(New York, le 16 octobre 2018) – Le gouvernement chinois devrait permettre à des familles de la province du Xinjiang de récupérer les enfants qui ont été placés dans des orphelinats suite à la détention arbitraire de leurs parents, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le Financial Times et l'agence Associated Press ont décrit la façon dont les enfants de musulmans turciques détenus étaient soustraits à leurs familles et placés dans des établissements d'État. Dans son rapport de septembre 2018 sur les détentions massives au Xinjiang, Human Rights Watch détaillait un cas de ce type. Des estimations crédibles indiquent qu'un million de musulmans turciques sont détenus dans des camps de rééducation politique illégaux au Xinjiang, tandis que d'autres, dont le nombre n'est pas connu, sont retenus arbitrairement dans des centres de détention et des prisons, dans le cadre de la campagne abusive lancée par le gouvernement chinois, « Frapper fort contre l’extrémisme violent » (campagne « Strike Hard »).
« Les autorités chinoises ont cruellement placé les enfants de certains détenus politiques du Xinjiang dans des institutions d'État », a déclaré Sophie Richardson, directrice de recherches sur la Chine auprès de la division Asie de Human Rights Watch. « Cela fait partie d'un programme gouvernemental pervers qui consiste à soustraire des enfants de citoyens musulmans turciques à leurs familles, au nom de leur bien-être matériel. »
En novembre 2016, le Secrétaire du Parti communiste du Xinjiang, Chen Quanguo, a ordonné aux autorités locales de placer tous les orphelins du Xinjiang dans des institutions d'État d'ici à 2020, dans le cadre d'une série d'initiatives visant au développement de la région. Cet ordre incluait la « concentration » (集中收养) d'orphelins qui étaient auparavant élevés « de façon éparpillée » – y compris par leurs familles au sens large – et leur placement dans des institutions afin « d'améliorer leur niveau de vie ».
Cette politique régionale définit généralement les orphelins comme « des enfants qui ont perdu leurs parents ou dont les parents sont introuvables; » dans certaines régions, ceci inclut les enfants dont l'un des parents - ou les deux - sont en détention provisoire ou incarcérés.
Aux termes de la politique régionale applicable au Xinjiang, promulguée en janvier 2017, les responsables locaux sont encouragés à « orienter » les enfants qu'ils considèrent comme orphelins vers les orphelinats d'État, y compris en remplissant tous les lits vides dans les orphelinats existants, en rénovant ceux-ci et en construisant de nouvelles installations. Certains de ces nouveaux établissements semblent conçus pour accueillir au moins 100 enfants, selon des informations diffusées par les médias. Le but du gouvernement est de passer d'un taux de 24% d'institutionnalisation d'« orphelins » au Xinjiang à 100% entre 2017 et 2020.
Si la politique régionale décrit généralement les enfants visés comme étant ceux qui « souhaitent être institutionnalisés », elle ne donne aucun détail en ce qui concerne le consentement. Elle ne précise notamment pas si c'est le souhait des enfants, des parents ou de la famille au sens large qui sera pris en considération ; quelle agence gouvernementale prendra la décision ; ni s'il existera des procédures pour déterminer ce consentement ou pour le contester.
Dans un rapport présenté en septembre 2017, le gouvernement local affirme que les enfants peuvent rester vivre avec des tuteurs qui ne souhaitent pas les envoyer dans des orphelinats. Cependant, d'autres autorités locales ont reçu des quotas impératifs à remplir. Dans le district de Jimsar, les responsables devaient envoyer 30 orphelins dans les institutions d'État avant fin octobre 2017. Dans le district de Xinyuan, les autorités ont ordonné aux responsables locaux d'institutionnaliser 60 orphelins avant fin novembre 2017, sous peine de notation négative. Dans la préfecture autonome mongole de Bayingolin, un rapport reconnaît la difficulté de remplir ces exigences: « Les tuteurs des orphelins sont des membres de leur famille comme par exemple des grands-parents … ces tuteurs ne veulent pas confier les enfants à des institutions. Les enfants et leurs tuteurs ne souhaitent pas être séparés pour de longues périodes et ne sont pas convaincus que les orphelinats soient un endroit sûr pour les enfants. »
L'article 4 de la Loi chinoise sur l'adoption définit les orphelins comme étant « les enfants de moins de 14 ans qui ont perdu leurs parents, ceux dont les parents sont introuvables et ceux dont les parents ont des difficultés particulières et sont incapables d'élever leurs enfants. » Même si l'article 43 de la Loi chinoise sur la protection des mineurs stipule que les orphelinats créés par le ministère des Affaires civiles ont la responsabilité de s'occuper des orphelins, la loi chinoise ne donne pas aux autorités gouvernementales le pouvoir de soustraire des enfants aux membres de leur famille pour les remettre aux soins de l'État, et ne prévoit aucune procédure juridique pour ce faire.
Les informations selon lesquelles des enfants sont placés dans des orphelinats contre la volonté de leur famille sont particulièrement alarmantes, étant donné la répression massive menée par le gouvernement contre l'identité culturelle des communautés minoritaires musulmanes turciques du Xinjiang, comme Human Rights Watch et d'autres organisations l'ont documenté. Dans les écoles, les autorités ont depuis longtemps interdit que les enfants reçoivent une éducation religieuse et ont progressivement marginalisé l'utilisation des langues vernaculaires, tout en poussant à l'utilisation du mandarin comme langue d'enseignement. Toutes les pratiques religieuses musulmanes ont été restreintes.
Le préambule de la Convention relative aux droits de l'enfant, que le gouvernement chinois a ratifié, reconnaît la famille comme le « milieu naturel » pour la croissance et le bien-être des enfants. En vertu de l’Article 9, les États parties doivent veiller à ce que « l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant ». Une telle détermination peut être nécessaire dans des cas particuliers, tels que ceux concernant des sévices ou de la négligence de la part des parents.
Même quand des arrangements particuliers sont nécessaires, la prise en charge d'un enfant par des membres de sa famille doit être privilégiée. Soustraire un enfant de la charge de sa famille est normalement une mesure de dernier ressort qui devrait, quand c'est possible, être prise à titre temporaire et pour la période la plus courte possible. Les responsables doivent s'assurer qu'un enfant capable d'avoir ses propres opinions ait le droit de les exprimer librement sur toutes les questions qui le concernent. L'opinion de l'enfant devrait être prise dûment en considération, compte tenu de son âge et de sa maturité.
Toutes les décisions concernant des solutions alternatives devraient prendre pleinement en compte la nécessité de principe de maintenir l'enfant aussi près que possible de son lieu habituel de résidence, de faciliter ses contacts et son éventuelle réinsertion au sein de sa famille, et de minimiser les perturbations dans la vie de l'enfant sur les plans éducationnel, culturel et social.
Alors que des informations sont parvenues ces derniers mois au sujet de violations massives et systématiques des droits humains au Xinjiang, les organes des Nations Unies, des gouvernements et d'autres entités ont exprimé publiquement leur préoccupation en ce qui concerne la politique de la Chine. Les États-Unis envisagent d'infliger des sanctions à divers responsables et entités du Xinjiang. L'Allemagne et la Suède ont suspendu temporairement les extraditions vers la Chine de membres chinois de l'ethnie ouïghoure. Mais les gouvernements devraient prendre des mesures plus fermes, notamment en créant une coalition internationale afin de recueillir des preuves de graves abus et de pousser pour que les responsables soient amenés à rendre des comptes, a déclaré Human Rights Watch.
« En envoyant sans motif valable des enfants du Xinjiang dans des institutions d'État, les responsables ajoutent au traumatisme de la campagne ‘Frapper fort’ de la Chine », a affirmé Sophie Richardson. « Les gouvernements qui n'étaient pas précédemment scandalisés par les actions de Pékin au Xinjiang devraient insister auprès de la Chine pour qu'elle change immédiatement de cap et limite les dégâts à long terme causés par ces mesures. »
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