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Espagne : Réponse insuffisante aux vagues de chaleur

Les autorités devraient mieux soutenir les personnes handicapées, particulièrement exposées à des risques liés au changement climatique

Carlos Reina Rosales, 35 ans, photographié dans son fauteuil roulant électrique, devant un musée du centre de Séville (Andalousie, Espagne).   © March 2023 Jonas Bull/Human Rights Watch
  • Une étude réalisée en Andalousie montre que la chaleur extrême provoquée par le changement climatique et les réponses inadéquates des gouvernements ont causé de grandes difficultés pour les personnes handicapées pendant les vagues de chaleur de 2022 en Espagne.
  • Les personnes handicapées font souvent partie des plus vulnérables en situation d’urgence, notamment lors d’une canicule, alors qu’elles sont les moins à même d’obtenir de l’aide.
  • À l’approche de vagues de chaleur encore plus intenses et fréquentes, les autorités espagnoles devraient tirer les leçons des lacunes de l’an dernier et inviter des personnes handicapées à participer à l’élaboration d’un plan d’action de lutte contre le changement climatique.

(Bruxelles) – En Espagne, la chaleur extrême provoquée par le changement climatique et la réponse inadéquate du gouvernement causent de graves difficultés et de la détresse pour les personnes handicapées, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, s’appuyant sur les conclusions d’une étude de la réponse à la canicule de l’été 2022 en Andalousie.

Cette carte montre l’évolution de la température maximale moyenne (en degrés Celsius) en juillet dans la région d’Andalousie, en Espagne, durant la période 1981-2010. © AEMET

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, ou IPCC en anglais), de plus en plus de gens sont confrontés au risque de stress thermique et même de décès à mesure que les températures moyennes augmentent dans le monde, avec davantage de vagues de chaleur prévues en Europe du Sud. Parmi les plus touchées par les situations d’urgence, y compris les vagues de chaleur, les personnes handicapées sont pourtant les moins à même de bénéficier d’une aide. Ces impacts disproportionnés sont le résultat d’une série de facteurs, notamment le manque d’inclusion dans les plans d’urgence et d’adaptation, une communication d’urgence inadéquate, des problèmes d’accessibilité, l’isolement et la marginalisation économique.

« Les personnes handicapées courent un risque élevé de subir des dommages liés à l’exposition à des chaleurs extrêmes, y compris de mourir ou de se trouver en détresse physique, sociale et mentale, en particulier lorsqu’elles sont livrées à elles-mêmes alors que les températures sont trop élevées », a déclaré Jonas Bull, chercheur adjoint auprès de la division Droits des personnes handicapées. « Avec l’imminence de vagues de chaleur plus intenses et plus fréquentes, les autorités andalouses devraient tirer les leçons des lacunes de l’an dernier et impliquer les personnes en situation de handicap dans l’élaboration d’une action climatique inclusive et d’un plan d’intervention en cas de canicule. »

Un homme sur son scooter passait devant un panneau affichant la température caniculaire de 50 degrés Celsius sur la route Paseo de las Delicias à Séville (Andalousie, Espagne) le 25 juillet 2022. © 2022 Eduardo Briones/Europa Press via AP

Entre juin et août 2022, de nombreux pays européens, dont l’Espagne, ont connu des vagues de chaleur sans précédent. Il n’existe aucune donnée sur le nombre de personnes handicapées décédées en raison des températures extrêmes. Selon l’Institut de santé Carlos III, la principale agence gouvernementale espagnole pour les statistiques sanitaires, les données de mortalité liées aux températures extrêmes ne prennent pas en compte le critère du handicap. Ventilées par âge, elles indiquent toutefois que plus de 98 % des quelque 4 600 décès liés à la chaleur en Espagne au cours de cette période concernaient les 65 ans et plus. Cela aurait inclus de nombreuses personnes en situation de handicap puisque plus de la moitié de celles enregistrées en Espagne sont âgées de 65 ans et plus.

Carte de l’Espagne, montrant diverses villes en Andalousie. © 2023 Human Rights Watch

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 33 personnes handicapées dans les villes de Séville et de Cordoue, ainsi que dans les régions voisines d’Andalousie. Séville et Cordoue, comme plusieurs grandes villes de la communauté autonome, sont sujettes aux « effets d’îlot de chaleur urbains », qui augmentent les températures dans les environnements urbains, et en ont fait l’expérience.

La plupart des personnes handicapées interrogées ont déclaré que les vagues de chaleur de 2022 avaient eu un impact négatif important sur leur santé physique. Elles ont fait état de brouillard cérébral, de difficultés respiratoires, d’hypotension, de vertiges, de faiblesse, de troubles du sommeil, de rétention d’eau, d’infections et de perte de conscience. La plupart d’entre elles ont déclaré que les vagues de chaleur avaient également affecté leur santé mentale et décrit la solitude et l’isolement social qu’ils ressentent, amplifiés par les fortes chaleurs lorsqu’elles sont contraintes de rester chez elles pendant de longues périodes. Plusieurs études ont montré que les personnes handicapées souffrent davantage de solitude et d’isolement social. L’isolement social est associé à des risques de chaleur plus élevés, notamment en termes de mortalité.

Le Plan d’action andalou contre la canicule de 2022 (Plan Andaluz para la Prevención de los Efectos de las Temperaturas Excesivas sobre la Salud) ne reconnaît pas explicitement les personnes handicapées comme un groupe plus sensible aux effets négatifs de la chaleur extrême et ne définit pas d’actions spécifiques, sauf pour celles vivant dans des institutions. De même, si le Plan d’action national espagnol contre la canicule de 2022 (Plan Nacional de Actuaciones Preventivas de los Efectos del Exceso de Temperaturas sobre la Salud) mentionne le handicap comme un « facteur de risque », il ne formule pas d’actions spécifiques requises pour aider les personnes qui en présentent un à faire face à ces risques

D’après les recherches de Human Rights Watch, les personnes qui vivent avec un handicap ou les organisations qui les représentent n’ont pas été associées à l’élaboration du Plan d’action andalou contre la canicule. Consulter les personnes handicapées aurait permis de s’assurer que leurs droits sont respectés pendant une vague de chaleur et atténuer l’étendue des souffrances, selon l’organisation.

Toutes les personnes handicapées interrogées ont déclaré se sentir négligées par les autorités locales. « Je me sens abandonnée par le gouvernement », a déclaré Laura Sanchez, une résidente de Séville âgée de 41 ans atteinte d’un handicap physique.

En août 2022, les autorités andalouses ont déclaré avoir contacté 12 000 personnes par téléphone et effectué quelques visites à domicile pour assurer la sécurité et la protection des personnes les plus exposées, notamment les personnes âgées et celles atteintes de troubles mentaux. Toutefois, aucune de celles que nous avons interrogées n’a déclaré avoir été contactée par une quelconque agence gouvernementale pour s’enquérir de leur état de santé. Elles se sont senties exclues parce que les informations générales sur les vagues de chaleur et les chaleurs extrêmes fournies en ligne et dans les médias ne tenaient pas compte de leurs droits et de leurs besoins spécifiques. Le ministère andalou de la Santé a répondu à Human Rights Watch qu’il ne disposait pas de données sur le nombre de personnes handicapées parmi les 12 000 contactées.

En 2022, les autorités municipales de Séville et de Cordoue ont piloté l’utilisation en journée de centres de rafraîchissement pour aider les personnes les plus à risque, mais les responsables municipaux ont déclaré que ces structures étaient sous-exploitées. Des études ont montré que leur efficacité dépendait de plusieurs facteurs, notamment de l’accessibilité des informations et des infrastructures. Les villes devraient élaborer toutes les initiatives visant à réduire la chaleur urbaine en concertation avec les personnes les plus exposées aux effets négatifs de la chaleur extrême et du changement climatique, a déclaré Human Rights Watch.

Les informations importantes relatives à la canicule étaient généralement inaccessibles. Le ministère andalou de la Santé, des responsables municipaux de Séville et de Cordoue, ainsi qu’un membre du projet proMeteo Seville, une coalition qui sensibilise aux effets des vagues de chaleur sur la santé, ont tous reconnu qu’en 2022, les informations relatives à la canicule, y compris les recommandations générales sur la protection, n’étaient pas disponibles dans des formats accessibles aux personnes handicapées, tels que la langue des signes ou des formats faciles à lire.

Un immeuble résidentiel à Séville (Andalousie, Espagne), avec de nombreuses unités de climatisation extérieures. Lors des vagues de chaleur de 2022, plusieurs quartiers à faible revenu ont connu des coupures de courant, notamment en raison de réseaux électriques surchargés et d'infrastructures insuffisantes.  © March 2023 Jonas Bull/Human Rights Watch

La pauvreté est un autre facteur de risque, qui exacerbe les effets de la chaleur pour de nombreux habitants d’Andalousie, l’une des communautés autonomes les plus pauvres d’Espagne. Selon des chercheurs et des défenseurs de l’environnement en Andalousie, de nombreux habitants en situation de pauvreté vivent dans des bâtiments mal isolés et dépourvus d’espaces verts, deux facteurs qui contribuent aux risques sanitaires liés à la chaleur. Les coupures d’électricité dans les quartiers pauvres d’Andalousie risquent d’affecter encore plus gravement les personnes handicapées, car elles risquent de ne pas pouvoir utiliser les ascenseurs, recharger les appareils liés à leur handicap, ou rester au frais grâce aux ventilateurs électriques ou à la climatisation.

Âgée de 66 ans et handicapée, Maria C. (un pseudonyme) vit dans un quartier pauvre de Séville et a du mal à payer sa facture d’électricité. En juillet 2022, le mois le plus chaud jamais enregistré en Espagne, l’électricité lui a été coupée. « Cette semaine-là, c’était vraiment dur », dit-elle. « Je n’ai pas ouvert le réfrigérateur parce que je ne voulais pas que les fruits se gâtent, je n’avais pas de glace pour me rafraîchir ni utiliser le ventilateur de la chambre à coucher. » La coupure d’électricité a eu lieu alors que la stratégie nationale espagnole contre la pauvreté énergétique 2019-2024 (Estrategia Nacional contra la Pobreza Energética) interdit l’interruption de l’approvisionnement énergétique pour quelque raison que ce soit en cas de températures extrêmes.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, et notamment de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), l’Espagne et ses communautés autonomes doivent assurer la protection et la sécurité des personnes en situation de handicap lors des catastrophes naturelles et les protéger contre les menaces raisonnablement prévisibles pour la vie, y compris celles liées au changement climatique. En outre, les gouvernements ont l’obligation de protéger et de promouvoir les droits humains des personnes atteintes de handicap dans toutes les politiques et programmes, y compris les réponses gouvernementales aux événements météorologiques extrêmes.

Les autorités devraient mener des enquêtes approfondies et surveiller les impacts des événements météorologiques extrêmes exacerbés par le changement climatique, tels que les vagues de chaleur, et ventiler les données en fonction de l’âge, du handicap et d’autres facteurs, a déclaré Human Rights Watch.

« Les autorités andalouses devraient reconnaître que la chaleur extrême est une menace fondamentale pour leur population et que les personnes handicapées constituent un groupe plus vulnérable à ce phénomène », a conclu Jonas Bull. « Si ces problèmes sont traités de manière inadéquate, comme ce fut le cas lors des canicules de 2022, sans des actions spécifiques pour protéger les personnes handicapées, ces dernières continueront à subir de manière disproportionnée les conséquences de la crise climatique. »

Méthodologie

Entre mars et avril 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens avec 33 personnes handicapées, dont trois personnes âgées et deux enfants ; 23 représentants d’organisations de défense des droits des personnes handicapées, de groupes proenvironnementaux, activistes du climat et d’autres organisations de la société civile ; trois chercheurs universitaires ; et un psychiatre. Human Rights Watch a également rencontré des représentants du gouvernement aux niveaux national, régional et local.

Plans et actions d’adaptation au changement climatique climat visant à répondre aux chaleurs extrêmes

Évolution de la température moyenne annuelle en Espagne de 1850 à 2022. La gradation du bleu au rouge illustre l’augmentation progressive de la température au fil des années. © #ShowYourStripes

Les phénomènes extrêmes, notamment les vagues de chaleur, se sont déjà intensifiés et continueront de se multiplier et de s’intensifier sous l’effet du changement climatique. Les climatologues ont confirmé une hausse de la température moyenne et de la chaleur extrême dans le sud de l’Europe, notamment en Espagne. Même si les émissions de gaz à effet de serre étaient réduites rapidement, l’Andalousie devrait être confrontée à une augmentation progressive des températures. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit que, sur la base des engagements actuels pris par les gouvernements en matière de réduction des émissions, le réchauffement de la planète dépassera 1,5 degré Celsius par rapport à la période 1850-1900 au cours de la première moitié des années 2030, voire dès les années 2020 si les émissions restent très élevées au niveau mondial.

Dans le cadre de ces scénarios, certaines des températures extrêmes les plus élevées en Europe devraient se manifester dans le sud de l’Europe, notamment en Espagne. En 2021, ce pays était le cinquième émetteur de l’Union européenne (UE) et ses émissions avaient augmenté par rapport à 2020. L’UE ambitionne d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 et à réduire les émissions de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

L’Espagne et l’Andalousie ont adopté des plans pour faire face aux impacts généraux du changement climatique, mais ils ne tiennent pas suffisamment compte des droits et des besoins des personnes handicapées. Le Plan national d’adaptation au changement climatique 2021-2030 (Plan Nacional de Adaptación al Cambio Climatico), la principale politique espagnole visant à « promouvoir une action coordonnée et cohérente pour lutter contre les effets du changement climatique en Espagne », n’aborde les droits des personnes handicapées qu’en citant la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et son encouragement à utiliser les contributions des parties prenantes, y compris celles des personnes handicapées.

Bien que le Plan énumère des actions visant à protéger les populations « vulnérables », il ne propose aucune mesure spécifique pour garantir la protection et la sécurité des personnes handicapées. De même, le Plan andalou d’action pour le climat 2021-2030 (Plan Andaluz de Acción por el Clima) ne mentionne pas les droits des personnes handicapées, bien qu’il fasse une référence générale aux « groupes vulnérables ».

En 2022, l’Espagne et ses communautés autonomes, qui ont d’importantes prérogatives en matière de santé publique, ont créé des plans d’adaptation aux vagues de chaleur. Le Plan d’action andalou contre la canicule, mis en œuvre chaque été de juin à septembre, vise à protéger les groupes considérés comme particulièrement vulnérables, tels que les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes atteintes de troubles médicaux et celles vivant dans des institutions, notamment les centres d’hébergement pour les personnes non logées.

Les personnes handicapées en général ne sont pas couvertes, à l’exception de celles qui vivent dans des institutions. Le ministère andalou de la Santé a déclaré à Human Rights Watch que si cette catégorie n’était pas spécifiquement mentionnée dans le Plan, elles le seraient dans la réponse avec d’autres personnes considérées comme appartenant à des groupes vulnérables.

Le Plan prévoit des mesures préventives, telles que la diffusion d’informations sur les réseaux sociaux sur la façon dont les gens peuvent se protéger, et des activités concrètes pour trois niveaux d’alerte à la chaleur en fonction des températures. Il vise également à identifier de manière proactive les personnes considérées comme particulièrement vulnérables. Et si une vague de chaleur est prévue pour durer cinq jours ou plus, les organismes publics locaux sont tenus de contacter les personnes considérées comme présentant un risque particulier et leur proposer de passer la journée dans un centre de rafraîchissement.

Un homme cherchait à se rafraîchir en trempant ses pieds dans une fontaine, à Séville (Andalousie, Espagne) le 14 juillet 2022. © 2022 Daniel Gonzalez Acuna/picture-alliance/dpa via AP

Le Plan national d’adaptation reconnaît les effets des phénomènes météorologiques extrêmes sur la santé mentale. Cependant, ce plan et le Plan d’action de l’Andalousie contre la canicule ne mentionnent pas de soins de santé mentale pour les personnes concernées pendant les vagues de chaleur, comme un soutien psychosocial ou des initiatives visant à protéger spécifiquement les personnes souffrant déjà de troubles mentaux. En outre, la Stratégie nationale de santé mentale 2022-2026 ne mentionne pas l’impact des vagues de chaleur sur la santé mentale en particulier, ni du changement climatique en général.

Impact sur la santé physique

Des études montrent que les personnes handicapées sont particulièrement exposées aux maladies et aux décès provoqués par la chaleur. Certaines sont plus susceptibles de développer des problèmes de santé qui peuvent affecter la capacité à supporter la chaleur, tandis que d’autres peuvent être confrontées à l’isolement social lié à des risques de canicule. Le fait de ne pas être inclus dans la réponse gouvernementale et d’être confronté à des obstacles dans l’accès au soutien accroît ces risques. Human Rights Watch s’est entretenu avec des personnes souffrant de divers handicaps, intellectuels, physiques et psychosociaux, afin de recueillir un éventail de points de vue. La plupart d’entre elles ont déclaré que les vagues de chaleur portaient considérablement atteinte à leur santé physique, exprimant leur crainte de voir les risques pour la santé s’accroître avec l’augmentation des températures.

Leo Osorio, 9 ans, qui a un handicap physique, faisait ses devoirs chez lui à Séville (Andalousie, Espagne), en utilisant un petit ventilateur pour rester au frais. © May 2023 Lidia Osorio

Leo Osorio, âgé de 9 ans, vit dans la banlieue de Séville avec ses parents et son frère Abraham, 13 ans et sur le spectre de l’autism. Leo est atteint d’épidermolyse bulleuse (EB), une maladie génétique rare qui accroît la fragilité de la peau, laquelle peut former des cloques au moindre contact. En 2022, il est resté à la maison en juillet et en août. « Je devais toujours avoir l’air conditionné allumé parce que je suis affecté par la chaleur, et toutes mes lésions s’aggravent ».

Sa mère, Lidia Osorio, a expliqué qu’elle devait asperger Leo d’eau minérale pour humidifier sa peau. Elle pense que le gouvernement les a oubliés puisqu’ils n’ont pas reçu d’informations spécifiques sur la manière de se protéger en cas de canicule et qu’aucun service ne leur a été proposé. Elle craint que la canicule de cette année ne soit pire que la précédente.

Juan Manuel Ramírez Montesinos, âgé de 47 ans, présente un handicap physique et vit dans un appartement à Séville. Il souhaite un soutien sanitaire plus adéquat pour faire face aux chaleurs extrêmes, et pas seulement en cas d’urgence. Il a décrit une expérience vécue lorsque la température a dépassé les 40 degrés Celsius :

Mon corps change considérablement à chaque fois que le thermomètre franchit 2 ou 3 degrés de plus, et les températures élevées m’affectent vraiment. La chaleur extrême me fait souffrir d’hypotension. Mon principal problème avec la chaleur est la rétention d’eau, et mes pieds et mes jambes gonflent, si bien que je ne peux pas sortir.

Esther la Forge, âgée de 34 ans, qui a un handicap physique et vit à l’extérieur de Séville, a témoigné :

L’été dernier, j’ai beaucoup souffert de la chaleur...J’ai besoin de refroidir mon corps, comme si j’avais une forte fièvre en permanence. C’est comme si [mon] corps réclamait plus d’énergie que je n’en ai, jusqu’à ce que je m’effondre.

Human Rights Watch s’est entretenu avec six personnes présentant des handicaps psychosociaux et qui prennent des psychotropes. Elles avaient du mal à faire face à la situation. Les personnes souffrant de handicaps psychosociaux sont plus exposées au risque de décès pendant les vagues de chaleur, notamment en raison des difficultés à réguler leur température corporelle ainsi que de la stigmatisation et de l’exclusion sociale, susceptibles de limiter leur accès aux réseaux de soutien.

Marta H. (un pseudonyme), atteinte d’un handicap psychosocial et d’hypotension et qui vit à Séville, a déclaré : « Je me rappelle que je dois minimiser ma consommation d’alcool » :

Je me rappelle que je dois réduire ma consommation de médicaments à cause des vagues de chaleur. Je connais mes symptômes et quand je me sens mal, je sais comment me soigner. Mais il y a [d’autres] personnes avec des troubles mentaux qui ne reconnaissent pas les symptômes et peuvent prendre trop de médicaments.

Aucune des personnes handicapées interrogées n’avait reçu de conseils médicaux sur la façon de faire face aux vagues de chaleur. Human Rights Watch s’est entretenu avec un psychiatre de Séville qui estime que les professionnels de santé ne sont pas suffisamment informés des risques encourus par les personnes souffrant de handicaps psychosociaux en cas de chaleur extrême. Lui et toutes les personnes handicapées interrogées ont déclaré que les recommandations générales sur les protections diffusées par les médias traditionnels ou sur les réseaux sociaux ne comportaient pas non plus de conseils spécifiques.

Impact sur la santé mentale

Presque toutes les personnes handicapées interrogées ont déclaré s’être senties en détresse pendant les vagues de chaleur, décrivant l’impact négatif sur la santé mentale des mesures de protection et l’absence d’initiatives ciblées. Elles ont indiqué s’être senties déprimées, résignées, anxieuses et agitées ; l’une d’entre elles a évoqué des pensées suicidaires. Cela correspond aux études suggérant une hausse du risque de suicides et des admissions à l’hôpital liées à des troubles de la santé mentale en cas de températures élevées.

Carla S. (un pseudonyme), âgé de 74 ans, qui présente un handicap psychosocial et vit à Cordoue, a déclaré : « Quand il fait chaud, je suis anxieuse et irritable. Dans ces moments-là, on a envie de se tuer ».

Abraham Osorio, âgé de 13 ans et sur le spectre de l’autisme, aidait sa mère à éplucher des pommes de terre près d’un ventilateur électrique dans leur domicile à Séville (Andalousie, Espagne). © May 2023 Lidia Osorio

Les autorités locales, régionales et nationales recommandent souvent de rester au frais, notamment en évitant de sortir pendant la journée. Bien que ces mesures puissent sauver des vies, les personnes handicapées ont exprimé un sentiment d’isolement et de solitude lorsqu’elles se cloitrent seules chez elles pendant une période prolongée. Cette constatation est particulièrement préoccupante compte tenu de la hausse des températures, de la probabilité croissante de vagues de chaleur en raison du changement climatique et de l’exclusion du soutien à la santé mentale des plans d’action contre les vagues de chaleur. Les autorités devraient intensifier leurs efforts pour soutenir les personnes handicapées qui s’abritent chez elles, notamment par des services de proximité plus ciblés.

« S’il fait trop chaud, je ne vois pas mes amis », explique Blanca, 25 ans, qui présente une déficience intellectuelle et vit dans un appartement à Cordoue. « Je me sens dépassée par les vagues de chaleur. Je me sens vraiment enfermée. »

Marta H. a également décrit le « cercle vicieux » généré par les vagues de chaleur : « L’apathie fait que l’on reste toute la journée à la maison, allongé sur le canapé, et que l’on se sent fatigué, déprimé, que l’on n’a pas envie de sortir, et [c’est] un problème sans fin. »

Raúl Rodríguez Camacho, âgé de 53 ans, a un handicap psychosocial. Il vit avec ses parents, âgés de 81 et 91 ans, dans un appartement de Séville. Pour éviter la chaleur estivale, ils vivent dans une maison près de la mer, tandis que Raúl reste à Séville pour son travail.

Je suis déprimé lorsque mes parents partent sur la côte. Je me sens extrêmement nerveux dans la vie et au travail, et mon stress s’aggrave pendant les vagues de chaleur.... Tous les problèmes de ma vie sont plus difficiles à gérer pendant les vagues de chaleur.

Expériences de la pauvreté

L’accès à l’énergie est essentiel pour les personnes handicapées en cas de chaleur extrême, non seulement pour rester au frais mais aussi, par exemple, pour faire fonctionner les appareils d’assistance. Des études ont montré que plus d’un tiers des personnes handicapées en Espagne sont menacées par la pauvreté et l’exclusion, ce qui pourrait augmenter considérablement les risques en cas de chaleur extrême. Cette situation est particulièrement préoccupante en Andalousie, où le taux de pauvreté est l’un des plus élevés des communautés autonomes, où les ménages ont des factures énergétiques supérieures à la moyenne nationale en raison d’une mauvaise isolation et de conditions climatiques extrêmes en été et en hiver, et où environ un million de personnes sont confrontées à la pauvreté énergétique.

L’Espagne définit la pauvreté énergétique comme une situation dans laquelle un ménage ne peut répondre à ses besoins fondamentaux en matière d’approvisionnement énergétique en raison d’un niveau de revenu insuffisant et, le cas échéant, d’un logement inefficace sur le plan énergétique. Des recherches ont montré que la pauvreté énergétique peut accroître les risques pour la santé pendant les vagues de chaleur.

Les personnes qui n’ont pas les moyens de payer leur facture d’électricité peuvent demander une aide supplémentaire de l’État. L’aide sociale pour l’électricité en Espagne (bono social de electricidad) couvre un certain pourcentage de la facture en fonction du degré de « vulnérabilité » du ménage. Toutefois, ce montant peut s’avérer insuffisant. Face à la chaleur extrême, Lidia Osorio a déclaré que sa famille ne peut se permettre d’utiliser l’air conditionné dans la chambre de Leo que la nuit, bien qu’elle reçoive une aide pour l’électricité.

Le Jardín de la Danza dans le centre de Séville (Andalousie, Espagne). Les villes espagnoles devraient recourir à une planification urbaine qui améliore la résistance à la canicule, notamment en favorisant les espaces verts dans les quartiers résidentiels.  © March 2023 Jonas Bull/Human Rights Watch

Des représentants d’organisations non gouvernementales et des universitaires ont déclaré qu’en Espagne, les personnes en situation de pauvreté vivent souvent dans des quartiers où les bâtiments sont mal isolés et où il n’y a ni arbres ni parcs, ce qui contribue aux risques de chaleur extrême. Un coordinateur d’une organisation caritative religieuse soutenant les habitants d’un quartier économiquement marginalisé de Séville a déclaré que ces derniers vivent dans de petits appartements aux murs fins et aux fenêtres étroites qui énergivores, et que beaucoup d’entre eux ne peuvent pas payer leur facture d’électricité.

La marginalisation économique et la fragilité des revenus peuvent également affecter la capacité des personnes à faire face aux vagues de chaleur. Maria (un pseudonyme) vit dans un quartier pauvre de Séville déjà touché par des coupures d’électricité. À la fin de l’été 2022, elle a reçu un climatiseur de la part d’une organisation caritative religieuse, mais craint de ne pas avoir les moyens de l’utiliser : « Nous sommes en train de tuer la Terre », dit-elle. « Je suis désespérée, je ne sais pas quoi faire. »

Pendant les canicules de 2022, plusieurs quartiers à faibles revenus ont subi des coupures de courant, notamment en raison de réseaux électriques surchargés et d’infrastructures insuffisantes. L’Association andalouse des droits humains a dénoncé l’incapacité du gouvernement à résoudre le problème des coupures, qui ne se seraient produites que dans les quartiers pauvres. En août 2022, le médiateur d’Andalousie a averti que les coupures d’électricité pendant une vague de chaleur constituaient « un grave problème de santé publique et une violation du droit des personnes à accéder à un service essentiel tel que la fourniture d’énergie et à en bénéficier » (traduction non officielle).

Recommandations

Au gouvernement andalou :

  • Évaluer et réviser le Plan d’action andalou contre la canicule avec la participation significative des personnes les plus touchées, dont celles qui présentent un handicap et les organisations qui les représentent, en particulier celles qui ont une expérience vécue de la chaleur extrême, afin de garantir que la planification future protège les droits des personnes handicapées.
  • Mettre en place un mécanisme pour suivre la mise en œuvre du Plan d’action andalou contre la canicule, en particulier afin d’évaluer l’accès des personnes handicapées aux actions portant sur les vagues de chaleur.
  • Garantir la protection des personnes présentant un handicap dans tous les cas de phénomènes climatiques extrêmes, conformément à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
  • Garantir que toutes les politiques et plans portant sur les phénomènes météorologiques extrêmes et le changement climatique soient conçus, planifiés et mis en œuvre de façon inclusive.
  • Établir des actions de sensibilisation ciblées et d’autres services d’aide aux personnes handicapées, notamment celles qui subissent un isolement social ou une marginalisation économique, en particulier lors des vagues de chaleur.
  • Garantir un approvisionnement énergétique ininterrompu en cas de températures extrêmes.
  • Fournir des méthodes de messagerie d’urgence et des programmes de préparation et de réponse aux situations d’urgence qui soient inclusifs et accessibles à tous.
  • Élaborer des méthodes et des programmes visant à réduire l’impact négatif des vagues de chaleur en concertation avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent.
  • Accroître la rénovation des bâtiments résidentiels afin de rendre les logements plus efficaces sur le plan énergétique, en ciblant les quartiers les plus exposés aux effets négatifs des vagues de chaleur, et veiller à ce que les personnes handicapées aient accès à ces programmes.
  • Prendre des mesures concrètes pour garantir une participation significative des personnes handicapées aux forums régionaux consacrés au changement climatique ou aux droits des personnes handicapées, tels que le groupe consultatif régional (Consejo Andaluz de Atención a las Personas con Discapacidad).
  • Recueillir et publier régulièrement des données sur l’impact des vagues de chaleur, notamment sur les décès provoqués par la chaleur, et les ventiler par âge, handicap et autres catégories pertinentes.

Aux gouvernements municipaux :

  • Rendre obligatoire une planification urbaine qui améliore la résistance aux vagues de chaleur, notamment en favorisant les espaces verts dans les quartiers résidentiels.
  • Veiller à ce que la planification de la durabilité urbaine respecte les normes de conception universelle, c’est-à-dire l’aménagement d’un environnement accessible dans la mesure du possible à chacun, quel que soit son handicap.
  • Impliquer de manière significative et égale les personnes handicapées dans les négociations et les discussions sur le changement climatique, notamment en développant des informations sur la chaleur dans des formats multiples et accessibles à tous.

À l’Institut de santé Carlos III :

  • Recueillir et publier régulièrement des données sur l’impact des vagues de chaleur, notamment sur les décès provoqués par la chaleur, et les ventiler par âge, handicap et autres catégories pertinentes.
  • Mener une étude sur l’impact de la chaleur extrême et les autres phénomènes climatiques extrêmes sur les personnes présentant un handicap, en consultant des personnes handicapées et en les impliquant de façon significative.
  • Au sein des rapports adressés avec des recommandations au gouvernement espagnol, au sujet des phénomènes climatiques extrêmes dont les canicules, intégrer les perspectives, droits et besoins des personnes handicapées en vue d’assurer leur protection.

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