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Somalie: Il faut protéger les personnes déplacées vulnérables

Le nouveau gouvernement devrait réparer les injustices et les abus commis dans le passé

(Nairobi, le 27 mars 2013) – Des membres des forces de sécurité de la Somalie et des groupes armés ont commis des viols, des violences et d’autres exactions à l'encontre de Somaliens déplacés arrivés dans la capitale, Mogadiscio, après avoir fui la famine et le conflit armé depuis 2011, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Le nouveau gouvernement somalien devrait améliorer d'urgence la protection et la sécurité des personnes déplacées vivant à Mogadiscio.

Ce rapport de 80 pages, intitulé  « Hostages of the Gatekeepers: Abuses against Internally Displaced in Mogadishu, Somalia »(« Otages des gardiens : Exactions subies par les personnes déplacées à Mogadiscio, en Somalie ») décrit les graves violations des droits humains, comprenant sévices physiques, restrictions imposées aux déplacements et à l'accès à la nourriture et au logement, et diverses discriminations basées sur l'appartenance clanique, commises contre les personnes déplacées à Mogadiscio entre le milieu de 2011, au plus fort de la famine, et la fin de 2012. Des entretiens avec 70 personnes déplacées ont permis de documenter comment les forces gouvernementales, les milices qui leur sont alliées et certains particuliers, notamment des directeurs de camps surnommés les « gardiens » (« gatekeepers »), s'en prennent à cette communauté vulnérable.

« Au lieu de trouver un refuge qui les mette à l’abri des combats et de la famine, de nombreux Somaliens déplacés qui sont venus à Mogadiscio n'ont trouvé qu'hostilité et mauvais traitements », a déclaré Leslie Lefkow, directrice adjointe de la division Afrique. « Le nouveau gouvernement somalien devrait remédier sans tarder aux échecs du gouvernement précédent, améliorer la protection des personnes déplacées et faire rendre des comptes aux responsables des violations, qu'ils soient membres des forces armées ou non. »

La Somalie émerge peu à peu d'un conflit qui a duré deux décennies. En 2011, une famine catastrophique est survenue, sous l'effet combiné de trois facteurs : les combats entre le Gouvernement fédéral de transition somalien (GFTS) et la force de l'Union africaine (AMISOM) d'une part et le groupe islamiste armé al-Chabaab d'autre part, la sécheresse persistante et les obstacles entravant l'accès des civils à l'aide humanitaire. Des dizaines de milliers de personnes ont alors fui la région centre-sud de la Somalie pour se réfugier à Mogadiscio, où beaucoup vivent encore dans des camps.

Les viols et autres agressions sexuelles à l’encontre de femmes et de filles déplacées, y compris par des soldats gouvernementaux et des miliciens, ont constitué un énorme problème dans l'environnement non protégé des camps, a constaté Human Rights Watch. De nombreuses victimes de violences sexuelles n'en informent pas les autorités, de peur de représailles de la part de leurs agresseurs et de la stigmatisation social liée au viol, et parce qu'elles ont très peu confiance dans le fonctionnement de la justice. Le père d'une jeune femme qui affirme avoir été violée par quatre soldats a déclaré à Human Rights Watch: « Nous n'avons pas essayé d'aller en justice car le commandant du camp nous faisait subir des tracasseries à l'époque où ma fille a été violée. Comment pouvons-nous faire confiance à qui que ce soit ici? Nous sommes obligés de nous taire. »

Les « gardiens » et les miliciens qui contrôlent les camps ont également détourné et volé de l'aide alimentaire destinée aux résidents des camps souffrant de la famine. Une résidente âgée de 30 ans a ainsi décrit la situation critique dans laquelle se trouve sa famille: « Il n'y a rien de pire que notre situation actuelle. Aujourd'hui, tout ce que nous voulons, c'est trouver une voiture et retourner dans nos villages car tant qu'à mourir de faim, j'aime autant que ce soit dans mon village qu'ici; la mort, c'est toujours la mort. »

Les « gardiens » ont parfois empêché des résidents du camp de partir, afin d'attirer davantage d'aide humanitaire, que les portiers peuvent alors détourner à leur propre profit. Une femme a déclaré à Human Rights Watch: « Si nous tentons de quitter le camp, elle [la gardienne] nous prend nos tentes. Nous n'avons pas de bâche en plastique, ni d'autre abri et aucun autre endroit pour dormir. Donc, nous sommes forcés de rester ici comme otages, tant que personne ne vient nous porter secours. »

Les communautés Rahanweyn et Bantou, qui proviennent des régions les plus durement frappées par la famine, ont été particulièrement vulnérables aux abus. Les « gardiens » et les membres des groupes armés, y compris des milices alliées au gouvernement, les traitent comme des citoyens de seconde classe, les passent à tabac, les insultent et les soumettent généralement à un régime répressif.

Le gouvernement fédéral de transition est le premier responsable de la non-protection des personnes déplacées et du fait que les auteurs de violations des droits humains n'ont pas été amenés à rendre des comptes, mais les gouvernements des pays donateurs impliqués en Somalie n'ont pas fait de ces questions une priorité. Les bailleurs de fonds internationaux, y compris les organisations humanitaires, devraient exercer un droit de regard plus strict sur la manière dont leur aide est utilisée.

« Le nouveau gouvernement devrait tirer la leçon des échecs du gouvernement de transition et fournir une protection concrète aux personnes déplacées, qui sont parmi les citoyens somaliens les plus vulnérables », a ajouté Leslie Lefkow. « Les bailleurs de fonds devraient souligner que faire rendre des comptes aux forces de sécurité pour toute exaction commise contre les personnes déplacées est essentiel pour améliorer la sécurité et l'État de droit à Mogadiscio. »

Le nouveau gouvernement somalien, qui a remplacé le Gouvernement fédéral de transition en août 2012 à l'issue d'un processus électoral parrainé par les Nations Unies, a annoncé son intention de faire déménager les dizaines de milliers de personnes déplacées vivant dans la capitale, au cours de l'année 2013. Le gouvernement devrait faire en sorte, conformément au droit international, que ces déménagements s'effectuent sur une base volontaire, dans la sécurité et la  dignité, et que des forces de  police compétentes assurent la sécurité sur les lieux de la réinstallation.

Les organisations humanitaires estiment qu’entre 180.000 et 370.000 personnes déplacées vivent à Mogadiscio, des chiffres plus précis n'étant pas disponibles car ces personnes n'ont jamais été officiellement enregistrées. Le manque d'informations sur cette communauté déracinée souligne la nécessité pour le gouvernement, les Nations Unies et les organisations humanitaires d'effectuer une opération de profilage pour déterminer les besoins de ses membres. Cela permettrait d'identifier les personnes les plus vulnérables – comme les familles dont une femme porte la responsabilité, les enfants non accompagnés, les personnes âgées et les handicapés – avant la mise en œuvre d'un plan de déménagement et de réinstallation.

La réponse du gouvernement aux principaux problèmes affectant les personnes déplacées a été jusqu'ici mitigée. Même si de hauts responsables du gouvernement, dont le président Hassan Sheikh Mohamud, ont pris publiquement l'engagement méritoire de s'occuper du problème des exactions, y compris des viols commis par les forces gouvernementales, cet engagement doit encore se traduire dans les faits. Les poursuites pénales lancées récemment contre une femme déplacée – qui affirme avoir été violée par des soldats gouvernementaux – et contre un journaliste qui avait réalisé un entretien avec elle, constituent un développement profondément troublant.

L'intention proclamée par le gouvernement d’achever le relogement des personnes déplacées d'ici au 20 août, date du premier anniversaire de la fin du gouvernement de transition, malgré l'énorme défi que constitue l'organisation de l'assistance et de la protection sur les sites de réinstallation des déplacés, fera courir à ces derniers un risque accru d'être de nouveau victimes de mauvais traitements et d'abandon, a averti Human Rights Watch.

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