Skip to main content

Myanmar

Événements de 2024

Des hommes examinaient les débris d’une hutte démolie lors d'une frappe aérienne menée contre un camp de personnes déplacées dans le village de LaEi (canton de Pekon) dans l'État Shan au Myanmar, le 6 septembre 2024, notamment pour rechercher d’éventuelles victimes ensevelies sous les décombres.

© 2024 Stringer/EPA-EFE/Shutterstock

La junte du Myanmar, confrontée à une résistance armée et à des pertes territoriales croissantes, a intensifié son recours à la tactique de la « terre brûlée » contre les civils. Les atrocités commises par l’armée depuis le coup d’État de février 2021 constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, alimentés par des décennies d’impunité. L’ethnie Rohingya est actuellement confrontée aux menaces les plus graves qu’elle ait connues depuis les atrocités commises par l’armée en 2017. En raison du conflit, de plus en plus de personnes fuient afin de se réfugier dans les pays voisins ou ailleurs en Asie du Sud-Est.

Abus commis par l’armée

Depuis octobre 2023, les combats entre les forces de la junte et les alliances de groupes armés ethniques et de résistance se sont intensifiés dans tout le pays suite au lancement, par l’opposition, de l’Opération 1027. La junte a multiplié les attaques aériennes et les tirs d’artillerie pendant les opérations militaires, y compris des frappes indiscriminées et délibérées contre des civils et des biens et infrastructures civils. Des combats ont eu lieu dans les 14 États et régions du pays. Les civils vivant dans les zones touchées par le conflit ont indiqué qu’ils vivaient dans la crainte constante de combats, d’arrestations et de tortures de la part des forces de sécurité.

L’armée a lancé des frappes aériennes sur des écoles, des hôpitaux, des sites religieux et des camps de personnes déplacées. Le 7 janvier, une frappe aérienne militaire sur le village de Kanan, dans la région de Sagaing, a tué 17 civils qui se rendaient à l’église, dont neuf enfants. Le 5 février, l’armée a lancé une frappe aérienne sur une école du village de Daw Se Ei, dans l’État Karenni, tuant quatre étudiants et blessant 27 autres civils. Dans l’ensemble, le nombre d’attaques contre des établissements scolaires et d’atteintes graves aux droits des enfants a augmenté. Le 5 septembre, l’armée a bombardé un camp de personnes déplacées dans la commune de Pekon, à la frontière entre l’État Shan et l’État Karenni, tuant huit enfants et deux femmes.

La junte a procédé à des exécutions extrajudiciaires généralisées. Le 29 mai, des soldats ont arrêté des centaines de villageois à Byain Phyu, dans le centre de l’État de Rakhine, et ont séparé les hommes et les femmes. Des résidents ont été interrogés et torturés ; certains ont été abattus. L’armée aurait tué entre 48 et 76 villageois, dont cinq femmes qui ont également été violées. En août, deux journalistes ont été tués lors d’un raid militaire dans l’État Môn.

Depuis 2022, le Myanmar utilise des armes à sous-munitions larguées par voie aérienne, produites localement, qui frappent sans discrimination des zones peuplées. En 2024, des frappes aériennes par bombes à sous-munitions ont apparemment été menées dans l’État de Rakhine en janvier, dans l’État Chin en avril et dans la région de Mandalay en août.

Pour la première fois en 2023, le Myanmar était en tête de la liste mondiale des victimes de mines terrestres. Au cours des neuf premiers mois de 2024, il a été fait état de 889 victimes civiles de mines terrestres et de restes explosifs de guerre, dont 245 enfants, mais les chiffres réels pourraient être bien plus élevés. Le Myanmar est l’un des quatre pays qui utilisent actuellement des mines antipersonnel.

De mai 2021 à août 2024, l’armée a brûlé plus de 100 000 maisons, principalement dans la région de Sagaing.

La junte continue à recevoir des revenus étrangers et à effectuer des paiements pour des armes et d’autres besoins militaires en évitant les sanctions.

Conscription, répression et surveillance

Le 10 février, face à l’épuisement des rangs de l’armée, la junte a activé la loi de 2010 sur le service militaire populaire, qui permet d’enrôler de force les hommes âgés de 18 à 35 ans et les femmes âgées de 18 à 27 ans pour une période allant jusqu’à cinq ans. L’armée du Myanmar déploie de longue date des tactiques de recrutement abusives. Cette situation a entraîné une augmentation du nombre d’arrestations et du nombre de personnes fuyant le pays. Les autorités militaires ont depuis lors eu recours à des enlèvements et à la détention de membres de la famille pour procéder à la conscription, y compris celle d’enfants. Les conscrits ont été utilisés comme boucliers humains et porteurs sur les lignes de front. En août, la junte a annoncé qu’elle recruterait des hommes âgés de 35 à 65 ans pour rejoindre les nouvelles « équipes de sécurité du peuple et de lutte contre le terrorisme ». L’ONU a confirmé le recrutement et l’utilisation par l’armée de plus de 1 100 enfants en 2023.

En juillet, la junte a prolongé l’« état d’urgence » de six mois afin de préparer des élections truquées prévues pour novembre 2025. En octobre, la junte a lancé un recensement national comportant une longue liste de 68 questions qui semblent destinées à débusquer les activistes de l’opposition et les recrues militaires éligibles. Dans un effort de surveillance similaire, la junte a commencé en mai à imposer l’obligation de détenir une carte d’identité biométrique pour pouvoir quitter le pays.

La junte restreint lourdement les services d’accès à Internet et les services téléphoniques, avec des fermetures continues dans tout le pays — en particulier dans les zones de conflit — qui ont de graves répercussions sur l’accès à l’information, les missions humanitaires et la protection de la population. En mai, le ministère des Transports et des Communications de la junte a commencé à bloquer les réseaux privés virtuels (virtual private networks, VPN), qui permettent aux utilisateurs d’accéder à Internet en toute sécurité et de contourner la censure ; en juillet, c’était au tour de l’application de messagerie chiffrée Signal d’être bloquée.

Détention arbitraire, torture et mauvais traitements

Les autorités de la junte ont arrêté au moins 27 500 personnes depuis le coup d’État de 2021, dont plus de 5 700 femmes et 570 enfants. Plus de 1 900 personnes sont mortes durant leur détention par la junte, bien que les chiffres réels soient probablement plus élevés. Le recours à la torture, à la violence sexuelle et à d’autres mauvais traitements est largement répandu dans les prisons, les centres d’interrogatoire, les bases militaires et autres sites de détention, des rapports faisant état de viols, de passages à tabac, de positions de stress prolongées, d’électrocutions et de brûlures, et de privation de nourriture, d’eau et de sommeil.

Les forces de la junte ont arrêté arbitrairement des activistes, des journalistes, des travailleurs humanitaires, des avocats et des chefs religieux. Le nombre d’accusations d’association avec des groupes antimilitaires portées en vertu de la loi antiterroriste modifiée a augmenté, y compris dans le cas d’actions de soutien tel que la fourniture d’une aide humanitaire. Le 10 janvier, un tribunal militaire à huis clos a condamné le documentariste primé Shin Daewe à la prison à vie sur la base d’accusations de terrorisme forgées de toutes pièces. Plus de 1 800 personnes sont détenues depuis février 2022 pour des activités en ligne soutenant l’opposition ou critiquant l’armée, y compris le simple fait de « liker » un message sur les réseaux sociaux. Les forces de sécurité continuent de détenir arbitrairement des membres de la famille et des amis d’activistes, y compris des enfants, en guise de mesure de coercition et de peine collective.

Plus de 125 détenus ont été condamnés à mort, et 44 autres ont été condamnés à mort par contumace.

L’État de droit, déjà faible, s’est effondré depuis le coup d’État. La loi martiale a été déclarée dans au moins 64 communes. Les avocats qui défendaient des manifestants et des critiques anti-coup d’État ont fait l’objet de menaces, d’arrestations et de poursuites. Les autorités militaires les ont soumis à des obstacles et à des restrictions systématiques et ont aboli tout semblant de système judiciaire indépendant. La junte a mis en place des tribunaux spéciaux à huis clos dans les prisons afin d’accélérer le traitement des affaires politiquement sensibles, et les tribunaux militaires à huis clos qui fonctionnent selon la loi martiale dans les cantons sont totalement opaques.

Persécution des Rohingyas

Environ 630 000 Rohingyas se trouvent toujours dans l’État de Rakhine, où ils subissent des abus systématiques qui constituent des crimes contre l’humanité d’apartheid, de persécution et de privation de liberté. Parmi eux, environ 150 000 sont détenus dans des camps de détention à ciel ouvert.

Depuis la reprise des hostilités en novembre 2023, qui a mis fin à un cessez-le-feu officieux d’un an, les Rohingyas sont pris en tenaille entre la junte et l’Armée d’Arakan, un groupe armé ethnique. Celle-ci ayant rapidement étendu son contrôle sur l’État de Rakhine, l’armée a riposté par des attaques indiscriminées contre des civils en utilisant des hélicoptères de combat et de l’artillerie et en procédant à des assauts terrestres. En réponse aux offensives menées, à la mi‑avril, par les forces de la junte et les groupes armés rohingyas alliés contre des zones de Rakhine, l’Armée d’Arakan a attaqué durant un mois des villages rohingyas. Le 17 mai, l’Armée d’Arakan a bombardé, pillé et brûlé des quartiers rohingyas lors de sa prise de la ville de Buthidaung.

Le 5 août, environ 180 personnes auraient été tuées à la suite de frappes de drones et de tirs d’obus sur des civils fuyant les combats dans la ville de Maungdaw.

Depuis février, la junte a recruté, en violation du droit national, des milliers d’hommes et de garçons rohingyas provenant de l’État de Rakhine et des camps de réfugiés au Bangladesh, avec le soutien de groupes armés rohingyas, ce qui a enflammé les tensions entre les communautés musulmanes rohingyas et bouddhistes de Rakhine.

La junte a imposé de nouvelles restrictions de mouvement et des blocages de l’aide humanitaire dans l’État de Rakhine.

Depuis novembre 2023, le conflit a entraîné le déplacement de plus de 380 000 personnes dans l’État de Rakhine et dans le sud de l’État Chin. Des dizaines de milliers de personnes ont traversé la frontière pour se réfugier au Bangladesh, tandis que des milliers d’autres ont été repoussées par les gardes-frontières bangladais.

Depuis janvier 2023, plus de 11 000 Rohingyas ont tenté des traversées dangereuses en bateau entre le Myanmar et le Bangladesh, et plus de 800 d’entre eux sont morts ou ont été portés disparus.

Violence sexuelle et sexiste

Les femmes et les filles sont de plus en plus exposées à la violence sexuelle et à d’autres formes de violence fondée sur le sexe commises par des militaires et des acteurs non étatiques en toute impunité, en particulier dans le contexte de l’extension du conflit.

Pour punir la population civile, les forces militaires ont soumis des civils à des viols et viols collectifs, à des tortures et mutilations sexuelles, à des agressions sexuelles aux postes de contrôle ou lors de raids, et à la nudité forcée. Dans la région de Sagaing, la célèbre unité militaire appelée « colonne ogre » a enlevé, décapité, mutilé et violé des femmes.

La violence sexuelle et sexiste est un moyen fréquent de torture utilisé contre des personnes détenues, notamment par le viol avec des objets, la brûlure des parties génitales, l’humiliation sexuelle et les fouilles corporelles invasives.

La violence domestique a fortement augmenté, dans un contexte où les survivants ont peu ou pas d’accès aux services, à la protection ou à la réparation.

Blocages de l’aide humanitaire et déplacements

En guise de peine collective contre la population civile, la junte a intensifié ses blocages meurtriers de l’aide humanitaire, sur lesquels s’appuie la stratégie éprouvée de l’armée, dite des « quatre coupures ». Celle-ci vise à maintenir le contrôle d’une zone en isolant et en terrorisant les civils. De janvier à juin, les organisations humanitaires ont relevé 682 cas d’entrave à l’acheminement de l’aide.

Plus de 3,2 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays depuis le coup d’État, dont plus de 1,8 million depuis l’escalade des combats en octobre 2023. La majorité d’entre elles vivent dans des abris de fortune et des champs ouverts, avec un accès limité à la nourriture, aux soins de santé et à l’eau.

En septembre, des centaines de personnes ont été tuées et environ 1 million ont été touchées par les inondations découlant des pluies de mousson et du typhon Yagi. Les interventions d’urgence ont été entravées par les restrictions à l’aide humanitaire imposées par la junte, notamment des barrages routiers, la suspension des télécommunications, le refus d’autorisations de déplacement, le blocage des paiements mobiles et une surveillance accrue aux points de contrôle, en particulier dans les bastions de la résistance. Les responsables de la junte auraient bloqué le transport de nourriture et d’articles d’aide humanitaire dans la région de Bago et dans les États Karenni et Shan.

Avant les inondations, le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire s’élevait déjà à 18,6 millions, dont 6 millions d’enfants, dans un contexte d’effondrement de l’économie et des infrastructures du pays.

Le manque d’accès aux soins médicaux a aggravé la malnutrition, les maladies transmises par l’eau et les morts évitables. Selon les estimations, depuis le début de l’année 2024, 1,6 million de personnes ont été coupées de l’accès aux hôpitaux dans l’État de Rakhine, où Médecins sans frontières a été contraint de suspendre ses activités médicales. Enfin, concernant l’épidémie de choléra qui touche la région de Rangoun depuis le mois de juin, la junte a dissimulé des informations sanitaires au public et à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Justice et obligation de rendre des comptes

En novembre, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé qu’un mandat d’arrêt soit délivré à l’encontre du commandant en chef, le Général Min Aung Hlaing, pour les crimes contre l’humanité présumés de déportation et de persécution des Rohingyas commis entre août et décembre 2017. L’enquête de la Cour est limitée aux crimes commis au moins en partie au Bangladesh, pays membre de la CPI.

En juillet, la Cour internationale de justice (CIJ) a accepté les interventions de sept gouvernements dans l’affaire opposant la Gambie au Myanmar en vertu de la Convention sur le génocide. La Gambie a rendu sa réponse au contre-mémoire du Myanmar en mai. L’escalade des abus commis par l’armée dans l’État de Rakhine met en lumière son mépris flagrant pour les mesures provisoires contraignantes ordonnées par la CIJ.

En juin, un procureur argentin a demandé la délivrance de mandats d’arrêt contre 25 personnes du Myanmar. Ce dossier a été introduit en vertu du principe de la compétence universelle.