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Rwanda : Peine de prison prononcée à l’encontre du dirigeant de l’opposition Bernard Ntaganda

Le président fondateur du PS-Imberakuri, d’autres activistes et des journalistes ont été condamnés pour leurs opinions politiques

(New York, le 11 février 2011) - La condamnation à quatre ans d'emprisonnement de Bernard Ntaganda, président fondateur du parti d'opposition PS-Imberakuri, porte atteinte à la liberté d'expression et à la démocratie au Rwanda, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Le 11 février 2011, la Haute Cour de Kigali a jugé Bernard Ntaganda coupable d'atteinte à la sûreté de l'État, de « divisionnisme » (incitation aux divisions ethniques) et de tentative d'organiser des manifestations sans autorisation officielle. La Cour l'a condamné à deux ans de prison pour les deux premiers chefs d'inculpation et à une amende de 100 000 francs rwandais (environ 175 $US) pour le troisième chef d'inculpation. Ces accusations sont liées aux critiques qu'il a émises publiquement à l'égard de certaines politiques du gouvernement. À la connaissance de Human Rights Watch, le dirigeant du PS-Imberakuri n'a prononcé aucune incitation à la violence dans ces déclarations. Bernard Ntaganda n'était pas présent lorsque le tribunal a rendu son jugement.

Sylvain Sibomana, Alice Muhirwa et Martin Ntavuka, tous trois membres des FDU-Inkingi, un autre parti d'opposition, ont aussi été condamnés à une amende de 100 000 francs rwandais chacun pour avoir tenté d'organiser des manifestations sans autorisation officielle. Un autre membre du PS-Imberakuri, Jean-Baptiste Icyitonderwa, a été quant à lui acquitté pour le même chef d'inculpation.

Le verdict tombe une semaine après que deux journalistes, Agnès Nkusi Uwimana et Saidaiti Mukakibibi, ont été condamnées à des peines de 17 et 7 ans de prison respectivement suite à la publication dans le journal indépendant Umurabyo d'articles considérés comme critiques à l'égard du gouvernement et du président Paul Kagame. Le 4 février 2011, la Haute Cour de Kigali a jugé qu'en publiant ces critiques, les journalistes incitaient la population à se soulever contre l'État. Elle a déclaré les deux femmes coupables d'atteinte à l'ordre public. Agnès Nkusi Uwimana, rédactrice en chef du journal, a également été reconnue coupable de « minimiser le génocide », une accusation comptant pour dix ans de sa peine totale, ainsi que de « divisionnisme » et de diffamation. Les deux journalistes ont été arrêtées en juillet 2010 et sont en détention depuis lors.

« Ce sont à l'évidence des procès politiques », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch. « Bernard Ntaganda, ses collègues et les deux journalistes, ainsi que beaucoup d'autres hommes et femmes au Rwanda, paient le prix fort pour avoir osé exprimer leurs opinions. »

Bernard Ntaganda, détracteur du gouvernement, au franc-parler, a été arrêté le 24 juin 2010, six semaines avant les élections présidentielles du 9 août. Ni son parti, ni les FDU-Inkingi, ni le Parti démocrate vert (autre parti d'opposition) n'ont été autorisés à participer aux élections, qui furent remportées par le président sortant Paul Kagame avec 93 pour cent des voix.

Le PS-Imberakuri était le seul de ces trois partis à avoir réussi à s'enregistrer en tant que parti politique. Cependant, en mars 2010, des membres du Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir, ainsi que des membres dissidents du PS-Imberakuri, ont orchestré une prise de commande du PS-Imberakuri et ont remplacé Bernard Ntaganda par une nouvelle équipe dirigeante plus complaisante.

Bernard Ntaganda et des membres du parti qui lui sont restés fidèles ont, par la suite, fait l'objet d'autres formes d'intimidation et de harcèlement. Celles-ci incluent des menaces à leur encontre et à l'égard de leurs familles, incitant plusieurs membres du parti à se cacher ou à s'exiler ; des restrictions administratives visant à paralyser leurs activités politiques, ainsi qu'une déclaration de membres de la Commission des affaires politiques du Sénat, en avril, affirmant que les accusations d'« idéologie génocidaire » et de « divisionnisme » à l'encontre de Bernard Ntaganda étaient fondées.

Les actes d'intimidation ont atteint leur paroxysme lorsque Bernard Ntaganda a été arrêté au matin du 24 juin, quelques heures avant la manifestation publique organisée par son parti à Kigali. Plusieurs autres membres du PS-Imberakuri et des FDU-Inkingi ont été arrêtés plus tard dans la même journée alors qu'ils tentaient de poursuivre la manifestation. Des arrestations d'autres membres des deux partis ont eu lieu les jours suivants.

Certains des opposants arrêtés ont été libérés en juillet, après avoir subi des mauvais traitements pendant plusieurs jours de garde à vue ; ils ont été battus, détenus dans des conditions déplorables et menacés de mort du fait de leurs activités politiques. Certains ont été menottés à d'autres prisonniers pendant plusieurs jours sans interruption, même lorsqu'ils allaient aux toilettes, mangeaient ou dormaient.

D'autres sont toujours en détention. Le 11 août 2010, deux membres du PS-Imberakuri, Sylver Mwizerwa et Donatien Mukeshimana, ont été condamnés à des peines de prison de trois et deux ans respectivement pour « rébellion » et destruction de biens privés : on les accusait d'être entrés par effraction dans les locaux du PS-Imberakuri après que leur propriétaire en avait repris possession.

« Ces poursuites judiciaires montrent que le gouvernement rwandais ne laisse aucune place à la critique ou à l'opposition malgré ses nombreux engagements publics en faveur de la liberté d'expression et du pluralisme politique », a déclaré Daniel Bekele. « Ces inculpations sont totalement inappropriées et le système judiciaire est utilisé comme un moyen pour faire taire les opinions dissidentes et intimider le public. »

Human Rights Watch a appelé le gouvernement rwandais à prendre les mesures suivantes :

  • Autoriser les partis d'opposition, les journalistes et les autres citoyens à exprimer leurs opinions, notamment émettre des critiques à l'égard de la politique du gouvernement sans crainte pour leur sécurité;
  • Adopter des mesures pour restaurer et respecter l'indépendance du pouvoir judiciaire;
  • Accélérer la révision de la loi sur l'«idéologie génocidaire», annoncée par le ministre de la Justice en 2010, pour y inclure une définition plus précise de l'infraction pénale, afin d'éviter l'utilisation abusive de ce chef d'inculpation à des fins politiques ou autres;
  • Modifier la loi de 2009 sur les médias, qui impose de lourdes restrictions aux journalistes, et dépénaliser la diffamation.

Contexte
Les procès de Bernard Ntaganda et des journalistes de Umurabyo sont des exemples d'un système de répression à long terme du gouvernement rwandais à l'encontre des opposants et des détracteurs. Cette répression s'est intensifiée pendant la période précédant les élections en 2010, avec la suspension des deux journaux indépendants Umuseso et Umuvugizi ; les meurtres d'un journaliste de Umuvugizi, Jean-Léonard Rugambage, et du vice-président du Parti vert, André Kagwa Rwisereka ; et les menaces permanentes à l'encontre d'autres opposants au gouvernement ou de personnes considérées comme sympathisants de l'opposition. Contrairement aux attentes de certains observateurs, la répression n'a pas diminué après les élections.

Les accusations d'« idéologie génocidaire » et de « divisionnisme » ont souvent été utilisées par le gouvernement pour museler les critiques. D'autres chefs d'inculpation entraînant de lourdes peines de prison, comme l'atteinte à la sûreté de l'État et l'atteinte à l'ordre public, ont également été formulés à l'encontre des opposants et des détracteurs.

Victoire Ingabire, présidente des FDU-Inkingi, a été arrêtée le 14 octobre 2010 et est toujours en détention en attendant son procès. Sa demande de libération sous caution a été rejetée plusieurs fois. Elle a tout d'abord été arrêtée en avril, accusée de collaboration avec des groupes armés, « d'idéologie génocidaire » et de « divisionnisme », et remise en liberté sous caution avec interdiction de voyager. Les chefs d'inculpation actuels à son encontre, qui devront être confirmés par le parquet, incluent semble-t-il la formation d'un groupe armé et l'atteinte à la sûreté de l'État. Les membres de son parti ont fait l'objet de menaces et d'intimidations répétées.

En janvier 2011, quatre anciens membres du gouvernement et officiers de l'armée devenus des détracteurs du gouvernement connus pour leur franc-parler - Faustin Kayumba Nyamwasa, Patrick Karegeya, Gerald Gahima et Théogène Rudasingwa - ont été jugés par contumace par un tribunal militaire à Kigali et reconnus coupables d'atteinte à la sûreté de l'État, de troubles à l'ordre public, de « divisionnisme », de diffamation et d'organisation d'un réseau criminel. Patrick Karegeya et Gerald Gahima ont été condamnés chacun à 20 ans ; Faustin Kayumba Nyamwasa et Théogène Rudasingwa chacun à 24 ans, avec une inculpation supplémentaire pour désertion de l'armée.

Bien que le gouvernement ait publiquement accusé les quatre hommes de mettre en place un groupe armé et d'être à l'origine d'une série d'attentats à la grenade au Rwanda en 2010, le procès n'a pas porté sur ces allégations. Au lieu de cela, il s'est concentré sur les déclarations publiques et les documents publiés par les accusés dans lesquels ils critiquaient le gouvernement et le président Paul Kagame. Le 19 juin 2010, une tentative d'assassinat a eu lieu à Johannesburg à l'encontre de Faustin Kayumba Nyamwasa, exilé en Afrique du Sud.

Des individus moins éminents qui ne sont pas des hommes politiques ont également écopé de peines pour avoir critiqué la politique de l'État. Par exemple, l'abbé Émile Nsengiyumva, prêtre à Rwamagana, dans l'est du Rwanda, a été arrêté suite à un sermon de Noël dans lequel il s'est opposé à certaines politiques du gouvernement, notamment les projets de destruction de maisons en paille (appelées nyakatsi) en faveur de logements plus durables et les propositions visant à introduire des restrictions dans les plannings familiaux. En janvier 2011, il a comparu devant un tribunal sous le chef d'accusation d'atteinte à la sûreté de l'État ; il reste en détention préventive en attendant son procès.

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