(New York, le 20 octobre 2022) – Trois femmes afghanes détenues pour avoir protesté contre les abus des talibans ont décrit la torture et d’autres formes graves de mauvais traitements auxquels elles ont été soumises pendant leur détention, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les femmes ont déclaré avoir été détenues à tort avec leurs familles, y compris des enfants en bas âge. Elles ont subi des menaces, des passages à tabac et des conditions d’enfermement dangereuses ; leurs droits à une procédure régulière n’ont pas été respectés et elles ont enduré des conditions abusives de remise en liberté, parmi d’autres exactions. Les autorités ont agressé leurs proches de sexe masculin qui étaient aussi détenus, et dont certains ont subi des chocs électriques. La description par ces femmes de ce qu’elles ont vécu met en lumière le traitement de manifestantes détenues par les talibans, et les efforts déployés par ceux-ci pour réduire au silence le mouvement de protestation.
« Il est difficile de surestimer l’incroyable bravoure de ces femmes et des autres Afghanes qui protestent contre les abus des talibans », a déclaré Heather Barr, Directrice adjointe de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Leurs témoignages montrent à quel point les talibans se sentent menacés par leurs activités, et jusqu’où ils sont prêts à aller pour tenter de les faire taire. »
En février 2022, les talibans ont procédé à l’arrestation arbitraire de ces trois femmes, lors d’une descente effectuée dans une maison utilisée comme lieu de refuge à Kaboul. Les autorités talibanes ont ensuite détenu ces femmes et des membres de leurs familles pendant plusieurs semaines dans des locaux du ministère de l’Intérieur ; il s’agissait apparemment de représailles pour avoir aidé à planifier des manifestations pour les droits des femmes, et y avoir participé. Ces trois femmes ont réussi à fuir le pays après leur libération.
Après avoir pris le contrôle de l’Afghanistan le 15 août 2021, les talibans ont immédiatement pris des mesures visant à faire reculer les droits des femmes et des filles. Des femmes ont commencé à protester dans les rues dès la première semaine de pouvoir des talibans, malgré les risques graves qu’elles encouraient en agissant ainsi. Début septembre 2021, des manifestations dirigées par des femmes étaient organisées dans la province d’Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan, avant de se répandre rapidement dans plusieurs autres provinces.
La réponse des talibans a été brutale dès le début : des manifestantes ont été passées à tabac, les manifestations ont été perturbées et des journalistes qui couvraient ces manifestations ont été détenus et torturés. Les talibans ont également interdit les manifestations non autorisées. Progressivement, les ripostes abusives des talibans se sont intensifiées, à l’instar de leur réaction particulièrement brutale à la manifestation du 16 janvier à Kaboul, lorsque des talibans ont menacé, intimidé et agressé physiquement plusieurs manifestantes, en utilisant du gaz lacrymogène et des appareils à chocs électriques.
Quelques jours plus tard, les talibans ont mené des raids dans le but de détenir arbitrairement plusieurs femmes qui avaient participé à des manifestations. Le Washington Post a documenté l’arrestation par les talibans de 24 militantes des droits des femmes, ainsi que des membres de leurs familles dans certains cas, en janvier et en février.
Tamana Paryani, l’une des premières manifestantes à avoir été placée en détention arbitraire sous le régime taliban, s’est filmée alors que les talibans faisaient irruption chez elle la nuit pour venir la chercher, puis a rapidement publié la vidéo sur les réseaux sociaux. Les femmes interrogées ont déclaré que l’enlèvement de Tamana Paryani avait suscité une vague de terreur chez les autres manifestantes, conduisant un grand nombre d’entre elles à se réfugier dans la clandestinité.
« Je ne les connaissais pas très bien, mais à ce moment-là, j’ai commencé à avoir peur », a déclaré une femme, faisant allusion à Tamana Paryani et à une autre femme arrêtée cette nuit-là. « Je me réveillais la nuit, et tout mon corps tremblait... Nous avions vraiment peur. Nous savions que nous serions arrêtées. » Une autre femme a déclaré que sa famille et ses amis l’avaient exhortée de manière répétée à fuir le pays, mais qu’elle avait refusé : « Je voulais rester et lutter ».
Les trois femmes ont décrit comment, au début, elles ont été détenues pendant cinq jours dans une unique pièce exiguë à la chaleur étouffante, où se trouvaient 21 femmes et 7 enfants au total, quasiment sans aucune nourriture, ni eau, ni accès aux toilettes. Les talibans les ont détenues pendant plusieurs semaines et les ont interrogées de manière abusive, sans leur donner accès à un avocat et en les privant d’autres droits à une procédure régulière. Ils les ont aussi forcées à faire des aveux et ont gravement torturé les hommes qui les accompagnaient.
Les talibans ont contraint les familles des trois femmes à leur remettre les titres de propriété originaux de leurs biens en guise de rançon pour leur libération, en menaçant de les confisquer si les femmes s’attiraient à nouveau des ennuis.
Les talibans devraient immédiatement libérer toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et à manifester pacifiquement. Ils devraient respecter les droits de tous à se réunir pacifiquement et à s’exprimer librement, y compris ceux des journalistes couvrant les manifestations. Ils devraient mettre fin à toute forme de détention arbitraire et garantir le respect des procédures, notamment en inculpant rapidement les suspects en détention en les faisant comparaître devant un juge indépendant et en leur fournissant un accès immédiat à un avocat.
La détention de tout individu par les talibans devrait être légale et en accord avec l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Toute personne responsable de torture ou d’autres mauvais traitements devrait faire l’objet d’une enquête impartiale et être poursuivie de manière appropriée.
Les gouvernements qui dialoguent avec les talibans devraient les presser de se conformer aux obligations de l’Afghanistan au regard du droit international, notamment de respecter la liberté d’expression et de réunion, de garantir des procédures régulières et de prévenir la torture et autres mauvais traitements. Ils devraient augmenter le nombre de places réservées aux réfugiés afghans pour leur réinstallation sur leur territoire et donner la priorité à la réinstallation aux défenseurs des droits des femmes qui sont particulièrement menacés en raison de leur activisme actuel.
Les gouvernements devraient également mettre en place et maintenir des voies complémentaires et plus généreuses qui permettent une migration sûre, légale et organisée. Les Nations Unies et les gouvernements concernés devraient faire progresser leurs efforts pour que les responsables des violations des droits humains en Afghanistan, et notamment les responsables des attaques contre les manifestant-e-s pour cherchant à défendre les droits des femmes, aient à répondre de leurs actes, par exemple en créant un nouveau mécanisme de responsabilisation mandaté par les Nations Unies pour enquêter sur les abus et recueillir les preuves de ces abus.
« Les femmes et les filles afghanes sont confrontées à certaines des conséquences les plus dures du régime taliban, et mènent un difficile combat pour protéger les droits en Afghanistan », a déclaré Heather Barr. « Malheureusement, leurs appels lancés à la communauté internationale dans l’espoir d’un soutien renforcé n’ont toujours pas été entendus. »
Suite en anglais, avec des informations plus détaillées :
www.hrw.org/news/2022/10/20/afghanistan-women-protesters-detail-taliban
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