(Genève, le 14 avril 2009) - Les pertes en vies humaines et en moyens de subsistance provoquées par les bombes à sous-munitions utilisées par la Russie et la Géorgie pendant le conflit armé d'août 2008 soulignent l'importance du nouveau traité interdisant ce type d'armes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Géorgie et d'autres pays opposés au traité interdisant ces armes se réunissent à Genève cette semaine dans une ultime tentative pour conclure un traité séparé, beaucoup moins contraignant.
Le rapport de 80 pages, « A Dying Practice: Use of Cluster Munitions by Russia and Georgia in August 2008 » (« Arme fatale : L'utilisation de bombes à sous-munitions par la Russie et la Géorgie en août 2008 »), est le premier rapport complet sur l'utilisation des bombes à sous-munitions par la Russie et la Géorgie au cours du conflit qui a opposé ces deux pays pendant une semaine à propos de l'enclave séparatiste de l'Ossétie du Sud. Les recherches menées sur le terrain par Human Rights Watch en août, septembre et octobre 2008 ont documenté des dizaines de décès et de blessés parmi les civils du fait de l'utilisation des bombes à sous-munitions, y compris des victimes après la fin du conflit. Les sous-munitions non explosées continuent à menacer les civils. En dépit de preuves matérielles considérables de l'usage des bombes à sous-munitions par la Russie, celle-ci a nié les avoir utilisées.
« Les bombes à sous-munitions tuent et mutilent toujours les civils, au cours des combats et longtemps après », a déclaré Bonnie Docherty, chercheuse pour la Division Armes de Human Rights Watch et auteure du rapport. « Une interdiction globale est la seule solution véritable. L'utilisation soi-disant responsable des bombes à sous-munitions est un mythe, et les nations devraient s'opposer aux efforts visant à affaiblir leur interdiction. »
La nouvelle Convention sur les bombes à sous-munitions, qui a été ouverte à signature en décembre 2008, interdit catégoriquement les bombes à sous-munitions. Elle exige aussi que les nations nettoient les zones contaminées et portent assistance aux individus et aux communautés affectés. A ce jour, 96 Etats ont signé le traité, et six Etats l'ont ratifié. Il entrera en vigueur et deviendra légalement contraignant pour les Etats signataires six mois après la 30ème ratification.
Lors d'une réunion de quatre jours qui a commencé à Genève aujourd'hui, les Etats qui se sont opposés à la convention cherchent à parvenir à un consensus sur un instrument légal alternatif qui régulerait, au lieu de les interdire, les bombes à sous-munitions. Ces Etats soutiennent un projet de protocole à la Convention sur les armes conventionnelles, qui permettrait l'utilisation future de bombes à sous-munitions identiques à celles employées par les deux parties en Géorgie.
En août 2008, au cours du conflit qui les a opposées à propos de la région dissidente de l'Ossétie du Sud, la Russie et la Géorgie ont utilisé les bombes à sous-munitions d'une façon qui a illustré les problèmes humanitaires causés par toute utilisation de ces armes. Human Rights Watch a relevé des preuves de bombes à sous-munitions utilisées par les deux parties au conflit sur des zones peuplées. L'organisation a confirmé qu'au moins 16 civils ont été tués par des bombes à sous-munitions et qu'au moins 54 autres ont été blessés en Géorgie, au sud de la frontière administrative de l'Ossétie du Sud. Des sous-munitions non explosées jonchaient aussi les exploitations agricoles, empêchant les récoltes.
« Les Etats devraient faire en sorte que le conflit entre la Russie et la Géorgie soit le dernier au cours duquel les bombes à sous-munitions tuent et mutilent les civils », a observé Bonnie Docherty. « La ratification rapide de la Convention sur les armes à sous-munitions est le moyen d'atteindre cet objectif. »
Au moment du conflit, 107 Etats avaient déjà adopté le texte final de la Convention sur les armes à sous-munitions. Néanmoins la Russie et la Géorgie ont ignoré le consensus international émergent sur la nécessité d'interdire les bombes à sous-munitions. Human Rights Watch a exhorté tous les pays à signer et ratifier la Convention sur les armes à sous-munitions aussitôt que possible pour renforcer la stigmatisation de ces armes et pour aider le traité à devenir légalement contraignant.
Les bombes à sous-munitions sont des armes de grande taille qui libèrent des dizaines ou des centaines de sous-munitions plus petites. Larguées par avion ou lancées à partir de systèmes terrestres, elles créent deux graves problèmes humanitaires. En premier lieu, leur zone d'impact étendue garantit virtuellement des victimes civiles lorsqu'elles sont employées dans des zones peuplées. Ensuite, nombre des sous-munitions n'explosent pas à l'impact comme prévu, provoquant des victimes civiles pendant les mois ou les années à venir.
Human Rights Watch a constaté que la Russie a violé le droit humanitaire international en lançant des attaques indiscriminées et disproportionnées avec des bombes à sous-munitions sur des zones peuplées en Géorgie. Les forces russes ont par exemple couvert la ville de Variani de bombes à sous-munitions pendant deux jours, causant 19 victimes civiles. Human Rights Watch a identifié des vestiges de bombes à sous-munitions russes dans ou à proximité de sept villes et villages. En mars, Norwegian People's Aid, une organisation internationale de déminage, a signalé avoir trouvé d'autres fragments de bombes à sous-munitions dans deux autres villages.
Human Rights Watch a aussi indiqué que des bombes à sous-munitions géorgiennes ont fait des victimes à l'intérieur ou à proximité de neuf zones peuplées de Géorgie au sud de la frontière administrative de l'Ossétie du Sud. Le gouvernement géorgien a reconnu avoir utilisé des bombes à sous-munitions, mais a maintenu que celles-ci visaient les forces russes envahisseuses et leurs équipements en Ossétie du Sud, dans une zone non peuplée par ailleurs. Les bombes à sous-munitions ont laissé un nombre inhabituellement élevé de sous-munitions non explosées, et sont tombées au-dessous de la portée minimum. Ces indications suggèrent qu'un échec massif des bombes à sous-munitions géorgiennes les a empêchées d'atteindre leurs cibles en Ossétie du Sud. Mais que les armes aient fonctionné ou non, leur utilisation montre que les bombes à sous-munitions sont toujours extrêmement dangereuses.
« Quel que soit l'utilisateur et quel que soit le type utilisé, les bombes à sous-munitions présentent des risques inacceptables pour les civils et doivent être éliminées », a insisté Bonnie Docherty.
Dans son rapport, Human Rights Watch appelle la Russie et la Géorgie à mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur l'utilisation des bombes à sous-munitions et à rendre les résultats publics. Ces deux pays devraient exiger des comptes à toute personne reconnue coupable d'utilisation de bombes à sous-munitions en violation du droit humanitaire international. Pour faciliter le nettoiement des zones visées, la Russie et la Géorgie devraient fournir aux démineurs des renseignements sur les emplacements, les types et les quantités de bombes à sous-munitions utilisées.
Le 15 août 2008, Human Rights Watch a été la première organisation à documenter l'utilisation de bombes à sous-munitions en Géorgie. Le nouveau rapport s'appuie sur de multiples missions de suivi ; sur des entretiens auprès de plus 100 témoins, démineurs et fonctionnaires ; et sur l'analyse de preuves matérielles.
« A Dying Practice » est le dernier rapport de Human Rights Watch documentant l'utilisation des bombes à sous-munitions dans le monde. Human Rights Watch a publié d'autres rapports détaillés sur l'utilisation des bombes à sous-munitions au Kosovo en 1999, en Afghanistan en 2001-2002, en Irak en 2003, et au Liban et en Israël en 2006.