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Cameroun : Face à la pandémie, les autorités devraient permettre l’accès à l’aide humanitaire

La fourniture d’assistance est vitale dans les zones de conflit

Un homme muni un masque de protection dans la ville de Douala, Cameroun, le 10 avril 2020. © 2020 Privé

(Nairobi) – Le gouvernement du Cameroun devrait s’assurer que sa réponse à la pandémie de Covid-19 respecte les droits humains et donne la priorité à l’assistance aux populations qui en ont le plus besoin, y compris dans les zones qui sont affectées par des violences. Les autorités devraient donner aux organisations humanitaires un accès sans entrave aux zones de conflit, pour leur permettre d’y apporter une assistance qui est vitale.

À la date du 10 avril 2020, les responsables camerounais de la santé avaient confirmé plus de 800 cas de Covid-19 et 10 décès, pour la plupart concentrés dans les villes de Yaoundé et Douala. Mais le nombre réel de cas est très probablement plus élevé car les capacités de dépistage sont limitées. Le pays ne compte que quatre laboratoires en mesure de réaliser des tests, dont trois à Yaoundé, la capitale.

« La pandémie de Covid-19 survient en temps de crise au Cameroun, en particulier dans les régions anglophones du pays et dans la province de l’Extrême-Nord », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Davantage devrait être fait pour assurer que les citoyens les plus exposés aux risques et ceux qui fuient les affrontements soient protégés de l'infection et puissent recevoir des soins s’ils tombent malades. »

En plus des mesures cruciales nécessaires pour contenir la propagation du Covid-19, une réponse humanitaire plus générale est essentielle pour sauver des vies dans la région de l’Extrême-Nord, qui est un foyer de l’insurrection du groupe Boko Haram, et dans les deux régions anglophones, où des groupes séparatistes armés combattent pour l’indépendance. Les attaques régulièrement perpétrées dans ces régions par Boko Haram et par les séparatistes, ainsi que les opérations de l’armée camerounaise, ont déjà entraîné de sévères restrictions d’accès pour les agences humanitaires et réduit leur capacité d’évaluer les besoins et de fournir une assistance aux personnes qui en ont le plus besoin. 

Le 5 avril, des combattants de Boko Haram ont investi Amchide, dans la région de l’Extrême-Nord. Trois témoins ont affirmé à Human Rights Watch que deux adolescents kamikaze se sont fait exploser dans le centre de la ville, tuant sur le coup 6 hommes et en blessant 13 autres, dont 3 sont morts par la suite. Un autre homme a été tué par balles lors d’une confrontation entre des miliciens de Boko Haram et l’armée, a indiqué un habitant. 

Depuis fin 2013, le conflit avec Boko Haram dans l’Extrême-Nord a contraint environ 300 000 personnes à fuir leurs domiciles et 1,9 million de personnes ont désormais besoin d’assistance.

Dans les régions anglophones, les violences se poursuivent également en dépit de l’appel à un cessez-le-feu du fait du Covid-19 lancé le 26 mars par un groupe séparatiste, les Forces de défense du sud du Cameroun (Southern Cameroons Defence Forces, SOCADEF). Par l’intermédiaire de son porte-parole, le Secrétaire général de l’ONU a salué cette initiative, exhortant les autres groupes « à faire de même ». Jusqu’à présent, ce groupe, qui opère dans la division de Fako et dans certains secteurs de celle de Lebialem dans la région du Sud-Ouest, est le seul groupe séparatiste a avoir cessé les combats du fait de la pandémie.

Au moins 15 groupes séparatistes sont actifs dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Dans certaines zones de la région du Sud-Ouest et dans toute celle du Nord-Ouest, les violences continuent et des opérations militaires se poursuivent. Le 31 mars, les gendarmes ont tué quatre hommes, tous civils, dans le village d’Okoyong, dans la division de Manyu, dans la région du Sud-Ouest. Quatre témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les gendarmes les avaient abattus devant une échoppe. L’un des témoins a déclaré: « Les gendarmes cherchaient des Amba boys [séparatistes armés] mais cela fait plus d’un an que les Amba boys ont quitté notre village [et] ces hommes étaient des travailleurs du bâtiment. »

Afin de contenir la propagation du Covid-19, le gouvernement a suspendu les vols aériens organisés par les organisations d’aide humanitaire, compromettant leurs activités. Le chef d’une organisation humanitaire internationale basé au Cameroon a déclaré à Human Rights Watch: « Les vols humanitaires sont interrompus depuis plus de trois semaines. Les agences de l’ONU et les organisations non gouvernementales ne cessent de demander au gouvernement de les ré-autoriser. Ces vols sont essentiels pour pouvoir atteindre les personnes les plus vulnérables qui vivent dans des zones reculées. Alors que le virus se répand rapidement, c’est exactement le moment où le gouvernement du Cameroun devrait nous faciliter la tâche. »

Dans un communiqué de presse diffusé le 8 avril, l’ambassade des États-Unis a déclaré que le gouvernement camerounais devrait autoriser le Service aérien humanitaire de l’ONU à reprendre ses vols et permettre ainsi que les travailleurs humanitaires et les fournitures médicales « viennent en aide aux personnes qui en ont besoin pour lutter contre le Covid-19. »

Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les établissements de santé ont été gravement affectés par les violences, exacerbant une situation dans laquelle les hôpitaux, comme beaucoup d’autres à travers le pays, manquent de moyens et d’équipements. Selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), seulement 34 % des installations de santé sont en état de fonctionner dans les régions anglophones. Depuis fin 2016, de nombreux établissements de santé ont été fermés, attaqués ou incendiés. Le personnel médical a été agressé, menacé ou contraint de s’enfuir, privant les habitants d’accès aux soins médicaux.

Le gouvernement camerounais a pris des mesures pour contenir la propagation du Covid-19, notamment en fermant les écoles et les universités, ainsi que les frontières, en interdisant les grands rassemblements, en encourageant la population à suivre certaines règles d’hygiène et en créant une ligne spéciale d’assistance au public. Toutefois, des membres du personnel médical ont fait part à Human Rights Watch de leurs préoccupations du fait que la pandémie mette à rude épreuve les ressources d'un système de santé déjà fragile.

Un médecin qui travaille à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest, a déclaré à Human Rights Watch: « Je crains que la propagation du virus dans la région du Nord-Ouest n’ait des conséquences catastrophiques. Les hôpitaux manquent d’équipement de base. Il n’y a que trois appareils d’assistance respiratoire dans toute la région et presque pas d’espaces d’isolement dans les hôpitaux. »

Même dans d’importants centres urbains comme Yaoundé et Douala, les hôpitaux sont mal préparés pour faire face à la pandémie. Un médecin de Douala a déclaré à Human Rights Watch: « Il y a moins de 10 appareils d’assistance respiratoire dans toute la ville. Nous avons du mal à traiter les malades qui présentent de graves difficultés respiratoires. » 

Au lieu d’améliorer sa réponse face à la pandémie, le gouvernement semble se préoccuper davantage de supprimer la liberté d’expression, a déclaré Human Rights Watch. Le 3 avril, un dirigeant d’un parti d’opposition, Maurice Kamto, a appelé les Camerounais à faire front ensemble face à l’inaction du gouvernement. Dans la soirée, la police a fait irruption dans les locaux d’Equinoxe TV à Douala, menaçant d’arrêter les journalistes s’ils diffusaient la déclaration de Kamto. Le gouvernement devrait concentrer ses efforts sur les mesures cruciales à prendre en matière de soins médicaux et sur la protection des professionnels de santé, au lieu de menacer les Camerounais qui critiquent sa réponse à la pandémie, a affirmé Human Rights Watch.

« Le gouvernement camerounais devrait accélérer sa réponse au Covid-19, élargir l’accès aux tests de dépistage et s’assurer que les populations affectées par les violences, y compris les personnes déplacées, soient protégées et aient accès aux soins », a affirmé Ilaria Allegrozzi. « Si le gouvernement ne prend pas de mesures préventives, des pénuries de biens, y compris de nourriture et de denrées non alimentaires, d’eau, d’abris et de soins médicaux pourraient avoir un impact dévastateur sur des populations qui sont déjà vulnérables. »

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