Mise à jour - Réponse du gouvernement marocain : Le 8 avril, le Ministère de la Communication marocain a répondu à deux éléments évoqués dans le communiqué de presse de Human Rights Watch publié le même jour. En clarification de la citation attribuée au Ministre de la Justice Mustapha Ramid, le Ministère a fait remarquer que « l’intention n’est pas de punir une personne homosexuelle parce qu’elle est homosexuelle » mais seulement si elle a commis un acte répréhensible par la loi, et si un tribunal la reconnaît coupable. Quant à l’expulsion des journalistes de la télévision française, le Ministère a fait remarquer que « l’administration est disposée » à délivrer des autorisations de filmer « si la chaîne le demande ». L’un des journalistes expulsés, Martin Weill, a expliqué que son équipe était en train de filmer sans autorisation car l’obtention d’une telle autorisation était un processus laborieux qui prenait des semaines et, quand le sujet suggéré déplaît aux autorités, elles sont rarement accordées.
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(Tunis) – Un tribunal marocain a condamné un homme et est en train de juger un second pour actes homosexuels, alors qu’ils ont été victimes d’attaques et de brutalités perpétrées par un groupe de jeunes dans la nuit du 9 mars 2016, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Ces derniers ont fait irruption au domicile de l’un des deux hommes dans la ville de Beni Mellal, les ont battus avant de les traîner nus dans la rue.
L'affaire a connu un retentissement international après l’apparition, le 25 mars, d’une vidéo en ligne montrant deux hommes nus recroquevillés, l'un d'entre eux couvert de sang, roués de coups de pied, et traînés à l'extérieur sous une pluie d’insultes homophobes et d’appels aux autorités – émanant manifestement des assaillants.
« Battus, couverts de sang et traînés nus en pleine rue, ces hommes ont ensuite été jetés en prison simplement en raison de leur vie privée », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Ce verdict risque de dissuader d’autres victimes de demander justice et et d’accroitre le nombre de crimes homophobes. »
Ces poursuites judiciaires démontrent la détermination des autorités marocaines à imposer les lois anti-homosexualité, même lorsque les actes en question se déroulent dans une résidence privée entre adultes consentants, et même après que des voisins les aient agressés en raison de leur orientation sexuelle supposée, a indiqué Human Rights Watch.
Le 15 mars, le tribunal de première instance de Beni Mellal a condamné l'une des victimes, A. B., pour « acte impudique ou contrenature avec un individu de son sexe », comme le stipule l'article 489 du code pénal, et pour « ivresse sur la voie publique ». L’accusé, qui selon sa déclaration de police, avait renoncé à un avocat, a été condamné à quatre mois de prison et à une amende de 500 dirhams (52 dollars) et est actuellement incarcéré. Le même tribunal a également condamné ce jour-là deux des assaillants pour voies de fait à deux mois de prison avec sursis.
Le 4 avril, cette juridiction a repoussé au 11 avril un deuxième procès lié au même incident. Les accusés sont A.R., que la police a arrêté deux semaines après l'incident et sur lesquels pèsent des chefs d’accusation identiques, ainsi que trois hommes et un mineur accusés de l'agression. Les cinq individus sont en détention préventive.
Human Rights Watch a exhorté les autorités à lever les chefs d’accusation contre A.R au titre de l'article 489., à annuler la condamnation d’A.B., et à abroger l'article 489 et toutes les lois qui pénalisent les actes sexuels consensuels entre adultes. L’article 24 de la constitution du Maroc stipule que « toutes les personnes ont droit à la protection de leur vie privée ».
Le 9 mars, les policiers sont arrivés en face de la maison d’A.B., dans un quartier défavorisé de la ville de Beni Mellal, située à 220 kilomètres au sud-est de Casablanca, en réponse à des signalements de violences, selon le rapport de police, que Human Rights Watch a pu consulter. Les individus impliqués s’étaient dispersés, mais la police a retrouvé plus tard A.R., visiblement ivre et blessé. Il leur a dit que l'incident était lié à un différend sur l'achat d'alcool, indique encore le rapport.
Mais le 11 mars, l'un des individus a déclaré à la police que l’incident avait débuté du fait que A.B. recevait A.R. à son domicile et que les deux hommes étaient homosexuels. Le 11 mars, la police a rendu visite à A.B., gérant d’un magasin de noix et de bonbons du quartier. A. B. a avoué avoir eu des relations sexuelles avec A.R. et être en état d'ébriété ce soir-là, toujours selon le rapport de police. Il a déclaré que les assaillants avaient escaladé un petit mur pour atteindre l'entrée de son domicile et l'agresser ainsi qu’A.R. La police a placé A.B. en garde à vue. Le 12 mars, il a fait à la police une déclaration officielle similaire, dans laquelle il identifie des voisins parmi ses agresseurs présumés, en fournissant leurs noms ou leurs surnoms. Le même jour, un médecin de l'hôpital de Beni Mellal a examiné A.B., concluant que ses blessures nécessitaient 22 jours de repos.
Le tribunal a cité les aveux d’A.B. au moment de le déclarer coupable. Il n'a pas expliqué la raison pour laquelle celui-ci a été reconnu coupable d’« ivresse sur la voie publique » alors que ce sont ses assaillants qui l’ont forcé à quitter son domicile. A. B. a fait appel de sa condamnation, a déclaré Brahim Hassala, un avocat qui le représente depuis le verdict.
La police a arrêté A.R. le 25 mars, et recueilli sa déclaration le lendemain. Il y décrit l'attaque subie à son domicile, identifie un homme qui l’aurait lacéré d’un coup de couteau à l’oreille et au doigt. Il reconnaît également avoir été ivre au moment des faits et s’être livré à des rapports sexuels avec A.B., selon la déclaration de la police.
Il n’est pas possible de déterminer à ce stade si l'un des deux hommes envisage de contester la teneur des rapports de police affirmant qu'ils ont avoué avoir des relations sexuelles l’un avec l'autre.
Dans une déclaration en date du 27 mars, l'un des agresseurs présumés, S.F., nie avoir pris part aux violences, tout en admettant avoir filmé l'incident à l’aide de son téléphone. La vidéo est toujours visible sur Facebook et YouTube. S.F. affirme avoir supprimé la vidéo immédiatement après l'incident et ne sait pas comment elle a pu être mise en ligne. Lui et trois autres individus, dont un mineur, sont en détention, dans l’attente de leur procès. Ils sont accusés de violation de propriété privée au titre de l’article 441 du code pénal, d'agression en vertu des articles 400-401 et d’un chef d'accusation relatif à la dissémination de « vidéo pornographique », ont précisé à Human Rights Watch les avocats à l’issue du procès.
À la veille de la session du 4 avril au tribunal, la police a arrêté une équipe de journalistes de l'émission de télévision française « Le Petit journal », alors qu’ils tentaient de filmer dans le quartier où a été perpétrée l'agression, dans le cadre d'un reportage sur les homosexuels au Maroc. La police les a reconduits à l'aéroport de Casablanca avant de les mettre dans un vol vers la France le lendemain matin.
Bien que son système judiciaire soit dépourvu de statistiques, le Maroc emprisonne fréquemment des hommes en invoquant l'article 489 du code pénal, qui prévoit des peines allant jusqu'à trois ans et des amendes s’élevant jusqu'à 1000 dirhams (soit 104 dollars). Les projets de révision du code pénal que le ministère de la Justice a présenté en 2015 maintiennent cette infraction et les peines de prison applicables, tout en augmentant le montant des amendes.
Cité par le magazine TelQuel à propos de cette affaire, le ministre marocain de la Justice, Mustapha Ramid, a affirmé que «la loi punit les homosexuels et les personnes qui agressent les autres ... S’il se trouve qu'ils sont homosexuels, le système de justice les punira, et s’il se trouve qu’ils sont agressés, leurs assaillants seront également sanctionnés ».
La loi marocaine ne pénalise pas le fait d’« être homosexuel », plus précisément : elle interdit les actes sexuels entre personnes de même sexe.
Les lois qui criminalisent les rapports homosexuels portent atteinte aux droits garantis par le Pacte international relatif aux droits politiques et civils, auquel le Maroc est partie, y compris les droits à la vie privée et à la non-discrimination. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire considère que les arrestations pour relations homosexuelles consentantes sont, par définition, arbitraires.
En réponse à l'affaire de l’agression à Beni Mellal, une vingtaine d’organisations non gouvernementales au Maroc ont appelé à l'abrogation de l’article 489 du code pénal.
« L’abrogation de l'interdiction des relations homosexuelles entre adultes consentants permettrait à la fois d’affirmer le droit à la vie privée des Marocains et de contribuer à protéger les victimes potentielles de crimes haineux », a conclu Sarah Leah Whitson.
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Canal+ "Le Petit Journal" 04.04.16