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Communication au Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant à propos de la Mauritanie

Novembre 2017

Cette communication s’appuie principalement sur les recherches menées par Human Rights Watch dans la capitale Nouakchott en octobre 2017. Nous avons interrogé 15 familles parmi lesquelles figuraient plusieurs enfants des quartiers défavorisés de Nouakchott, et rencontré le directeur d’un centre d’enrôlement à l’état civil, ainsi que le ministre de l’Intérieur. Ces recherches se sont concentrées sur les implications que l‘absence d’enrôlement à l’état civil ont sur l’accès des enfants à l’éducation primaire et secondaire. Elle conclue sur la nécessité de protéger les élèves, enseignants et écoles durant les conflits armés. 

Contexte

En 2016-2017, le taux net de scolarisation à l’école primaire en Mauritanie était estimé à 80,4%, avec 35% seulement d’enfants passant du primaire au secondaire.[1] Bien que le gouvernement ait adopté un plan national de neuf ans pour développer le secteur de l’éducation, le manque d’infrastructures et de fournitures adaptées, la pénurie d’enseignants et la qualité des programmes d’enseignement dans les écoles publiques restent préoccupants.[2] Ces préoccupations ont récemment donné lieu à une mobilisation d’élèves du secondaire, dont les efforts de contestation auraient été adressés de façon répressive.[3]

En mai 2011, le gouvernement a lancé une campagne nationale d’ « enrôlement » biométrique à l’état civil.[4] L’enrôlement à l’état civil est devenu obligatoire depuis, pour tous les ressortissants et tous les résidents de Mauritanie.[5] Pour qu’un enfant puisse s’enrôler, ses représentants légaux doivent, au minimum, fournir le certificat de naissance de l’enfant, une copie de la carte d’identité nationale (ou un certificat de décès) des parents ou des personnes responsables de l’enfant, et une copie du certificat de mariage des parents.[6] Une fois qu’un enfant est enrôlé, il reçoit un numéro national d’identification, souvent nécessaire pour accéder aux services sociaux et de santé. Les formalités imposées par le processus d’enrôlement à l’état civil ne correspondent pas à la réalité sociale de certains groupes ethniques ou régions du pays où les naissances, les mariages et les décès n’ont jusqu’à récemment jamais été officiellement enregistrés par des officiers d’état civil.[7] Les familles qui ne peuvent fournir les documents exigés ou payer les frais de procédure, y compris les ressortissants mauritaniens, se trouvent alors privées d’état civil et des droits associés à celui-ci.

En juin 2017, la ministre des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille de Mauritanie a estimé que 44% des naissances n’étaient pas enrôlées. Cette absence d’état civil empêche les enfants d’obtenir les documents d’identité nationaux nécessaires pour intégrer le système éducatif.[8]

Enrôlement à l’état civil et accès à l’éducation (articles 3, 6, 11)

Enrôlement à l ’ état civil Toutes les personnes interrogées ont déclaré avoir cherché à plusieurs reprises à se faire enrôler ou à enrôler leurs enfants, et avoir échoué pour l’une des raisons suivantes : perte du certificat de naissance de l’enfant, erreur sur le numéro national d’identification qui leur a été attribué, incohérences entre les informations d’identité actuelles et les données recueillies en 1998 sur les ressortissants ayant alors participé au recensement national à l’étranger, père étranger ou père sans état civil (quel que soit l’état civil de la mère et les documents d’identité nationaux existants), enfant né hors mariage (« enfant naturel »), absence ou perte du certificat de mariage des parents, ou encore frais que ces personnes n’étaient pas en mesure de payer.

Les enfants doivent avoir été enrôlés et disposer de documents d’identité nationaux pour pouvoir s’inscrire à l’école publique. En 2016, le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Éducation ont adopté une circulaire conjointe adressée à tous les gouverneurs régionaux, qui prévoit qu’« aucun étudiant ne doit être inscrit dans un établissement d’enseignement public ou privé si le processus d’enrôlement n’a pas été réalisé tel que prévu par la loi ».[9] La circulaire prévoyait aussi que « nul ne sera autorisé à passer des épreuves ou examens nationaux à moins d’avoir réalisé les procédures d’enrôlement biométrique et de posséder une carte d’identité nationale ».[10]

A première vue, cette exigence n’est pas discriminatoire et Human Rights Watch n’a pas mené d’étude pour déterminer si certaines catégories de la population pouvaient être plus affectées que d’autres par cette interdiction. En revanche, il est clair qu’elle empêche de nombreux Mauritaniens issus de groupes socialement marginalisés et qui sont dans l’incapacité d’obtenir, pour des raisons administratives ou financières, un enrôlement à l’état civil, de s’inscrire dans les écoles publiques et de passer les examens nationaux.

Les parents interrogés par Human Rights Watch ont décrit l’enrôlement à l’état civil comme un processus « déroutant » et « qui prend beaucoup de temps ». Ils ont aussi dénoncé l’absence d’information adaptée de la part de l’administration et déploré les coûts liés à la procédure.

Obstacles à l ’ inscription dans les écoles publiques

De nombreuses familles ont déclaré à Human Rights Watch que lorsqu’elles voulaient inscrire leurs enfants à l’école primaire ou secondaire, l’administration scolaire leur demandait de fournir la preuve que l’enfant était enrôlé et possédait des documents d’identité nationaux, documents qui, en général, faisaient défaut comme mentionné plus haut. Les enfants qui se voient refuser l’admission à l’école publique ont deux options : faire une demande d’inscription dans une école privée, ou abandonner leurs études. Beaucoup de familles qui vivent dans un état de pauvreté extrême ne peuvent assumer les coûts d’une éducation privée pour leurs enfants.

Un petit nombre de familles sont parvenues à trouver de petits arrangements avec un enseignant ou un directeur d’école pour que leurs enfants puissent continuer à suivre des cours dans le public. Mais peu d’entre eux ont pu passer le « concours » (l’examen national de fin de cycle primaire) et aucun n’a été autorisé à passer les examens nationaux du secondaire (brevet ou baccalauréat).

Examens nationaux

Toutes les familles interrogées ont estimé qu’en l’absence d’état civil ou de documents d’identité nationaux, les examens nationaux représentaient pour elles un obstacle de taille dans l’avancement scolaire de leurs enfants. Les enfants sont tenus de passer trois examens nationaux dans le cadre de leur parcours scolaire en primaire puis en secondaire : le « concours » à la fin de l’école primaire ; le « brevet » à la fin du premier cycle du secondaire (collège) ; et le « baccalauréat » à la fin du second cycle du secondaire (lycée). Ces épreuves sont des examens sélectifs requis pour les enfants qui souhaitent s’inscrire dans le niveau supérieur. Plusieurs personnes interrogées ont déclaré avoir dû quitter l’école après avoir été empêchées de passer l’examen requis pour s’inscrire au collège au ou lycée. Dans de tels cas, les enfants doivent quitter l’école sans certification scolaire. Ils décident souvent de travailler et sont contraints de prendre des emplois à la fois peu qualifiés et précaires. En mai 2016, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance estimait que le pourcentage d’enfants de 5 à 14 ans qui travaillent en Mauritanie était d’environ 15%.[11]

Human Rights Watch recommande au Comité de demander au gouvernement de la Mauritanie:

  • Quel type de soutien, le cas échéant, est fourni aux familles qui n’ont ni les moyens financiers, ni les capacités de lecture et d’écriture nécessaires pour enrôler leurs enfants ? Depuis 2011, combien d’enfants se sont-ils vu refuser l’autorisation de passer un examen national parce qu’ils n’étaient pas enrôlés ?
  • Comment le gouvernement veille-t-il à ce que les élèves inscrits dans les écoles primaires et secondaires puissent passer des examens nationaux malgré l’absence d’enrôlement à l’état civil ?

Human Rights Watch recommande au Comité d ’ inviter le gouvernement à:

  • Clarifier les procédures d’enrôlement à l’état civil en donnant des explications concrètes sur les pièces justificatives requises et en fournissant un soutien financier, à l’échelle locale, aux candidats défavorisés .
  • Orienter les élèves dans le besoin et leur fournir une assistance administrative adaptée sur les procédures d’enrôlement à l’état civil, et ce au moins un an avant tout examen national du primaire ou du secondaire (concours, brevet, baccalauréat).
  • Permettre aux enfants nés ou résidant en Mauritanie de s’inscrire à l’école publique et de passer des examens nationaux indépendamment de l’état civil de leurs parents.

Protection de l’éducation durant les conflits armés (articles 11 et 22)

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a exhorté la Mauritanie à approuver la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, un engagement politique international qui définit les mesures concrètes que les États peuvent prendre pour mieux protéger l’éducation durant les conflits armés, notamment en utilisant les Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conf lits armés.[12] Les 745 militaires et 15 officiers d’état-major mauritaniens qui participent aux opérations de maintien de la paix de l’ONU sont déjà tenus de se conformer aux règles de l’ONU qui exigent de ne pas utiliser les écoles dans le cadre de leurs opérations.[13]

Human Rights Watch recommande au Comité de demander au gouvernement de la Mauritanie:

  • Quelles sont les protections offertes par les forces armées mauritaniennes pour décourager l’utilisation des écoles à des fins militaires ?

 Human Rights Watch recommande au Comité d ’ inviter le gouvernement à:

  • Approuver et mettre en œuvre la Déclaration sur la sécurité dans les écoles.
 

[1] Ministère de l'Éducation nationale de Mauritanie, « Annuaire des statistiques scolaires, Année scolaire 2016-2017 », non daté, http://www.education.gov.mr/spip.php?article625 (consulté le 28 novembre 2017), pages 9 et 69.

[2] Organisation des Nations Unies pour l’éducation, Base de données du droit à l'éducation, « Programme national de développement du secteur éducatif 2011-2020 », mai 2011, http://www.unesco.org/education/edurights/media/docs/8f4c95850184d9c2eb04241b448293ccf6d7daf5.pdf. Voir aussi Partenariat mondial pour l'éducation, « Mauritanie, » non daté, https://www.globalpartnership.org/fr/country/mauritanie (consulté le 20 novembre 2017). 3

[3] Voir par exemple Amadou Sy, « Grève du lycée de Sélibaby : Détention, négociations, promesses … », Le Reflet, 16 novembre 2017, http://www.lereflet.net/la-greve-lycee-de-selibaby-continue/ (consulté le 20 novembre 2017).

[4] La Loi 2011-003 a créé un registre national des populations qui résident en Mauritanie et a prévu la création de centres d’accueil des citoyens à travers le pays. Voir en particulier articles 2 et 5 de la Loi n°2011-003 abrogeant et remplaçant la loi n°96.019 du 19 Juin 1996 portant Code de l’État Civil. 

[5] Idem.

[6] Liste de documents fournis par le Directeur du centre d’accueil des citoyens du quartier de Sebkha à Nouakchott. Voir aussi Mariem Baba Ahmed, « Étude sur les obstacles à l’enrôlement à l’état civil, Programme d’Appui au Renforcement de l’État de Droit en République Islamique de Mauritanie », octobre 2016, p. 33 [ci-après, Baba Ahmed].

[7] Baba Ahmed, p. 43 et suiv. 

[8] Agence Mauritanienne d’Information, » Commémoration de la journée de l'enfant africain et de l'orphelin dans le monde musulman, » 16 juin 2017, http://fr.ami.mr/Depeche-41131.html (consulté le 20 novembre 2017).

[9] Circulaire conjointe du ministère de l’Éducation et du ministère de l’Intérieur de Mauritanie, 20 avril 2016.

[10] Idem. 

[11] Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) « Data : Monitoring the Situation of Children and Women, Child Labour, Current Status and Progress, » mai 2016 (en anglais) https://data.unicef.org/topic/child-protection/child-labour/# (consulté le 20 novembre 2017).

[12] Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, 597ème réunion, « Communiqué de presse », 10 mai 2016, http://www.peaceau.org/uploads/cps-597-comm-presse-children-armed-conflict.pdf (consulté le 15 juillet 2016) ; 615ème réunion, « Press Statement » (en anglais), 9 août 2016, http://www.peaceau.org/uploads/auc.psc.pr-615th-open-session-9august2016-1-.pdf (consulté le 9, octobre 2017) ; 692ème réunion, « Press statement » (en anglais), 13 juin 2017, http://www.peaceau.org/uploads/psc.692.pressstatement.ending.child.marriage.13.06.2017.pdf (consulté le 3 novembre 2017) ; Déclaration sur la sécurité dans les écoles, 28 mai 2015, http://www.protectingeducation.org/sites/default/files/documents/fr_safe_schools_declaration.pdf (consultée le 19 octobre 2016) ; Global Coalition to Protect Education from Attack (GCPEA), Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l’utilisation militaire durant les conflits armés, 18 mars 2014, http://www.protectingeducation.org/sites/default/files/documents/guidelines_fr.pdf (consultées le 19 octobre 2016).

[13] Manuel à l’usage des bataillons d’infanterie des Nations Unies, 2012, volume I, section 2.13, « Les militaires ne doivent pas utiliser les écoles dans le cadre de leurs opérations. »

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