Le gouvernement rwandais a fait des progrès remarquables dans la réforme de son système judiciaire depuis 2004 mais l’impartialité des procès n’est toujours pas garantie, selon un nouveau rapport de Human Rights Watch publié aujourd’hui.
Le rapport de 113 pages, Law and Reality: Progress in Judicial Reform in Rwanda (« La loi et la réalité : Les progrès de la réforme judiciaire au Rwanda », 122 pages), examine les changements apportés au système judiciaire au cours des quatre dernières années. Le rapport fait état des réformes, dont notamment l’abolition de la peine capitale, et identifie les zones de préoccupation qui persistent, en particulier la prédisposition des juges à se soumettre aux pressions des membres du pouvoir exécutif et d’autres personnes puissantes et l’impossibilité de garantir le respect des principes de base en vue de procès équitables, y compris la présomption d’innocence, le droit de présenter des témoins à l’appui de sa propre défense et le droit de protection contre la double incrimination.
« Le Rwanda a procédé à des améliorations techniques dans le rendu de la justice mais le système ne tient toujours pas ses engagements dans des domaines fondamentaux », a déclaré Alison Des Forges, conseillère principale à la division Afrique de Human Rights Watch. « Nous avons identifié de graves problèmes dans des secteurs tels que l’indépendance judiciaire, le droit de présenter sa défense et le principe d’égalité d’accès à la justice pour tous. Au Rwanda aujourd’hui, il est possible que des défendeurs se voient refuser le droit à un procès équitable. »
Le rapport est publié alors que la chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) examine les décisions rendues par le tribunal inférieur refusant de transférer les cas du TPIR aux juridictions nationales rwandaises. Le TPIR a été mis en place par les Nations Unies pour juger les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis au Rwanda en 1994. Alors que la fin du mandat du tribunal approche, le procureur a cherché à transférer certains des dossiers en suspens aux juridictions nationales, y compris au Rwanda.
Les systèmes judiciaires d’autres pays, notamment la France et le Royaume-Uni, envisagent aussi de renvoyer au Rwanda des personnes accusées de génocide, en vue de leur procès. Les décisions judiciaires au sein du TPIR et d’autres juridictions nationales dépendent en partie de la capacité à évaluer si des procès équitables peuvent être garantis dans les tribunaux rwandais. Bien que les tribunaux en France et au Royaume-Uni se soient prononcés en faveur d’une extradition vers le Rwanda, la décision française a été annulée en appel. La décision du Royaume-Uni fera l’objet d’un appel mais doit encore être considérée au niveau de la cour d’appel.
Sur la base des deux années de recherche menées pour le rapport, Human Rights Watch a concluqu’à ce stade, l’indépendance des tribunaux et la garantie de procès équitables étaient insuffisantes au Rwanda pour permettre l’extradition ou le transfert.
« Il est extrêmement important que ceux impliqués dans des crimes graves tels que le génocide soient jugés », a déclaré Alison Des Forges. « Mais ils doivent être jugés dans des systèmes qui puissent assurer des procès indépendants et impartiaux, ainsi que des peines adéquates. »
Les préoccupations liées à l’indépendance judiciaire soulevées dans le rapport ont pris une nouvelle importance en juillet 2008 lorsque l’Assemblée nationale rwandaise a approuvé un amendement constitutionnel établissant la révision des mandats judiciaires tous les quatre ans. Auparavant, le droit rwandais accordait aux juges autres que ceux de la Cour suprême des mandats à vie, sauf en cas de comportement répréhensible. L’amendement, susceptible de restreindre davantage l’indépendance judiciaire, fut l’un des cinquante adoptés par l’Assemblée.
Parmi ceux-ci, il en est un qui permet de poursuivre les présidents rwandais pour les crimes commis pendant la durée de leur mandat mais uniquement lorsqu’ils sont au pouvoir. Une fois leur mandature terminée, leur immunité est garantie et ils ne peuvent être poursuivis pour ces crimes. Cet amendement enfreint le droit rwandais et le respect par le Rwanda des conventions internationales garantissant que la responsabilité pour certains crimes graves, notamment ceux de guerre et contre l’humanité, ne peut être ni limitée ni révoquée.
Le Sénat n’a pas encore statué sur les amendements votés par l’Assemblée mais il devrait les approuver. Un vote majoritaire des trois quarts des membres des deux organes législatifs est nécessaire pour l’adoption d’un amendement.
Parmi les améliorations judiciaires au Rwanda au cours de ces dernières années, Human Rights Watch considère l’abolition de la peine de mort comme étant la plus importante. Cette amélioration a néanmoins été contrebalancée par la mise en place d’une réclusion à perpétuité en isolement carcéral comme sanction pénale maximale. Cette sanction constitue un traitement cruel et inhumain en violation des conventions internationales.
La garantie du droit à l’assistance d’un avocat à tous les stades de la procédure judiciaire et l’interdiction des détentions arbitraires et prolongées sont aussi des améliorations notables dans la protection des droits humains. Les autres avancées sont notamment des critères de diplômes plus élevés pour les candidats aux postes judiciaires et une plus grande efficacité dans les décisions liées aux affaires.
Human Rights Watch a également demandé à ce que des efforts supplémentaires soient faits quant à la suppression de la torture et la mise en œuvre de conditions de détention plus humaines.
Human Rights Watch a souligné la possibilité pour tous les citoyens d’avoir recours aux tribunaux, y compris ceux qui ont souffert aux mains de l’Armée patriotique rwandaise, la force militaire ayant battu le gouvernement responsable du génocide. Le mois dernier, le Rwanda a inculpé quatre de ces officiers du meurtre de 15 civils en juin 1994.
« Le procès d’officiers militaires pour le meurtre de civils pourrait marquer une étape importante vers la mise en œuvre d’une véritable justice au Rwanda, s’il est considéré comme équitable et si la peine de toute personne déclarée coupable est à la mesure du crime », a déclaré Alison Des Forges. « Nous comptons sur les autorités judiciaires rwandaises pour en faire le début d’un nouvel effort dans le sens d’un accès équitable de tous les citoyens à la justice. »