(Nairobi, le 24 avril 2014) – Les autorités kényanes n’ont pas enquêté de manière appropriée sur la vague d’attaques commises par des bandes organisées dans des villages de l’ouest du pays, pendant et après les élections de mars 2013, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les autorités devraient rouvrir l’enquête sur les attaques commises dans les comtés de Busia et Bungoma, et engager des poursuites contre les individus ayant commis ces attaques ou ayant apporté leur soutien à ces actes.
Le rapport de 33 pages, intitulé « “We Were Sent to Kill You”: Gang Attacks in Western Kenya and the Government’s Failed Response » (« “Nous avons été envoyés pour vous tuer”: Attaques de bandes armés dans l’ouest du Kenya et l’échec du gouvernement à y répondre »), qui s’appuie sur les recherches menées par Human Rights Watch dans les comtés de Busia et Bungoma, rassemble des informations sur les attaques perpétrées par des bandes criminelles composées de jeunes gens armés, dans neuf villages situés dans ces deux régions. Commises entre mars et juillet 2013, ces attaques n’ont suscité que peu de commentaires dans les médias. Armés de machettes, de gourdins et de haches, les agresseurs ont tué 10 personnes et en ont gravement blessé plus de 150.
« La police a totalement failli à son devoir d’enquêter de façon efficace sur les violences commises dans les comtés de Busia et Bungoma, » a affirmé Leslie Lefkow, directrice adjointe pour l’Afrique chez Human Rights Watch. « La police n’a pas relevé des preuves d’importance critique, et a totalement fermé les yeux sur les éléments indiquant que des bandes armées ont perpétré ces crimes pendant et après les élections de 2013 avec le soutien de certaines personnalités politiques. »
Le gouvernement devrait accélérer la réforme des services de police, et notamment renforcer leurs compétences en matière d’enquêtes, selon Human Rights Watch. Il devrait également fournir à la police des ressources suffisantes pour faire face aux activités des bandes armées et aux violences politiques qui affectent différentes régions du pays.
Human Rights Watch a interviewé 87 personnes, parmi lesquelles des victimes, des responsables gouvernementaux, des policiers, des hommes politiques et des activistes. Malgré une forte réaction initiale du gouvernement, la police n’a pas mené d’enquêtes adéquates sur les attaques, selon les conclusions de Human Rights Watch. Selon les apparences, celles-ci ont été organisées. Dans certains cas, les agresseurs ont extorqué de l’argent et des téléphones portables à leurs victimes, mais le vol ne semblait pas être leur motivation principale.
Une femme qui a survécu à une attaque dans le quartier de Makutano, dans la ville de Bungoma, a déclaré : « Pendant que l’un d’entre eux me frappait, deux membres du gang sont allés chercher mon mari. Ils se sont mis à le frapper. Après un moment, j’ai vu mon mari étendu au sol. Mes enfants m’ont raconté plus tard qu’ils ont vu l’un des membres du gang attraper une hache et l’abattre sur leur père jusqu’à le tuer. »
Dans certains cas les agresseurs ont dit à leurs victimes qu’elles avaient « mal voté », ce qui laisse croire à un mobile politique. Cependant, les victimes ont témoigné avoir soutenu différents partis aux élections, et on ne sait encore que peu de chose sur les liens possibles avec le monde politique. Certaines des personnes interviewées ont affirmé que des patrons d’entreprises locales ainsi que des personnalités politiques auraient appuyé les gangs qui ont commis les attaques.
Le gouvernement kényan a promulgué en 2010 une Loi sur la prévention des crimes organisés, destinée à fournir les bases juridiques nécessaires à la police pour faire face à ces bandes armées. A Bungoma et à Busia, cependant, les policiers n’ont pas appliqué cette loi. Ils n’ont apparemment même pas recueilli les déclarations des témoins ni ne se sont déplacés sur les scènes de crime.
L’intensité des violences généralisées qui ont suivi les élections de décembre 2007 au Kenya a été attribuée à l’omniprésence de gangs que les politiciens pouvaient facilement engager ou financer. Les autorités kényanes se sont engagées à prendre des mesures pour mettre fin aux activités des bandes armées avant les élections de 2013, et ont promulgué la loi de 2010.
Cependant, malgré cette loi, les autorités n’ont ni enquêté ni poursuivi les gangs de façon adéquate, selon Human Rights Watch. Un rapport publié par le procureur général en août 2013 a conclu à la présence de 46 bandes armées sur le territoire national, contre 33 en 2010. Ce rapport ne mentionne pas les gangs qui ont sévi à Busia et à Bungoma.
« L’augmentation du nombre de gangs est une tendance inquiétante », a déclaré Leslie Lefkow. « Les autorités kényanes doivent de toute urgence s’attaquer au problème des violences perpétrées par des bandes armées, et elles devraient commencer par enquêter sur les attaques commises à Busia et Bungoma. »