MRC n’avait pas été autorisé à organiser de meeting dans la capitale depuis la réélection de Paul Biya pour un septième mandat il y a cinq ans.
Des opposants du MRC arrêtés en 2020 après avoir participé à des manifestations pacifiques et exercé leur droit à la liberté de réunion étaient toujours en détention. Parmi eux figuraient le trésorier du parti Alain Fogue Tedom et le porte-parole de Maurice Kamto, Olivier Bibou Nissack.
Le 12 juin, l’éminent opposant anglophone et leader du SDF, John Fru Ndi, est décédé. Des centaines de personnes ont assisté à ses funérailles dans un village à 18 kilomètres de Bamenda pour rendre hommage à celui qui était perçu comme une figure historique de l’opposition dans le pays.
Libertés d’expression et des médias
2023 a été une année sombre pour les libertés des médias au Cameroun, où plusieurs journalistes ont été tués dans des circonstances troubles.
Le 22 janvier, le corps de Martinez Zogo a été retrouvé dans la banlieue de Yaoundé, présentant des signes indiquant qu’il aurait subi de graves tortures. Martinez Zogo était un éminent journaliste d’investigation et le directeur d’une station de radio qui dénonçait régulièrement la corruption. Dans les semaines qui ont précédé son assassinat, il avait fait état à l’antenne d’un cas de détournement de fonds présumé impliquant un média appartenant à l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga.
Jean-Pierre Amougou Belinga a été arrêté le 6 février et inculpé le 4 mars pour complicité d’enlèvement et de torture sur la base des déclarations faites par le lieutenant-colonel Justin Danwe, ancien chef des opérations de l’agence de contre-espionnage camerounaise. Justin Danwe a avoué en garde à vue avoir organisé l’opération menée pour enlever Martinez Zogo et identifié Belinga comme le commanditaire.
Le 2 février, Jean-Jacques Ola Bebe, prêtre orthodoxe et animateur radio, a été retrouvé mort à Yaoundé. Jean-Jacques Ola Bebe, qui fut un ardent défenseur de la justice pour le meurtre de Martinez Zogo, commentait régulièrement les questions d’actualité, notamment la corruption, en tant qu’invité sur des stations locales.
Anye Nde Nsoh, chef du bureau d’un journal hebdomadaire à Bamenda, a été tué dans une attaque perpétrée par des séparatistes le 7 mai. Le gouvernement a annoncé l’ouverture d’une enquête. Capo Daniel, chef d’un groupe séparatiste, a admis dans une déclaration vidéo que Anye Nde Nsoh avait été tué par l’un des combattants de son groupe à la suite d’une erreur d’identification. Aucune responsabilité n’a été établie pour le meurtre d’Anye Nde Nsoh.
Le 12 septembre, le gouverneur de la région du Sud-Ouest a interdit le journal The Post après la publication d’un article sur la possibilité d’un coup d’État militaire au Cameroun. Le titre a pu reprendre sa publication le 18 octobre.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le code pénal camerounais punit « toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe » d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.
La visite de l’ambassadeur français pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuels, et des transgenres (LGBT), Jean-Marc Berthon, prévue le 27 juin afin qu’il assiste à un événement sur le genre et la sexualité organisé par l’Institut français de Yaoundé, s’est heurtée aux objections de autorités camerounaises. L’évènement a déclenché une vague de haine en ligne contre les minorités sexuelles du pays et la visite de Jean-Marc Berthon a été annulée.
Obligation de rendre des comptes et justice
Les audiences tenues dans le cadre du procès de trois membres des forces de sécurité accusés d’être impliqués dans un massacre ayant eu lieu dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, ont été reportées à plusieurs reprises. Le procès se déroule devant un tribunal militaire à Yaoundé, à environ 380 kilomètres du village, ce qui rend la venue des victimes difficile. Les accusés sont jugés pour meurtre, incendie criminel, destructions et désobéissance aux ordres.
Bien que l’ouverture du procès, qui a fait suite à des pressions internationales, ait représenté une avancée positive pour la justice au Cameroun, sa lenteur et ses irrégularités de procédure ont semé le doute quant à la volonté du gouvernement de remédier à l’impunité pour les abus commis par les forces de l’État.
Principaux acteurs internationaux
La mort des journalistes Martinez Zogo et Jean-Jacques Ola Bebe a suscité de vigoureuses condamnations au Cameroun et à l’étranger, notamment de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui ont appelé le gouvernement à ouvrir une enquête indépendante et efficace sur les meurtres.
Le 20 janvier, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a annoncé que le gouvernement camerounais et les séparatistes anglophones avaient convenu d’entamer des négociations en vue d’une résolution pacifique de la crise. Bien que plusieurs chefs séparatistes se soient engagés à y participer, le 24 janvier, les autorités camerounaises ont publiquement désavoué l’initiative du Canada, affirmant qu’elles n’avaient mandaté aucune tierce partie pour faciliter un processus de paix. Ce déni public a été une surprise puisque Yaoundé avait initialement pris part aux négociations organisées sous l’égide du Canada, réduisant un peu plus les espoirs d’une résolution pacifique de la crise.