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Mali

Événements de 2022

Le dernier convoi français de l'opération Barkhane quitte Gossi, au Mali, le 18 avril 2022.

© 2022 REUTERS/Paul Lorgerie

En 2022, la situation des droits humains au Mali s’est gravement détériorée, les attaques de civils perpétrées par les groupes armés islamistes et les meurtres de suspects par les forces progouvernementales lors d’opérations de lutte contre le terrorisme s’étant multipliés. Le gouvernement a durci sa répression à l’encontre des médias et des voix de l’opposition, réduisant ainsi l’espace civique. Les exactions se sont multipliées dans un contexte marqué par une crise politique permanente et des tensions significatives avec les partenaires diplomatiques du Mali, attribuables à la décision du pays d’employer le groupe Wagner, une société privée de sécurité militaire qui entretiendrait des liens avec le gouvernement russe.

Le gouvernement de transition qui est arrivé au pouvoir à l’issue d’un coup d’État en 2021—le second coup d’État militaire en moins d’un an—a compromis les efforts d’enquête sur les allégations croissantes d’atrocités commises par des acteurs de l’État. L’impunité pour les exactions passées et actuelles perpétrées par tous les groupes armés a persisté.

Peu de progrès ont été réalisés au regard du rétablissement de l’autorité et des services de l’État, y compris du système judiciaire. La situation humanitaire s’est aggravée du fait d’une pénurie alimentaire mondiale, des répercussions du changement climatique et, pendant une partie de l’année, de sanctions économiques régionales résultant de la crise politique. Le nombre de déplacés internes a augmenté par rapport à 2021, atteignant désormais plus de 422 000 individus.

La décision d’engager le groupe Wagner, et les allégations de plus en plus nombreuses d’exécutions sommaires et autres exactions commises par ce groupe, ont accru les tensions avec d’autres partenaires militaires, notamment la France, qui, en août, a mis fin à une opération militaire en place au Mali depuis une décennie. De même, les relations du Mali avec les Nations Unies et ses voisins d’Afrique de l’Ouest se sont détériorées tout au long de l’année, renforçant l’isolement politique du Mali.

Crise politique et violations des droits civils et politiques

En juin, le gouvernement de transition a raccourci l’échéancier du retour au régime démocratique, le faisant passer de cinq à deux ans, soit jusqu’à mars 2024. Une nouvelle loi électorale a permis aux membres de la junte au pouvoir de se présenter lors de futures élections à condition de démissionner ou de se retirer des postes de sécurité six mois avant le scrutin.

Les menaces, le harcèlement et l’expulsion de journalistes et de blogueurs ont instauré un climat de peur et d’autocensure, notamment concernant les exactions qu’auraient commises les forces de sécurité. En février, les autorités maliennes ont expulsé Benjamin Roger, reporter pour Jeune Afrique, et, en mars, elles ont suspendu Radio France International et France 24 dans tout le pays après que les deux médias avaient fait état d’exactions commises par les forces de sécurité. En juillet, les autorités ont placé en détention un commentateur en ligne, Alhassane Tangara, après qu’un groupe progouvernemental l’avait dénoncé sur Facebook. Le 3 novembre, les autorités ont suspendu une chaîne d’actualités malienne, Joliba TV News, invoquant « des manquements et violations graves et répétés aux dispositions substantielles du Code de déontologie du journaliste au Mali ».

Les autorités ont placé en détention plusieurs détracteurs du gouvernement, pour certains pendant plusieurs mois sans procès. Plusieurs d'entre eux ont été arrêtés sur la base d'accusations fallacieuses et torturés en 2021. En janvier, les forces de sécurité ont arrêté et détenu pendant six mois le Dr Étienne Fakaba Sissoko, un professeur d’économie, après qu’il avait critiqué des nominations au gouvernement, qualifiant ses propos de « subversifs ». Le chef du parti Solidarité Africaine pour la Démocratie et l'Indépendance (SADI), le Dr Oumar Mariko, aurait quitté le pays après avoir été détenu en décembre 2021, puis menacé d'être placé une nouvelle fois en détention pour avoir dénoncé les abus de l'armée. 

Le 16 mai, des agents de la sécurité ont détenu sept membres du personnel militaire pour fomentation d’un coup d’État. Au moment de la rédaction du présent chapitre, les autorités n’avaient communiqué aucune information sur le lieu où ils se trouvaient, soulevant des préoccupations quant à leur disparition forcée.

Atrocités commises par les groupes armés islamistes

En 2022, différents groupes armés islamistes alliés à Al-Qaïda et à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ont étendu leurs attaques au sud-ouest du Mali et à la capitale, Bamako, tuant des centaines de civils, ainsi que de nombreux Casques bleus des Nations Unies et membres des forces de sécurité gouvernementale.

Le 16 janvier, des combattants islamistes ont exécuté quatre hommes de l’ethnie Dogon après les avoir fait sortir d’un convoi de marchands près de la ville de Douentza.

Depuis mars, les combattants de l’EIGS auraient tué des centaines de civils, pour la plupart des hommes adultes, lors d’attaques lancées contre des villages situés dans les régions de Gao et de Menaka, limitrophes du Niger. La plupart des victimes étaient issues de l’ethnie Daoussahak, une tribu touarègue.

Les 18 et 19 juin, des combattants liés à Al-Qaïda auraient tué plus de 120 personnes dans les villages de Dianwali, Deguessago et Diallassagou, dans la région de Mopti.

Au moins 72 personnes, dont près d’un tiers étaient des civils, ont été tuées par des engins explosifs improvisés (EEI) qu’auraient plantés des groupes armés islamistes à travers le pays en 2022, mais surtout dans la région de Mopti.

Dans les zones placées sous leur contrôle, les groupes armés islamistes ont détruit des antennes de télécommunication, imposé la zakat (l’impôt religieux) et mis en application la charia (droit musulman) et des sanctions connexes par le biais de tribunaux qui n’ont pas respecté les normes requises en matière de procédure équitable. Ces groupes ont également contribué à l’insécurité alimentaire en attaquant ceux qui ne se conformaient pas à leur vision du droit islamique, notamment en pillant leur bétail et en assiégeant des villages.

Au moment de la rédaction de ce chapitre, le journaliste français Olivier Dubois, kidnappé dans la région de Gao le 8 avril 2021, était toujours l’otage du groupe Jamaa Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) affilié à Al-Qaïda.

Exactions perpétrées par les forces de sécurité de l’État

Les forces de sécurité maliennes et les forces étrangères alliées ont été impliquées dans des centaines d’exécutions illégales de suspects et de civils, le plus souvent lors d’opérations de lutte contre le terrorisme de grande ampleur menées dans les régions de Mopti et de Ségou.

En mars, les forces de sécurité maliennes et alliées auraient illégalement exécuté plus de 300 hommes interpellés, notamment de personnes suspectées d’être des combattants islamistes, à Moura, dans le centre du Mali. Cet incident constitue la pire atrocité commise au cours du conflit armé qui oppose depuis une décennie les forces gouvernementales et les groupes armés islamistes au Mali.

Le 3 mars, les corps sans vie de 35 hommes, dont un grand nombre avait les yeux bandés et la plupart présentait des blessures par balle, ont été découverts dans le hameau de Danguèrè Wotoro, dans la région de Ségou. Ces hommes avaient précédemment été détenus dans le camp militaire de Diabaly, d’après des témoins. Autour du 5 mars, des militaires maliens et des soldats étrangers soupçonnés d'appartenir au groupe Wagner ont tué 33 hommes, dont 29 Mauritaniens, près du village de Robinet El Ataye, dans la région de Ségou. Le 19 avril, des militaires maliens et des soldats étrangers alliés auraient tué au moins 50 civils à Hombori, dans la région de Mopti, et, le 18 septembre, plus de 35 villageois à Gouni, également dans la région de Mopti.

Le 27 janvier, des militaires ont exécuté 14 civils de l’ethnie Dogon dans le village de Tonou lors d’un acte qui aurait été perpétré en représailles après qu’un véhicule militaire a percuté un EEI. Le 31 décembre 2021, lors d’une opération à Boudjiguiré, dans la région de Koulikoro, des militaires maliens ont détenu puis exécuté au moins 13 hommes. Des militaires maliens et étrangers auraient également violé plusieurs femmes lors d’opérations de contre-terrorisme.

Les enquêtes ouvertes par le gouvernement sur plusieurs de ces incidents ont peu avancé, et les autorités ont interdit aux enquêteurs en droits humains des Nations Unies de se rendre sur les lieux où les exactions ont été commises.

Atteintes aux droits des enfants

Les Nations Unies ont signalé que des dizaines d’enfants ont été tués ou mutilés par des groupes armés au Mali en 2022. Les groupes armés ont également recruté et utilisé plus de 300 enfants comme enfants soldats. En octobre 2022, l’insécurité avait conduit à la fermeture de 1 950 établissements scolaires, privant ainsi plus de 519 300 enfants de leur scolarité.

Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises

Les autorités ont avancé sur certains dossiers sur des affaires de terrorisme, mais pas sur les affaires d’atrocités de grande ampleur impliquant des milices ethniques et des membres des forces de sécurité gouvernementales. Des centaines de prévenus ont été détenus pour une durée prolongée en attendant leur procès.

Le gouvernement a poursuivi son travail sur des dossiers de corruption liés à l’achat frauduleux de matériels et d’équipements militaires sous l’administration du défunt président Ibrahim Boubacar Keïta, renversé par un coup d’État en 2020.

Aucun effort n’a été mené pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission d’enquête internationale des Nations Unies sur les crimes de guerre commis par les forces de sécurité maliennes et les crimes contre l’humanité perpétrés par des groupes armés islamistes et des milices ethniques entre 2012 et 2018.

La Cour pénale internationale a poursuivi le procès d’un ancien dirigeant d’un groupe armé islamiste ; il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dont le viol et l’esclavage sexuel, commis en 2012-2013.

Principaux acteurs internationaux

Le déploiement, fin 2021, du groupe russe Wagner, qualifié par le gouvernement malien de « formateurs militaires », et les allégations d’atrocités à leur encontre et à celle des forces de sécurité maliennes qui s’en sont suivies, ont suscité une vive condamnation de la part des partenaires étrangers du Mali, dont les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni.

La Russie a apporté une aide militaire significative aux efforts de lutte contre le terrorisme, tandis que les relations du Mali avec la France se sont détériorées. En janvier, le Mali a expulsé l’ambassadeur de France après que le ministre français des Affaires étrangères avait remis en cause la légitimité du gouvernement de transition.

Les relations tendues entre l’UE et le Mali au sujet d’atteintes aux droits et le partenariat conclu par le Mali avec le groupe Wagner ont entraîné une réduction significative des effectifs de la Mission européenne de formation au Mali (EUTM) et de la Mission européenne de renforcement des capacités (EUCAP).

En février, la France a annoncé la fin de son opération de lutte contre le terrorisme instaurée neuf ans plus tôt et qui, au plus fort de ses activités, comptait plus de 5 000 troupes. Ce retrait s’est achevé en août, un mois après que la Task force Takuba, composée de 900 forces spéciales européennes, avait quitté le pays.

En février, l’UE a imposé une interdiction de voyager et des gels d’actifs à cinq membres du gouvernement de transition. En août 2020, les États-Unis ont suspendu l’aide militaire fournie au gouvernement malien en attendant la tenue d’élections libres et équitables. En novembre, la France a suspendu l’aide au développement qu’elle accordait au Mali.

En juin, après que le gouvernement de transition avait fait passer l’échéance des élections de cinq à deux ans, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a levé les sanctions économiques et financières qu’elle avait imposées en janvier. Au moment de la rédaction du chapitre, l’adhésion à la CEDEAO et à l’Union africaine du Mali était toujours suspendue.

En juin, le Mali s’est retiré du G5 Sahel, une force régionale de lutte contre le terrorisme créée en 2017 et comptant 5 000 troupes, en guise de protestation après que la présidence tournante de l’organisation ne lui a pas été accordée. Le G5 Sahel se compose également du Burkina Faso, du Tchad, de la Mauritanie et du Niger. L’UE a déclaré regretter la décision du Mali.

En avril, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a prorogé d’un an le mandat de l’expert indépendant sur le Mali. En juillet, le Conseil de sécurité des Nations Unies a prorogé le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). En août, il a prorogé le mandat du Groupe d’experts sur le Mali, qui assure un suivi des interdictions de voyager et des gels d’actifs imposés en 2017 aux individus qui entravent la mise en œuvre d’un accord de paix conclu en 2015.

Tout au long de l’année, les autorités maliennes ont imposé des contraintes opérationnelles, y compris des zones d’exclusion aériennes à la MINUSMA, et entravé le bon déroulement d’enquêtes sur des atteintes aux droits humains qu’auraient commises les forces de sécurité de l’État, nuisant ainsi à la capacité de la MINUSMA de remplir son mandat et mettant à rude épreuve les relations du Mali avec les pays contributeurs en troupes. En juillet, les autorités maliennes ont arrêté 49 soldats ivoiriens qui travaillaient pour un sous-traitant de la MINUSMA et, quelques jours plus tard, ont expulsé le porte-parole des Nations Unies en raison de propos tenus au sujet de l’arrestation de ces soldats. Ceux-ci ont été inculpés en août pour « atteinte à la sûreté de l’État ».