Skip to main content

France: Le projet de réforme de la justice ne va pas assez loin

Le gouvernement devrait renforcer les garanties de protection lors des gardes à vue

(Paris, le 2 mars 2010) - Le projet de loi du gouvernement français visant à restructurer le système de justice pénale doit être revu afin de renforcer la protection des personnes en garde à vue, en particulier pour les suspects de crimes ou délits les plus graves, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le gouvernement a entamé le 2 mars 2010 un processus de consultation concernant le projet très attendu de réforme du code de procédure pénale.

Human Rights Watch a déclaré être particulièrement inquiet de l'insuffisance des réformes prévues concernant le droit d'accès à un avocat. Tout suspect doit avoir accès à un avocat dès son placement en garde à vue et tout au long de l'interrogatoire et doit être notifié de son droit de garder le silence, a déclaré Human Rights Watch.

« Le gouvernement français doit sérieusement prendre en compte les appels de ceux qui demandent la mise en place de véritables protections pour tous les suspects placés en garde à vue », a indiqué Judith Sunderland, chercheuse senior pour l'Europe occidentale à Human Rights Watch. « Autrement, il manquera une opportunité en or de rattraper les carences de la France en matière de droit à un procès équitable. »

Le projet de loi du gouvernement propose d'ambitieux amendements au code de procédure pénale, y compris le transfert de la responsabilité des enquêtes du juge d'instruction au procureur. Néanmoins, ce projet ne propose que des ajustements limités en matière d'accès à un avocat pour les suspects en garde à vue ; il ne renforce pas non plus les garde-fous pour les suspects accusés de terrorisme ou de crime organisé, puisque des interrogatoires pouvant durer jusqu'à trois jours sans accès à un avocat seraient toujours autorisés.

Parmi les propositions complexes constituant le projet de loi figure une disposition qui permettrait aux suspects dans des affaires criminelles de droit commun de consulter un avocat douze heures après leur mise en garde à vue au lieu des vingt-quatre heures actuelles, en plus de l'actuelle visite dès le début de la détention. Cependant, les suspects pourraient toujours être interrogés pendant les premières 24 heures sans la présence d'un avocat. Lesdites réformes avait été préconisées en septembre 2009 par un comité ad hoc, la Commission Léger, nommée par le gouvernement pour faire des recommandations dans ce domaine.

Le projet du gouvernement ne revient pas sur une disposition introduite en 2003 qui éliminait l'obligation faite à la police d'informer le suspect de son droit à garder le silence pendant l'interrogatoire.

Le projet de loi conserve d'importantes restrictions au droit d'accès à un avocat dans les cas de crimes graves. Les suspects dans les enquêtes sur les trafics de stupéfiants pourraient avoir accès à un avocat après 48 heures de garde à vue (soit un jour plus tôt qu'actuellement). Mais les règles pour les personnes suspectées de terrorisme resteraient inchangées, l'accès à un avocat pouvant être refusé jusqu'à trois jours après le placement en garde à vue, parfois suite à de longues heures d'interrogatoire. Après trois jours, ces suspects sont autorisés à s'entretenir une demi-heure avec un avocat, mais peuvent ensuite subir des interrogatoires pendant 24 heures supplémentaires avant qu'ils n'aient le droit de revoir leur avocat. Dans des cas exceptionnels, la loi permet de maintenir un suspect en garde à vue pendant six jours ; dans ces cas, l'accusé n'a le droit d'accéder à un avocat qu'à la 96ème heure, soit au bout de quatre jours de garde à vue.

« Le raisonnement selon lequel il devrait y avoir moins de garde-fous pour les personnes accusées des crimes les plus graves est aberrant », a déclaré Judith Sunderland. « C'est précisément lorsqu'un suspect est accusé des crimes les plus graves que la tentation d'outrepasser les règles pour obtenir une inculpation est la plus grande. »

Le projet de loi ignore la recommandation formulée par la Commission Léger de procéder obligatoirement à un enregistrement audio et vidéo pour tout interrogatoire en garde à vue. Alors que de tels enregistrements ont été rendus obligatoires dans les affaires de droit commun en 2007, les interrogatoires dans les affaires de trafics de stupéfiants, de crime organisé et de terrorisme en demeurent exemptés dans la proposition de loi actuelle.

La présence d'un avocat durant l'interrogatoire garantit à la fois l'intégrité de la procédure pénale et le droit des suspects à bénéficier d'une défense effective, selon Human Rights Watch. Le Conseil national des barreaux, entre autres, appelle depuis longtemps à une réforme profonde des règles de la garde à vue, y compris la présence d'un avocat pendant les interrogatoires. Il s'agit d'une pratique courante dans de nombreux pays d'Europe comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Pologne et le Royaume-Uni.

Parallèlement, un groupe d'avocats a demandé au Conseil constitutionnel d'examiner si l'article du Code de procédure pénale qui régit la garde à vue porte atteinte aux droits de la défense, au droit à un procès équitable et au droit à la liberté individuelle. Une réforme du Conseil constitutionnel, entrée en vigueur le 1er mars, permet à tout citoyen de contester la légitimité d'une loi. Auparavant, seuls le président de la République, le Premier ministre, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ou un groupe de soixante députés ou sénateurs pouvaient saisir le Conseil constitutionnel. 

Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a exhorté la France en juillet 2008 à s'assurer que les individus suspectés de terrorisme aient accès à un avocat « sans délai », soient informés de leur droit à garder le silence lors des interrogatoires et soient présentés devant un juge dans les plus courts délais. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé dans des affaires impliquant le Royaume-Uni qu'empêcher l'accès à un avocat ne serait-ce que pour 24 heures d'interrogatoire pour des enquêtes en matière de terrorisme viole la Convention européenne des droits de l'homme car l'absence d'un avocat pendant cette période peut « irrémédiablement porter atteinte » aux droits de la défense.

Dans des arrêts récents contre la Turquie, la Cour a souligné que le droit à un procès équitable, en règle générale, exige que l'accès à un avocat soit consenti « dès le premier interrogatoire (...) par la police » et que la restriction systématique de ce droit sur la base des dispositions légales constitue un manquement aux exigences de la Convention (Dayanan v. Turquie, octobre 2009).

Les juridictions françaises commencent à douter de la validité des déclarations faites en garde à vue sans la présence d'un avocat. Le 20 janvier, la Cour d'appel de Nancy a écarté les déclarations faites en garde à vue de deux suspects de trafic de stupéfiants, estimant que le manque d'accès à un avocat pendant les 72 heures de leur garde à vue était contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Le Tribunal correctionnel de Paris a récemment annulé les gardes à vue de cinq individus sur des raisonnements similaires.

L'accès rapide à un avocat est également un garde-fou essentiel contre la torture et les mauvais traitements. Au cours de ses recherches sur les lois et procédures antiterroristes en France, Human Rights Watch a eu connaissance de cas troublants de violences physiques et autres mauvais traitements lors de gardes à vue. Un entretien d'une demi-heure avec un avocat après trois jours de détention ne saurait constituer une protection contre de tels abus. C'est pourquoi le Comité européen pour la prévention de la torture a exhorté la France à maintes reprises depuis 1996 à autoriser toutes les personnes en garde à vue à consulter un avocat dès le début de leur détention.

« Le projet du gouvernement fait très peu pour réparer un système compliqué dans lequel les droits de la défense ne sont pas tout de suite respectés, voire sont niés, selon la nature du crime », a ajouté Mme Sunderland. « Or, l'objectif est simple : tous les suspects, quelles que soient les accusations dont ils font l'objet, ont droit à une défense effective et à une protection adéquate contre des maltraitances lors de leur garde à vue. »

Afin de s'assurer que la réforme du code de procédure pénale soit conforme aux obligations de la France au regard du droit international des droits humains, le gouvernement devrait amender le projet de loi pour étendre les droits suivants à tous les suspects en garde à vue :

  • Autoriser l'accès à un avocat dès le début de la garde à vue et pendant toute la durée de la garde à vue ;
  • Autoriser les suspects à s'entretenir avec un avocat en privé, sans limite de temps ;
  • Reconnaître aux suspects le droit d'être interrogés par la police uniquement en présence d'un avocat ;
  • Garantir que les suspects se voient notifier leur droit de garder le silence.

De plus, selon Human Rights Watch, les avocats de suspects placés en garde à vue devraient avoir accès à des informations suffisantes sur les charges retenues contre leurs clients pour leur permettre de les conseiller correctement. Enfin, un enregistrement vidéo et audio de tous les interrogatoires en garde à vue devrait être obligatoire.

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.