En décembre 2023, le président Félix Tshisekedi a été élu pour un second mandat dans un contexte marqué par une détérioration des droits humains et de la situation humanitaire. Tout au long de l’année 2024, les autorités ont réprimé des membres de l’opposition, des activistes de la société civile, des détracteurs et des journalistes.
Les hostilités au Nord-Kivu ont entraîné des déplacements significatifs de populations, entravé l’acheminement de l’aide humanitaire et provoqué des pénuries alimentaires à Goma, la capitale de la province. Les parties belligérantes – l’armée nationale et les milices alliées et les troupes rwandaises et le groupe armé du M23 – ont tué des civils, commis des exactions à l’encontre d’habitants des camps et accru les risques auxquels faisaient face les personnes déplacées à l’intérieur du pays. L’armée rwandaise et le M23 ont bombardé sans discernement des zones peuplées.
Espace civique, médiatique et politique
Les autorités ont ciblé des détracteurs réels ou perçus, notamment en recourant à des arrestations, des mises en détention et des poursuites judiciaires qui revêtaient manifestement un caractère politique. Les autorités ont réprimé des personnes qui rendaient compte de manière indépendante du conflit dans l’est du pays et ont recouru à l’état de siège, en vigueur au Nord-Kivu et en Ituri depuis 2021, pour réduire la liberté d’expression.
L’autorité nationale de régulation des médias a entravé la couverture médiatique du conflit dans l’est du pays.
En novembre, l’opposant politique et ancien candidat à l’élection présidentielle Seth Kikuni a été condamné à un an de prison pour « propagation de faux bruits » et « incitation à la désobéissance civique ». En septembre, il avait été arrêté et aurait été détenu par les services congolais des renseignements, manifestement sans accès à ses avocats ni à sa famille pendant plusieurs jours, et transféré à la prison centrale de Makala à Kinshasa, la capitale du pays, malgré sa mauvaise santé.
En octobre, Félix Tshisekedi a proposé des mesures visant à modifier la constitution du pays. Des groupes de défense des droits ainsi que l’opposition politique ont critiqué cette initiative, craignant que Félix Tshisekedi ne cherche ainsi à contourner la limite constitutionnelle fixée à deux mandats.
En août, les défenseurs des droits humains Jack Sinzahera et Gloire Saasita, qui tenaient une conférence de presse pour critiquer l’« état de siège », ont été détenus sans inculpation pendant plusieurs semaines. Ils ont tous les deux été libérés le 8 novembre.
En mai, des hommes non identifiés ont enlevé Gloria Sengha, une activiste de la société civile, ainsi que deux de ses collègues, Robert Bunda et Chadrack Tshadio, après une réunion à Kinshasa. Chadrack Tshadio a été libéré au bout de quelques jours, tandis que Gloria Sengha et Robert Bunda ont été libérés le 4 juillet.
En juillet, l’autorité de régulation des médias a suspendu le journaliste Jessy Kabasele suite à son interview à la radio du chanteur Koffi Olomidé lors de laquelle Olomidé critiquait la réponse de l’armée face au M23. L’autorité de régulation a accusé Jessy Kabasele de ne pas avoir correctement recadré les propos de Koffi Olomidé, estimant que sa critique « sape les énormes efforts et sacrifices consentis par le Gouvernement de la République ».
En juillet, l’activiste Fortifi Lushima a été enlevé par des hommes non identifiés après avoir critiqué sur un plateau de télévision la réponse du gouvernement au conflit. Il a été libéré quelques jours plus tard.
En mars, après avoir été condamné sur la base d’accusations manifestement fallacieuses et avoir passé six mois en prison, Stanis Bujakera, directeur adjoint du media en ligne Actualite.cd et correspondant pour Jeune Afrique, a été libéré.
En février, les activistes Fred Bauma et Bienvenu Matumo ont été arrêtés après un rassemblement public visant à dénoncer l’occupation d’une ville par le M23. Les deux hommes ont été libérés après deux nuits en détention.
Conflit armé dans l’est du pays
Plus de 100 groupes armés sont actifs dans l’est de la RD Congo, principalement dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Le groupe armé M23, réapparu fin 2021 avec le soutien du gouvernement rwandais, s’est emparé de territoires dans le Nord-Kivu, ce qui a eu pour effet l’encerclement de la ville de Goma.
Les Nations Unies ont signalé que des troupes rwandaises et ougandaises soutenaient le M23, l’armée rwandaise ayant joué un rôle direct dans les hostilités contre les forces congolaises.
Le retrait accéléré de la mission de maintien de la paix des Nations Unies (MONUSCO) demandé par Tshisekedi en septembre 2023 n’était pas terminé au moment de la rédaction des présentes. La mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) a été déployée en décembre 2023 « afin de restaurer la paix et la sécurité dans l’est [de la RD Congo] ».
L’armée congolaise et une coalition alliée de milices responsables d’abus connue sous le nom de « Wazalendo » (« patriotes » en swahili) ont été impliquées de façon crédible dans des violations du droit de la guerre lors de combats contre l’armée rwandaise et le M23.
En avril, 48 chefs de groupes armés se sont rendus à Kinshasa pour discuter de la coalition Wazalendo et de la collaboration avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Le gouvernement congolais soutient les Wazalendo et les FDLR qui combattent aux côtés des forces congolaises.
Le 25 janvier, l’armée congolaise a lancé au moins deux séries d’attaques à l’artillerie lourde contre Mweso, dans le territoire de Masisi – détenu par les forces rwandaises et le M23 –, tuant au moins 19 civils et frappant tout près de l’hôpital de la ville.
De plus, l’armée congolaise a placé des objectifs militaires, notamment des positions d’artillerie, à proximité de sites où se trouvaient des personnes déplacées, mettant les civils inutilement en danger en les exposant aux tirs de représailles des parties belligérantes opposées.
Des militaires congolais et des combattants Wazalendo ont ouvert le feu sur des camps de personnes déplacées, tuant et blessant des civils. Des membres des Wazalendo ont également détenu et extorqué des civils.
L’armée rwandaise et le M23 ont commis de graves violations des lois de la guerre alors qu’ils prenaient le contrôle de zones situées plus près de Goma. Entre janvier et septembre, l’armée rwandaise et le M23 ont lancé au moins cinq attaques manifestement illégales, frappant des zones peuplées près de Goma, dont des camps de personnes déplacées.
Les deux parties belligérantes ont violé des femmes.
La présence d’hommes armés à l’intérieur de camps de déplacés et la nécessité pour les femmes d’aller chercher de la nourriture à l’extérieur des camps ont accru l’insécurité et exposé les femmes à un risque élevé de violences sexuelles. En août, Médecins sans Frontières (MSF) a déclaré que plus d’une jeune femme sur dix qui vivaient dans des camps signalaient avoir été violées entre novembre 2023 et avril 2024.
Les gouvernements angolais et kényan ont mené des efforts de médiation entre la RD Congo et le Rwanda, avec le soutien de l’Union africaine.
En Ituri, les groupes armés Zaïre et Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) ont repris les hostilités, la CODECO s’affrontant régulièrement à l’armée congolaise et aux soldats de la mission de maintien de la paix des Nations Unies. Selon des rapports des Nations Unies et des médias, des combattants de la CODECO ont attaqué des civils, des sites de personnes déplacées et des membres du personnel humanitaire.
Les Forces démocratiques alliées (ADF) ont intensifié leurs attaques contre les centres urbains et tué des civils. D’après les Nations Unies, les ADF sont le groupe armé qui a tué le plus de personnes en RD Congo, principalement des civils.
Justice et responsabilité
En septembre, au moins 129 prisonniers sont morts, dont 24 tués par balles lors de tentatives d’évasion, et 59 autres ont été blessés lors d’une tentative d’évasion de la prison centrale de Makala. Le gouvernement a annoncé la création d’une commission afin d’établir les circonstances de l’incident, même si, au moment de la rédaction des présentes, cette commission n’avait toujours pas été établie. La prison de Makala, comme beaucoup d’autres prisons en RD Congo, est massivement surpeuplée et dispose d’infrastructures en mauvais état et de ressources insuffisantes.
Un rapport interne du Fonds des Nations Unies pour la population a révélé que 268 des 348 femmes détenues dans la prison de Makala – soit près de 80 pour cent d’entre elles – ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles lors de cette tentative d’évasion. Ce rapport indique que 17 des survivantes de ces violences sexuelles avaient moins de 19 ans. Les violences sexuelles sont un problème persistant dans les prisons de la RD Congo.
Le 19 mai, une tentative de coup d’État a entraîné la mort d’au moins deux gardes de sécurité, d’un civil et de plusieurs participants au coup d’État. En septembre, un tribunal militaire à Kinshasa a condamné à mort 37 personnes – dont plusieurs étrangers – associées au coup d’État déjoué. Le gouvernement avait annoncé en mars la levée du moratoire sur la peine de mort, en vigueur depuis 20 ans. Depuis cette annonce, environ 80 personnes ont été condamnées à mort entre mai et août, suscitant l’indignation des groupes de défense des droits humains. Aucune exécution n’avait eu lieu au moment de la rédaction des présentes.
En mai, le procès de membres de groupes armés, de politiciens et de représentants des forces de sécurité congolaises pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qu’ils auraient commis en 2017-2018 s’est ouvert devant un tribunal militaire dans la province du Kasaï.
Coopération avec les Nations Unies
La RD Congo deviendra membre du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations Unies en janvier 2025, créant une responsabilité supplémentaire pour les autorités du pays de respecter les standards les plus élevés en matière de protection des droits de l’homme.
En novembre, l’Examen périodique universel de la RD Congo aux Nations Unies a montré que le gouvernement congolais n’avait guère progressé dans la résolution de problèmes relatifs aux droits humains dans le pays. Le gouvernement a jusqu’à la prochaine session du CDH début 2025 pour indiquer quelles recommandations émises par les États membres de l’ONU il compte mettre en œuvre.
Le 14 octobre, la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu’elle réactiverait ses enquêtes en RD Congo, en particulier sur les crimes perpétrés au Nord-Kivu depuis janvier 2022. Cette mesure a été motivée par une demande du gouvernement congolais formulée à la CPI en 2023.
En avril, la mise en œuvre des réparations ordonnées par la CPI dans l’affaire ouverte contre Germain Katanga s’est achevée. La CPI avait condamné Germain Katanga en 2014 pour des crimes commis en Ituri en 2003.