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Maroc : Des militants sahraouis détenus depuis déjà 18 mois attendent toujours leur verdict

Les ajournements de procès et les preuves limitées font redouter que les poursuites aient un motif politique

(New York, le 9 avril 2011) - Trois militants du Sahara occidental sont en détention provisoire depuis 18 mois, suite à de nombreux ajournements de leur procès, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Leur procès, sur des accusations d'avoir « porté atteinte à la sécurité intérieure [du Maroc] », a avancé par à-coups, et des preuves limitées ont été produites contre eux. Quatre co-accusés sont en liberté provisoire.

La police a arrêté les six hommes et une femme le 8 octobre 2009, dès leur retour des camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie, où ils s'étaient rendus en visite. Contrairement aux précédentes visites familiales discrètes aux camps de réfugiés effectuées par des Sahraouis venus du territoire disputé du Sahara occidental sous contrôle du Maroc, cette délégation y a ouvertement rencontré des responsables du Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui qui dirige un gouvernement en exil et administre les camps.

« Le tribunal jugeant les sept militants sahraouis devrait, sans aucun report arbitraire supplémentaire, émettre un verdict qui fournit de façon adéquate les preuves et le raisonnement qui le motivent », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Les sept prévenus ont été initialement mis en examen par un juge d'instruction du tribunal militaire, accusés d'avoir « porté atteinte à la sécurité extérieure de l'État ». Le juge a finalement renvoyé l'affaire devant un tribunal civil qui doit se prononcer sur l'accusation moins lourde qu'est « porter atteinte à la sécurité intérieure ».


Brahim Dahane, Ali Salem Tamek et Ahmed Naciri sont toujours en prison, alors que Degja Lachgar, Yahdih Etarrouzi, Rachid Sghaier et Saleh Lebaihi sont en liberté provisoire.

Le procès a commencé le 15 octobre 2010, un an après leur arrestation, mais le tribunal de première instance de Aïn Sbaâ l'a immédiatement reporté car les autorités avaient omis de transporter les trois détenus depuis la prison jusqu'à la salle d'audience. Le 5 novembre, le tribunal a ajourné le procès de six semaines supplémentaires, après qu'un fort contingent de spectateurs pro-marocains à l'intérieur et à l'extérieur de la salle d'audience avaient scandé des slogans et agressé des militants sahraouis ainsi que des journalistes espagnols qui couvraient la séance.


Les audiences ont finalement démarré le 17 décembre et continué les 7 et 14 janvier 2011. Le juge a annoncé que le tribunal délivrerait son verdict le 28 janvier. Mais à la place, le tribunal a décidé de citer deux témoins supplémentaires, Mohamed Elmoutaouakil et Aïcha Dahane.


L'affaire était axée en partie sur des allégations selon lesquelles les accusés avaient reçu de l'argent à des fins illégales quand ils étaient en Algérie. Certains d'entre eux ont reconnu avoir reçu de l'argent lors de leur séjour en Algérie, mais ont dit qu'il s'agissait seulement d'une petite somme pour couvrir leur frais de voyage. D'autres accusés ont nié avoir reçu de l'argent lorsqu'ils étaient en Algérie, et dit que c'était Elmoutaouakil et Dahane qui leur avaient donné l'argent en leur possession. Elmoutaouakil, un militant sahraoui vivant à Casablanca, et Dahane, la soeur de Brahim Dahane, ont témoigné respectivement les 4 et 25 mars. Le 28 mars, les trois accusés détenus ont comparu à nouveau devant le juge. Aucune nouvelle date n'a été annoncée pour le verdict.

L'accusation a cherché à montrer que les réunions tenues par les accusés quand ils étaient en Algérie, ainsi que l'argent qu'ils ont prétendument reçu de sources sur place, constituaient des délits prévus par l'article 206 du Code pénal. Cet article dispose que:


« Une personne qui reçoit, directement ou indirectement, d'une personne ou d'une organisation étrangère, des cadeaux, des prêts, ou d'autres avantages, sous n'importe quelle forme, qui sont utilisés ou destinés à l'être, en totalité ou en partie, pour mettre en œuvre ou financer une activité ou de la propagande au Maroc qui pourrait porter atteinte à l'intégrité, la souveraineté, ou l'indépendance du Royaume, ou pour ébranler la loyauté que les citoyens doivent à l'État et aux institutions du peuple marocain, est coupable de porter atteinte à la sécurité intérieure de l'État et condamné à être emprisonné pendant un à cinq ans et à payer une amende de 1 000 à 10 000 dirhams [125 à 1 250 US$] ».

Les militants, dans un communiqué de presse du 18 mars 2008, ont déclaré que leur visite à Tindouf avait été motivée par des « raisons humanitaires et strictement de droits humains ». Etarrouzi et Sghaier ont confié à Human Rights Watch que le dossier d'accusation était composé seulement de comptes-rendus radiodiffusés et de la presse écrite relatifs à la réception des hommes par les autorités du Front Polisario, et de leurs propres déclarations, dans lesquelles ils expliquaient que leurs réunions en Algérie visaient à discuter de questions politiques, humanitaires et de droits humains.


Depuis le voyage des accusés en 2009, plusieurs autres délégations de militants sahraouis, venus du Maroc ou du Sahara occidental sous contrôle du Maroc, ont fait le voyage jusqu'aux camps de réfugiés administrés par le Polisario, et sont revenus au Sahara occidental sans affronter aucune répercussion légale.

Les accusés préconisent tous l'autodétermination pour le Sahara occidental, un vaste territoire contesté que le Maroc continue d'administrer de facto après en avoir pris le contrôle en 1975, après le retrait de l'Espagne, la puissance coloniale. Le Front Polisario est favorable à un vote populaire sur l'autodétermination, comprenant l'option de l'indépendance totale, alors que le Maroc propose une mesure d'autonomie pour la région, mais rejette l'option de l'indépendance. Le Maroc et le Polisario, soutenu par l'Algérie, sont engagés dans des négociations sporadiques et jusqu'à présent infructueuses.

Le Maroc considère la défense pacifique de l'indépendance, ou même d'un référendum où l'indépendance est une option, comme une attaque de son « intégrité territoriale », punissable par la loi. Tamek, Dahane, Etarrouzi, Sghaier et Naciri ont tous été précédemment emprisonnés par le Maroc - ainsi que des centaines d'autres Sahraouis - pour des activités indépendantistes. Dahane et Lachgar ont tous deux, par le passé, été victimes de disparition forcée.

Tamek, Dahane et Naciri sont toujours à la prison de Salé. Tous les trois sont membres actifs d'organisations sahraouies de défense des droits humains. Tamek, de Laayoune, est vice-président du Collectif des défenseurs des droits de l'Homme sahraouis (CODESA). Dahane, de Laayoune, est président de l'Association sahraouie des victimes de violations graves des droits humains (ASVDH). Naciri est vice-président du Comité pour la défense des droits humains, basé à Smara. Les autorités marocaines ont refusé d'accorder une reconnaissance juridique au CODESA et à l'ASVDH.

« Les minces preuves rassemblées par l'accusation et les ajournements excessifs du procès, alors que trois accusés sont toujours derrière les barreaux, font qu'il est d'autant plus important que le tribunal délivre rapidement un verdict juste et bien raisonné, qui ne pénalise pas l'activité politique pacifique », a conclu Sarah Leah Whitson.

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