La situation des droits humains en Afghanistan a continué d’empirer en 2023, les talibans ayant commis d’innombrables violations des droits humains ciblant en particulier les femmes et les filles. L’Afghanistan est resté le seul pays où les femmes et les filles n’ont pas accès aux enseignements secondaire et supérieur et n’ont pas le droit d’occuper la plupart des emplois au sein d’organisations non gouvernementales internationales (ONG) et des Nations Unies (excepté dans les domaines de la santé, de la nutrition et de l’éducation primaire). Les femmes ont également rencontré des obstacles importants à leur liberté de circulation et d’expression. Pour Human Rights Watch, les atteintes répétées aux droits des femmes et des filles en Afghanistan s’apparentent à de la persécution sexiste, ce qui constitue un crime contre l’humanité.
Les autorités talibanes ont accentué la répression des médias locaux et de la liberté d’expression et procédé à davantage de détentions arbitraires de journalistes, de défenseurs des droits humains et de militants de la société civile, notamment de manifestantes. Les forces talibanes ont arrêté et exécuté des membres du personnel de sécurité de l’ancien gouvernement. Le 22 août 2023, les Nations Unies ont indiqué que depuis août 2021, les forces talibanes étaient responsables d’au moins 800 exécutions extrajudiciaires et arrestations et détentions arbitraires, de plus de 144 cas de torture et de traitement brutal, de 218 décès extrajudiciaires et de 14 disparitions forcées concernant des membres du personnel et des forces de sécurité de l’ancien gouvernement.
Plus de 28 millions de personnes, soit presque deux tiers de la population, avaient besoin d’une aide humanitaire en Afghanistan en 2023, une question de survie pour 14,7 millions d’entre elles, ce qui en fait l’une des pires crises humanitaires de la planète. Les Nations Unies ont indiqué qu’à la mi-2023, quatre millions d’Afghanes et d’Afghans étaient en situation de malnutrition aiguë, dont 3,2 millions d’enfants de moins de cinq ans. Le retrait de la majorité de l’aide extérieure depuis août 2021, l’insuffisance de l’aide humanitaire en 2023 et une sécheresse longue de plusieurs années aggravée par les changements climatiques sont les principales causes de la crise humanitaire.
Depuis le 24 décembre 2022, l’interdiction faite aux femmes de travailler pour des ONG locales et internationales, excepté dans les domaines de la santé, de la nutrition et de l’éducation, prive de nombreuses femmes de leurs moyens de subsistance. Cette interdiction a aggravé la crise humanitaire, car elle perturbe l’acheminement de l’aide jusqu’aux femmes et aux filles ainsi que l’évaluation et le suivi des besoins humanitaires de ces dernières, pour qui il est généralement plus difficile d’accéder à l’aide alimentaire et au reste de l’aide humanitaire.
Le Code pénal afghan érige en infraction les relations sexuelles entre personnes du même sexe et les talibans ont maintenu la ligne du gouvernement précédent en ce qui concerne la criminalisation des relations homosexuelles, plusieurs responsables s’engageant notamment à punir les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, obligeant beaucoup d’entre elles à vivre cachées.
Le nombre d’attaques du groupe État islamique de la province de Khorasan (EI-K), la branche afghane du groupe État islamique, a diminué, mais plusieurs attentats à la bombe et aux engins explosifs improvisés ont causé la mort de civils.
Droits des femmes et des filles
Les talibans ont imposé et mis en œuvre des décisions et des politiques empêchant complètement les femmes et les filles d’exercer leurs droits fondamentaux, notamment la liberté de réunion et de circulation et le droit au travail et à l’éducation. Ces décisions portent également atteinte à d’autres droits, tels que les droits à la vie et aux moyens de subsistance ainsi que l’accès aux soins, à l’alimentation et à l’eau. En plus d’exclure les femmes de la plupart des emplois au sein des Nations Unies ou d’ONG internationales, les autorités talibanes avaient déjà interdit aux femmes de travailler dans le secteur public ou d’occuper des postes à haute responsabilité au sein des institutions centrales et provinciales. La plupart des femmes ayant travaillé pour l’ancien gouvernement n’ont pas retrouvé leur emploi.
Dans la majorité des provinces afghanes, les autorités ont également établi une réglementation interdisant aux femmes de voyager ou de sortir de chez elles sans être accompagnées d’un homme de leur famille, y compris pour aller travailler. Dans la plupart des lieux, les femmes doivent porter un hijab intégral et dissimuler leur visage en public.
Les actes des autorités talibanes en 2023 suggèrent que la répression s’accroît, en témoignent par exemple le refus d’autoriser 63 femmes bénéficiaires d’une bourse à aller étudier aux Émirats arabes unis, la fermeture de tous les salons de beauté engendrant la destruction de 60 000 emplois occupés par des femmes, et la décision d’interdire aux femmes de se rendre dans le parc national de Band-e-Amir.
Les forces de sécurité talibanes ont fait un usage excessif de la force pour disperser des femmes qui manifestaient contre la politique des talibans et ont procédé à l’arrestation arbitraire de plusieurs manifestantes, les gardant en détention de quelques heures à plusieurs jours. Les membres de la famille de certaines de ces femmes ont également été arrêtés. Dans certains cas, les femmes arrêtées et les membres de leurs familles ont subi des tortures. Neda Parwani et Zholia Parsi, emmenées par les talibans en septembre, font partie des manifestantes arrêtées en 2023.
Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan et le Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles se sont rendus en Afghanistan en avril et mai. Ils ont présenté un rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies au mois de juin décrivant la discrimination généralisée et systématique que subissent les femmes et les filles en Afghanistan, concluant qu’il s’agissait « d’une persécution sexiste et d’un cadre institutionnalisé d’apartheid sexiste. »
Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et torture
Les forces talibanes ont perpétré des meurtres par représailles et ont fait disparaître des responsables de l’ancien gouvernement et des membres des anciennes forces de sécurité. Dans un rapport publié en août 2023, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) fait état de 218 exécutions extrajudiciaires, 14 disparitions forcées et plus de 144 cas de torture et de mauvais traitement de personnes en détention depuis août 2021. Dans un rapport du mois de septembre, la MANUA décrit la torture systématique des personnes en détention, en particulier par la Direction générale du renseignement, le service de renseignements taliban, évoquant des méthodes telles que le simulacre de noyade. La MANUA a rapporté la flagellation publique d’au moins 34 hommes, 8 femmes et 2 garçons pour des infractions liées à la drogue, aux jeux d’argent et à des « crimes moraux » depuis août 2021.
Attaques contre les journalistes et les médias
Les autorités talibanes ont imposé une censure rigoureuse et fait usage de la force contre des médias afghans et des journalistes à Kaboul et dans les différentes provinces du pays. Des centaines de médias ont été fermés et la plupart des femmes travaillant pour des médias en Afghanistan ont perdu leur emploi. Les correspondants étrangers souhaitant venir faire un reportage en Afghanistan font également face à des restrictions importantes pour obtenir un visa et beaucoup de journalistes du pays vivent désormais en exil pour des raisons de sécurité.
Les arrestations arbitraires de membres du personnel de médias ont augmenté en 2023. Le 13 août, les talibans ont arrêté Ataullah Omar, journaliste pour Tolo News, l’accusant de collaborer avec des médias opérant depuis l’étranger. Le 10 août, Faqir Mohammad Faqirzai, responsable de Kilid Radio, et Jan Agha Saleh, reporter, ont été arrêtés par la Direction générale du renseignement taliban. Le même jour, Hasib Hassas, reporter pour Salam Watandar, a été arrêté à Kunduz. Ces trois journalistes ont été libérés quelques jours plus tard. Les autorités talibanes donnent rarement des informations sur le motif de ces arrestations et ne précisent quasiment jamais si les personnes détenues seront poursuivies en justice. L’accès à un avocat est limité pour les personnes en détention et les familles n’ont généralement pas le droit de leur rendre visite. Le 5 janvier, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi a été arrêté. Il a été libéré le 18 octobre sans aucun motif d’inculpation connu.
Attaques contre les militants de la société civile
Les talibans ont également continué de réprimer les militants de la société civile. Le 2 février, les talibans ont arrêté Ismail Mashal, un professeur d’université qui avait publiquement protesté contre la décision des talibans d’interdire aux femmes l’accès à l’université. Le 27 mars, la Direction générale du renseignement a arrêté Matiullah Wesa, défenseur de l’éducation et fondateur de Penpath, une organisation qui défend l’éducation en Afghanistan, ainsi que plusieurs membres de sa famille. Il a été libéré le 26 octobre sans aucune inculpation.
Après la fermeture des salons de beauté par les autorités talibanes le 19 juillet, les forces de sécurité ont utilisé des canons à eau et tiré des coups de feu en l’air pour disperser une manifestation pacifique réunissant des propriétaires et des membres du personnel de salons. Quatre manifestantes auraient alors été arrêtées avant d’être libérées plus tard dans la journée. Les talibans ont arrêté des dizaines de personnes manifestant en faveur des droits des femmes dans le pays en 2023.
Crises économique et humanitaire
En 2023, le nombre d’Afghanes et d’Afghans ayant besoin d’une aide humanitaire a atteint un niveau sans précédent. Selon le Plan de réponse humanitaire des Nations Unies pour l’Afghanistan pour 2023, la malnutrition aiguë concerne plus de quatre millions de personnes, dont plus de 840 000 femmes enceintes et allaitantes et plus de trois millions d’enfants. Six millions de personnes devaient être en situation d’insécurité alimentaire extrême à la fin de l’année, les rapprochant dangereusement de la famine. La perte de millions d’emplois depuis août 2021, le retrait de la majorité de l’aide extérieure et une sécheresse de plusieurs années sont les principales raisons pour lesquelles les Afghanes et Afghans ne peuvent pas acheter suffisamment de nourriture pour nourrir leurs familles.
L’interdiction faite aux femmes afghanes de travailler pour les ONG humanitaires internationales et les Nations Unies a aggravé la crise et a restreint la capacité opérationnelle des organisations d’aide humanitaire, engendrant des conséquences à long terme pour toutes les personnes dans le besoin, en particulier dans les foyers dirigés par une femme. Selon les estimations du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, 48 % des foyers dirigés par une femme affichent un score de consommation alimentaire faible, contre 39 % des foyers dirigés par un homme.
Les restrictions imposées par les talibans ciblant les droits de femmes font partie des facteurs ayant influencé la décision de certains bailleurs de fonds de suspendre l’aide humanitaire, ce qui a généré un déficit de financement alarmant. Les Nations Unies ont demandé 3,26 milliards de dollars américains afin de financer l’aide humanitaire pour l’Afghanistan en 2023, mais en novembre, moins de 25 % de cette somme avaient été mobilisés. Des ONG afghanes et internationales affirment que ce déficit de financement est la principale cause de l’arrêt des programmes d’aide. Fin 2023, plusieurs organisations fournissant des soins de santé étaient soit en train de fermer des centres de soin et des hôpitaux, soit en train de retirer leur appui à ces derniers par manque de ressources.
Attaques contre la population
Le 12 janvier, EI-K a revendiqué un attentat-suicide ayant visé le ministère des Affaires étrangères à Kaboul qui a tué 33 personnes, dont beaucoup des civils, et blessé au moins 45 personnes. Le 6 juin, une attaque à la voiture piégée a causé la mort du gouverneur taliban de la province de Badakhchan et le 8 juin, un attentat-suicide durant les funérailles de la victime a fait 9 morts et 37 blessés, tous des civils. Le 7 novembre, l’explosion d’un minibus a causé la mort de 7 personnes et en a blessé 20 supplémentaires appartenant à la communauté hazara. L’attaque s’est produite à Dasht-e Barchi, un quartier de Kaboul majoritairement chiite hazara qui a été la cible de nombreuses attaques d’EI-K.
Principaux acteurs internationaux
En mars 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prorogé le mandat de la MANUA, notamment son rôle concernant l’établissement de rapports sur la situation des droits humains. Il a également été demandé au Secrétaire général de « procéder à une évaluation intégrée et indépendante […] et de la présenter intégralement au Conseil de sécurité au plus tard le 17 novembre 2023, après avoir consulté tous les acteurs politiques et parties prenantes concernés en Afghanistan, y compris les autorités compétentes, les femmes afghanes et la société civile, ainsi que la région et l’ensemble de la communauté internationale ». L’ancien Représentant permanent de la Türkiye auprès des Nations Unies Feridun Sinirlioğlu a été nommé pour diriger cette évaluation. Human Rights Watch et d’autres organisations ont souligné que cette évaluation devrait porter en priorité sur les droits des femmes et des filles.
En octobre, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève a renouvelé et renforcé le mandat du Rapporteur spécial sur l’Afghanistan.
Le 21 décembre 2022, l’Allemagne, l’Australie, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse et l’Union européenne ont publié une déclaration commune condamnant l’interdiction faite aux femmes d’accéder à l’université. Le 1er février 2023, le Département d’État américain a annoncé de nouvelles restrictions de voyage à l’encontre de plusieurs responsables talibans en réaction à la décision d’interdire aux femmes l’accès à l’université et à la plupart des emplois au sein des ONG internationales.
En Australie, le Bureau de l’enquêteur spécial (Office of the Special Investigator) a inculpé un ancien soldat des forces spéciales soupçonné d’avoir exécuté un civil afghan pour crime de guerre, la première d’une série d’inculpations dans le cadre de l’enquête en cours sur les exactions de membres de l’armée australienne contre la population afghane et des combattants capturés en Afghanistan.
Après avoir obtenu une autorisation de la chambre préliminaire en novembre 2022, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale a repris son enquête concernant des crimes présumés commis en Afghanistan, se concentrant sur ceux perpétrés par les talibans et EI-K tout en retirant la priorité aux crimes présumés des forces américaines et des forces de l’ancien gouvernement afghan.
Le 5 avril, les Nations Unies ont publié une déclaration condamnant la décision des talibans d’interdire aux femmes afghanes de travailler pour les Nations Unies. L’Union européenne et de nombreux pays ont publié des déclarations similaires pour condamner cette décision.