Les événements des dernières semaines ont démontré l’urgence du travail de la Mission exploratoire de l’ONU (Fact-Finding Mission ou FFM).
Nous avons demandé à notre chercheur de terrain quel message nous devrions transmettre à la communauté internationale. Voici ce qu’il a répondu :
Dites-leur que l’État de Rakhine est toujours en feu.
Dites-leur qu’aujourd’hui, depuis la frontière avec le Bangladesh, j’ai vu six localités qui brûlaient, et des centaines de personnes arriver, complètement démunies, suppliant qu'on les aide pour trouver de quoi manger, un endroit pour s’abriter et des vêtements.
Dites-leur qu’ils étaient en larmes.
Dites-leur que j’ai parlé aujourd’hui à des villageois de Rathedaung qui m’ont dit que l’armée leur avaient dit de partir au Bangladesh, et que le lendemain, les militaires avaient encerclé le village sur trois côtés et avaient commencé à tirer sur les gens. Personne ne sait exactement combien de gens ont été tués ; beaucoup de leurs proches ont disparu. Ils ont passé sept jours à essayer de passer au Bangladesh. Maintenant ils sont ici, sans nulle part où aller, sans aucun pays qu’ils puissent considérer comme leur patrie.
Dites-leur que c’est une crise des plus graves qui soient et qu’elle ne fait que commencer.
On commence à comprendre pourquoi le Myanmar a indiqué qu’il refusait que la FFM pénètre sur son territoire. Si un État est impliqué dans un nettoyage ethnique, il a toutes les raisons de cacher au reste du monde ce qu’il est en train de faire. S’il était vrai au contraire, comme le clame le Myanmar, qu’il ne fait rien de mal, si la violence et la destruction à grande échelle étaient exclusivement l'œuvre d’activistes rohingyas et des villageois eux-mêmes, on pourrait penser que le gouvernement serait d’accord pour ouvrir l’accès au pays, pour collaborer avec des entités extérieures, afin de lever le voile de suspicion qui pèse sur lui.
Une chose est sûre cependant : si le gouvernement pense qu’il peut cacher ou effacer les traces de ce qui est en train de se passer dans l’État de Rakhine, il se fait des illusions. C’est oublier que nous vivons à une époque d’images satellitaires, de téléphones qui prennent des vidéos – et qu’il y a littéralement des centaines de milliers de témoins.
Si le gouvernement s’imagine que dans les mois à venir, le regard de la communauté internationale se détournera simplement vers d’autres crises, il fait une erreur grave et tragique. Un jour ou l’autre, la vérité éclatera, nous n’oublierons jamais et les responsables des événements de l’État de Rakhine devront rendre des comptes.
Le gouvernement dispose d’une seule chance, pour lui et pour son pays, s’il veut éviter que celui-ci devienne un État paria : il doit permettre à la FFM d’accéder à son territoire et il doit collaborer avec la communauté internationale pour faire cesser les abus, traduire les responsables en justice et s’attaquer aux causes profondes du drame.
Quant au Conseil des droits de l’homme, il ne peut pas rester les bras croisés. Il a pris la décision juste en créant la FFM il y a six mois, mais il doit à présent réagir à la catastrophe qui se déroule sous ses yeux. Il doit absolument – lors de la présente session – dénoncer les atrocités, prolonger le mandat de la FFM, renouveler son appel pour qu’elle accède au pays et demander à la FFM qu’elle fasse son rapport devant l’Assemblée générale.
L’intervalle de six mois qui nous sépare du prochain rapport, prévu en mars, représente une attente bien trop longue. Les Rohingyas n’ont peut-être pas six mois devant eux. Il est indispensable que la FFM fasse un rapport à l’Assemblée générale pour combler cet intervalle et veiller à ce que cette question demeure au cœur des préoccupations internationales, avant qu’il ne soit trop tard.