(Abou Dabi, le 25 novembre 2011) – Les autorités des Émirats arabes unis (E.A.U.) n’ont pas enquêté sur une campagne de menaces de mort, de diffamation et d'intimidation menée à l’encontre de cinq militants émiriens emprisonnés, affirme un rapport indépendant publié aujourd'hui. Le rapport, rédigé pour le compte du Centre du Golfe pour les droits humains (GCHR) avec l’appui de recherches effectuées par Human Rights Watch, documente des menaces, notamment des menaces de mort, de la part de sympathisants du gouvernement et l'atmosphère d'impunité dans laquelle elles ont été proférées.
Ces militants, que leurs amis appellent les « cinq des E.A.U. », ont été arrêtés début avril 2011 et sont en procès à Abou Dabi, accusés d'avoir « publiquement insulté » de hauts responsables des Émirats arabes unis. La Cour suprême fédérale, en charge de l'affaire, a indiqué qu'elle rendrait son verdict le 27 novembre. Charlotte Peevers, une experte juridique britannique et auteure du rapport, a effectué des recherches à ce sujet aux Émirats arabes unis fin octobre et début novembre, avec l’aide d’un représentant de Human Rights Watch.
« Depuis leur arrestation, ces militants pacifiques ont été soumis à une série de menaces et d'intimidations, avec l'assentiment manifeste des autorités émiriennes », a déclaré Charlotte Peevers. « En ne menant pas d’enquête sur ceux qui interfèrent avec la justice et menacent la vie de ces personnes, les autorités des E.A.U. attirent davantage d'attention sur la motivation politique de ce procès. »
Les cinq militants, dont le procès a débuté le 14 juin, sont Ahmed Mansoor, ingénieur et blogueur, Nasser bin Ghaith, économiste et enseignant à l’Université Paris-Sorbonne-Abou Dabi, et des cyber-activistes Fahad Salim Dalk, Ahmed Abdul-Khaleq et Hassan Ali al-Khamis.
Tous les cinq sont accusés en vertu de l'article 176 du code pénal, qui criminalise le fait d'insulter publiquement de hauts responsables, pour avoir utilisé le forum politique en ligne interdit « E.A.U. Hewar ». L'affaire étant placée sous le coup des procédures étatiques de sécurité, il n'y a pas de droit d'appel. Human Rights Watch a examiné les messages prétendument postés par les accusés, qui se contentent de critiquer la politique du gouvernement ou des responsables politiques. Il n'existe aucune preuve que ces personnes ont utilisé ou incité à la violence dans le cadre de leurs activités politiques.
Charlotte Peevers a indiqué que les familles des cinq hommes et un de leurs avocats ont déposé plus d'une dizaine de plaintes, chacune étayée par des documents et comportant dans certains cas les noms des personnes ayant proféré les menaces. Le procureur et les autorités policières ont systématiquement ignoré ces plaintes en dépit de leur obligation de mener des enquêtes et d’engager des poursuites dans les cas d'infractions pénales présumées.
Charlotte Peevers a déclaré que, en ignorant des crimes flagrants au regard du droit national et en permettant à la campagne d’intimidation de se poursuivre sans relâche, les autorités émiriennes n’ont pas respecté les principes fondamentaux du droit émirien et du droit international.
La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l'homme prévoit que les pays doivent « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de toute personne contre toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire » en raison de leur participation dans des activités en rapport avec les droits humains.
« Ces menaces cherchent non seulement à intimider les « cinq des E.A.U. », mais également à saper le processus judiciaire en influençant les décisions judiciaires », indique le rapport.
Les militants disent également avoir subi harcèlement, maltraitance et abus au cours de leur détention ainsi que lors de leur arrestation en avril. Les circonstances dans lesquelles les accusés ont été arrêtés, se sont vu refuser la liberté sous caution et ont été maintenus en détention préventive violent les droits fondamentaux en vertu de la Constitution des E.A.U. ainsi que du droit international auquel les E.A.U. sont un État partie, ont déclaré le GCHR et Human Rights.
Le GCHR et Human Rights Watch ont appelé les autorités des E.A.U. à ouvrir une enquête sur ces menaces et à demander des comptes aux auteurs de ces actes. Ils ont également exhorté les Émirats arabes unis à se conformer aux normes internationales pour protéger les droits des personnes détenues et les détenir dans des conditions qui ne causent pas de souffrances indues.
Une coalition internationale d’organisations de défense des droits humains, dont sont membres le GCHR et Human Rights Watch, ainsi que Alkarama (Dignité), Amnesty International, le Réseau arabe d'information sur les droits humains (ANHRI), Front Line Defenders et Index on Censorship, a déclaré que les poursuites engagées contre les cinq hommes violent les garanties de liberté d'expression de la Constitution des Émirats arabes unis ainsi que le droit international des droits humains.
Depuis le 13 novembre, les militants ont entamé une grève de la faim pour protester contre les violations de leurs droits fondamentaux par le pouvoir judiciaire, par l’accusation et par les fonctionnaires de la prison, notamment leur détention prolongée pour des motifs politiques et un procès manifestement inéquitable. Par ailleurs, ils seraient en mauvaise santé, selon un avocat de la défense.
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Contexte
Le droit à un procès équitable de ces militants a été violé, a déclaré la coalition d’organisations de défense des droits humains. Le tribunal n'a permis aux prévenus d'examiner les preuves et les accusations portées contre eux que six mois après leur arrestation. Le tribunal n'a pas permis aux avocats de la défense de contre-interroger l’un des témoins de l'accusation et n'a pas fourni suffisamment de temps pour contre-interroger les autres. Sans aucune explication, les autorités ont interdit l’accès des quatre premières audiences au public, aux journalistes, aux observateurs internationaux et aux familles des accusés. À plusieurs reprises, le tribunal a refusé ou omis de statuer sur les demandes de placer les accusés en liberté sous caution, bien qu’aucun d’entre eux ne soit accusé d'une infraction avec violence et que les autorités n'ont pas suggéré qu'ils présentent un risque de fuite.
Le code pénal des Émirats arabes unis autorise le gouvernement à emprisonner des personnes pour avoir simplement exprimé pacifiquement des points de vue critiques, en violation du droit international des droits humains relatif à la liberté d'expression. L'article 176 du Code pénal autorise une condamnation allant jusqu'à cinq ans de prison pour « quiconque insulte publiquement le Président, le drapeau ou l’hymne national de l'État. » L’article 8 élargit l'application de cette disposition afin d’inclure le vice-président et les membres du Conseil suprême de la fédération, entre autres.
Ahmed Mansoor est confronté à des accusations supplémentaires d'incitation à enfreindre la loi, d’appel à un boycott des élections et d’appel à des manifestations. En mars, peu avant son arrestation, il a publiquement soutenu une pétition signée par plus de 130 personnes préconisant des électionsau suffrage universel direct pour le Conseil national fédéral (FNC), un conseil consultatif du gouvernement, et des pouvoirs législatifs pour ce Conseil. Avant son arrestation, il a donné de nombreuses interviews à la télévision et dans d'autres médias à ce sujet. Ahmed Mansoor est membre du comité consultatif de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et du réseau de l'ANHRI.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) soutient que « chacun doit avoir le droit à la liberté d'expression, (...) de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes sortes. » Bien que les E.A.U. ne soient pas un État partie au PIDCP, ils tiennent compte de normes internationales faisant autorité, qui permettent des restrictions fondées sur le contenu seulement dans des circonstances extrêmement étroites, comme les cas de diffamation ou de fausses accusations contre des personnes privées ou de propos menaçant la sécurité nationale.
L'article 32 de la Charte arabe des droits de l'homme, que les E.A.U. ont ratifiée, garantit le droit à la liberté d'opinion et d'expression, et de transmettre des nouvelles à d'autres par tout moyen. Les seules restrictions que la charte permet sur la pratique de ce droit sont celles qui sont imposées pour « le respect des droits des autres, leur réputation ou la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique, ou de la moralité publique. » L’article 13 (2) de la charte exige également que les audiences judiciaires soient « publiques à part [excepté] dans des cas exceptionnels où les intérêts de la justice l'exigent, dans une société démocratique qui respecte la liberté et les droits humains. »