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Liban : Les femmes réfugiées en provenance de Syrie sont harcelées et exploitées

Le manque d’aide et l’absence de recours accroissent leur vulnérabilité

(Beyrouth, le 27 novembre 2013) – Des femmes réfugiées en provenance de Syrie sont harcelées sexuellement par des employeurs, des propriétaires et même des membres d’organismes d’aide confessionnels au Liban, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Human Rights Watch a recueilli les témoignages de douze femmes qui ont indiqué avoir fait l’objet d’attouchements, de harcèlement et de pressions en vue d’obtenir des relations sexuelles.

Les femmes auprès de qui Human Rights Watch a mené ces entretiens ont expliqué ne pas avoir signalé ces incidents aux autorités locales car elles doutaient que les autorités prendraient des mesures, et aussi par crainte de représailles de la part des agresseurs, ou même d’arrestation pour non-possession d’un permis de séjour valable.

« Les femmes ayant réussi à échapper à la mort et à la destruction en Syrie devraient trouver au Liban un refuge sûr, au lieu d’être confrontée à des abus sexuels », a déclaré Liesl Gerntholtz, directrice de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Le gouvernement libanais et les organismes d'aide devraient ouvrir les yeux sur le harcèlement sexuel et l'exploitation de ces réfugiées vulnérables, et prendre toutes les mesures requises pour y mettre fin. »

Douze femmes réfugiées en provenance de Syrie, interrogées individuellement en août et septembre 2013, ont affirmé à Human Rights Watch qu'elles avaient été victimes d'agression sexuelle, de harcèlement, ou de tentative d'exploitation sexuelle, parfois à plusieurs reprises, par des employeurs, des propriétaires, des membres d’organismes d’aide confessionnels, ainsi que des membres de la communauté à Beyrouth, dans la Bekaa et dans le nord et le sud du Liban. Huit de ces femmes sont veuves, célibataires, ou se trouvent au Liban sans leurs maris. Les douze femmes sont inscrites comme réfugiées auprès du HCR, l'agence des réfugiés des Nations Unies.

Hala, âgée de 53 ans et originaire de Damas, qui a affirmé que son mari est détenu par le gouvernement syrien, a fait le ménage dans des maisons d’une banlieue de Beyrouth de manière à subvenir à ses besoins et à ceux de ses quatre enfants. Elle a expliqué à Human Rights Watch qu'elle a été victime de harcèlement sexuel ou de tentative d'exploitation dans neuf des 10 foyers où elle avait travaillé. Ses employeurs ont essayé de toucher ses seins, de la contraindre à avoir des rapports sexuels ou d’obtenir la main de sa fille âgée de 16 ans en mariage, a-t-elle expliqué : « Ils disaient : ‘Nous allons te donner plus d'argent en échange d’un acte sexuel ou si tu nous donnes ta fille’. »

Hala a indiqué qu’elle rejette maintenant les offres d'emploi et dépend d'une église pour obtenir de l'aide. Elle a affirmé ne pas avoir signalé les incidents aux autorités libanaises ni à l'ONU, car elle ne croyait pas qu'elles l'aideraient.

Zahra, âgée de 25 ans et originaire de Homs, qui vit avec ses parents et ses frères et sœurs dans le nord du Liban, a expliqué à Human Rights Watch que son employeur dans un magasin de vêtements l’a saisie par derrière, a touché ses seins et a fait pression sur elle pour avoir des relations sexuelles. Elle a quitté son emploi, mais a déclaré avoir été harcelée sexuellement par deux autres commerçants pour qui elle a travaillé. Après le troisième incident, elle est devenue dépressive et a cessé de travailler. La famille de Zahra avait compté sur son revenu pour payer leur loyer mensuel de 300 dollars.

Zahra a indiqué avoir déclaré l'un des incidents à une intervenante du HCR, qui l’a réconfortée, mais a affirmé qu'elle ne pouvait rien faire de plus. Zahra a estimé qu'elle ne pouvait pas signaler les incidents aux autorités locales parce qu'elle et les membres de sa famille n'ont pas de permis de séjour valables. « Je ne peux pas aller à la police parce que mon permis a expiré et je n'ai pas l'argent pour le renouveler », a-t-elle déclaré.

Le Liban a largement accueilli les réfugiés syriens, les exemptant de la taxe d'entrée normale pour les étrangers et ne les a pas astreints à séjourner dans des camps de réfugiés. Cependant, les abris et les moyens de subsistance limités provoquent l'insécurité financière et exposent les réfugiées à l'exploitation aux mains de propriétaires privés, d’employeurs et de distributeurs d'aide informels. Le manque de documents appropriés accentue leur vulnérabilité.

Pour les réfugiés en provenance de Syrie qui entrent dans le pays officiellement, le Liban accorde un permis de séjour de six mois gratuit avec un prolongement possible de six mois. Au bout d’un an, un réfugié, tout comme les autres étrangers au Liban, doit payer 200 dollars US par an pour un permis – une somme impossible à réunir pour un grand nombre de réfugiés. Sans permis de résidence, les réfugiés s’exposent à une arrestation.

À la date du 20 novembre, selon le HCR plus de 824 000 réfugiés en provenance de Syrie étaient inscrits ou en attente d’inscription au Liban. Le HCR estime que les réfugiés en provenance de Syrie vont bientôt constituer un quart de la population du Liban. Les citoyens libanais, déjà confrontés à un marché du travail fragile, sont les premières victimes de l'augmentation du chômage et de l’épuisement des ressources, comme le montre une récente évaluation de la Banque mondiale.

La plupart des réfugiés occupent des logements loués, tandis que d'autres vivent dans des campements informels, ou bien louent ou squattent des bâtiments abandonnés ou inachevés. Les femmes, en particulier celles dont les foyers dépendent de leur soutien, peuvent être réduites à accepter des situations d’emploi ou de logement en dépit de l'exploitation et du harcèlement sexuels.

Alors que le Liban lutte pour faire face à l'afflux massif de réfugiés en provenance de Syrie, les gouvernements donateurs devraient accroître sensiblement leur financement pour le logement, la nourriture, les soins de santé et les besoins de base des réfugiés afin de réduire la vulnérabilité à l'exploitation, selon Human Rights Watch.

Le gouvernement libanais et les Nations Unies devraient améliorer les mécanismes de dépôt de plaintes pour abus sexuels et s'assurer que les réfugiées ne soient pas punies pour le seul fait de déposer une plainte, a ajouté Human Rights Watch. Les femmes réfugiées ne sont pas les seules femmes au Liban à souffrir en raison de systèmes inadéquats pour dénoncer le harcèlement et les abus sexuels, mais elles sont parmi les plus vulnérables et sont souvent particulièrement réticentes à signaler les abus en raison de leurs ressources limitées et de leur statut légal précaire.

Jusqu'à présent, l'unité de protection du HCR a utilisé la médiation et des mesures ad hoc, telles que l'aide d'urgence en espèces à des fins de location, pour lutter contre le harcèlement ou l'exploitation sexuelle. Un agent de la protection du HCR a déclaré à Human Rights Watch que l'agence envisage un partenariat avec une organisation non gouvernementale locale afin de fournir une assistance juridique aux réfugiées qui ont été victimes de violence sexiste au Liban, mais n’a pas pu donner de date prévue pour le démarrage de ce partenariat.

Le coordonnateur de la protection a affirmé qu’en août le HCR a aidé le ministère des Affaires sociales, qui traite le harcèlement sexuel, les agressions et les cas d'exploitation déclarés dans les centres de développement social étatiques, à choisir des personnes ressources pour les cas situés dans la partie nord du pays, Beyrouth, le Mont-Liban, la Bekaa et le sud. Les responsabilités de ces personnes ressources comprennent la surveillance et le signalement sur les abus sexuels et sexistes.

Un responsable du ministère a indiqué que, depuis que des points focaux ont été établis, le ministère a traité un cas d'exploitation sexuelle et de harcèlement de plusieurs femmes réfugiées par un employé d'une organisation d’aide locale confessionnelle. Le ministère a renvoyé cette affaire au mufti de la région, l'autorité religieuse sunnite. Le travailleur humanitaire a été renvoyé, mais l'affaire n'a pas été remise à la police ni aux prestataires d'assistance juridique et il n'y a pas eu d'enquête.

Si la mise en place de personnes ressources est utile, le ministère devrait veiller à ce que ces employés soient bien formés sur la façon de soumettre les affaires, notamment à l'aide juridique et la façon d’aider les réfugiées à déposer des plaintes officielles auprès des autorités. Le HCR et le ministère des Affaires sociales devraient veiller à ce que les personnes ressources gouvernementales et les travailleurs sociaux de l'ONU agissent en coordination pour traiter les cas impliquant des réfugiées.

Le ministère des Affaires sociales devrait établir et mettre en œuvre des procédures de fonctionnement pour répondre aux cas impliquant des réfugiées, a déclaré Human Rights Watch. Cela devrait inclure, avec le consentement de la victime, des références à des services de santé, psychosociaux et juridiques en conformité avec les lignes directrices du Comité permanent interorganisations contre la violence sexiste dans les opérations humanitaires, qui sont acceptées comme la norme internationale par l'ONU, le gouvernement et les organismes d'aide.

Le Liban n'est pas signataire de la Convention de 1951 sur les réfugiés, mais le gouvernement devrait intégrer le statut de réfugié dans sa législation nationale et éliminer la taxe de renouvellement de permis de séjour pour tous les réfugiés, selon Human Rights Watch. Les autorités libanaises devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire en évitant de détenir ou d’arrêter les réfugiées non munies de documents lorsqu’elles signalent des crimes.

Le gouvernement libanais, par le biais de ces ministères, et le HCR devraient informer clairement les réfugiées qui ont été victimes de harcèlement sexuel et d'exploitation sexuelle de leur droit de déposer une plainte, de la façon de déposer cette plainte et dont le processus judiciaire en résultant fonctionne. Ces organismes devraient s'assurer que les plaintes soient examinées et les agresseurs tenus de rendre des comptes. Les ministères des Affaires sociales et de l’Intérieur devraient établir des voies d'aiguillage entre les fournisseurs de services sociaux du gouvernement et la police. Les autorités devraient envisager d’assurer l'immunité contre les poursuites pour violations du droit de l'immigration aux femmes qui coopèrent dans la poursuite de personnes accusées de violence sexuelle et sexiste.

En collaboration avec le HCR et les organisations humanitaires internationales, le Liban devrait améliorer les mécanismes de protection en établissant et en exigeant le respect de la réglementation pour les fournisseurs privés de logement, d'emploi, d'aide humanitaire et d'autres services pour les réfugiés. Pour réduire les pratiques d'exploitation, le Liban devrait élaborer et appliquer des normes de fonctionnement pour les abris de réfugiés informels.

L’apport de tous les fonds promis et l’augmentation de l'aide des gouvernements donateurs sont également nécessaires de toute urgence, a ajouté Human Rights Watch. Selon le HCR, au 31 octobre l'appel de 1,2 milliard de dollars US pour les réfugiés au Liban était financé à seulement 51 pour cent. Le 1er novembre, le HCR a commencé à éliminer l’assistance de base pour 30 pour cent des réfugiés de la Syrie au Liban en raison de l'insuffisance du financement.

Les gouvernements de pays tels que le Brésil, la Chine, la Russie, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dont les contributions à l' appel de l'ONU pour l'aide aux réfugiés ont été minimes, devraient augmenter le financement pour répondre aux besoins fondamentaux des réfugiés.

« La communauté internationale devrait fournir les ressources nécessaires pour éviter aux femmes réfugiées d'avoir à choisir entre subir la violence sexuelle et subvenir aux besoins de leurs familles », a conclu Liesl Gerntholtz. « Le gouvernement libanais et les agences humanitaires doivent mettre en place des systèmes qui protègent et aident les femmes réfugiées qui signalent les abus. »

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