Le coup d’État militaire du 26 juillet a attiré l’attention du monde entier sur la situation des droits humains au Niger, y compris sur les restrictions en matière de liberté d’expression et sur la détérioration de l’espace civique. Ce jour-là, des officiers de l’armée de l’autoproclamé Conseil National pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ont annoncé à la télévision nationale le renversement du gouvernement du président Mohamed Bazoum. Ils ont dissous la constitution, suspendu toutes les institutions et fermé les frontières du pays. Ils ont arrêté Bazoum, son épouse et son fils, ainsi que plusieurs autres représentants de l’État, au prétexte de prendre les mesures qui s’imposaient au regard de la dégradation de la situation sécuritaire au Niger. Le 27 juillet, le général Abdourahamane « Omar » Tiani, chef de la garde présidentielle du Niger, s’est désigné chef du nouveau gouvernement militaire du pays.
En réponse au coup d’État, le 30 juillet, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a suspendu tous les liens avec le Niger et a menacé une action militaire si le CNSP ne s’engageait pas à libérer Bazoum, à le remettre au pouvoir et à restaurer l’ordre constitutionnel. Le 10 août, la CEDEAO a de nouveau condamné le coup d’État et a imposé des sanctions au pays ainsi qu’aux auteurs du coup, y compris des interdictions de voyager et des gels d’actifs.
Le 19 août, à la suite de pourparlers avec une délégation de la CEDEAO, Tiani a annoncé une transition de trois ans vers un régime démocratique, un plan que la CEDEAO a rejeté.
Depuis le coup d’État, la liberté d’expression a été restreinte et des journalistes indépendants ont fait face à des arrestations, des menaces et du harcèlement. L’espace politique s’est rétréci, la junte ayant interdit les activités de tous les partis politiques et ayant arrêté plusieurs membres du gouvernement déchu et ses partisans.
Le Niger a continué à se battre contre des groupes islamistes armés, y compris l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et l’organisation rivale liée à Al-Qaeda, le Groupe pour le soutien de l’Islam et des musulmans (Jama'at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM) ainsi que Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) dans les régions de l’ouest et du sud-est du pays.
Les inondations et les pluies torrentielles qui sont survenues en juillet ont détruit des dizaines de milliers de foyers et de récoltes et ont causé la mort d’au moins 41 personnes dans tout le pays ainsi qu’un déplacement de population massif.
La situation humanitaire est restée critique, avec 4,3 millions de personnes, soit 17 % de la population, nécessitant une aide humanitaire et plus de 370 000 personnes déplacées au sein du pays. En aout, le Niger avait également accueilli plus de 320 000 réfugiés et demandeurs d’asile, et a continué de recevoir de nouveaux arrivants en provenance principalement du Nigeria, du Mali et du Burkina Faso ainsi que plus de 20 000 migrants expulsés d’Algérie vers la région nigérienne d’Agadez au cours de l’année 2023.
Violences perpétrées après le coup d’État
Après le coup d’État, des partisans du CNSP, parfois organisés en comités de vigilance, ont commis plusieurs actes de violence à l’encontre de membres du parti de Bazoum, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS-Tarayya). Les partisans du CNSP pourraient avoir commis ces violences à cause des tensions politiques liées à une éventuelle intervention militaire de la CEDEAO.
Le 27 juillet, des partisans de la junte ont pillé et incendié le siège du PNDS dans la capitale, Niamey. Ils ont également brûlé un grand nombre de véhicules et agressé physiquement plusieurs membres du PNDS qui s’étaient réunis au siège du parti pour une réunion. Les forces de sécurité n’avaient pas pris les mesures adéquates pour prévenir ces agissements. En août, des jeunes membres de groupes d’autodéfense soutenant le CNSP ont agressé sexuellement plusieurs femmes lors de patrouilles illégales aux principaux ronds-points de Niamey, d’après la police et la Ligue Nigérienne des Droits des Femmes. Au moins quatre des victimes ont porté plainte auprès de la police nigérienne contre leurs agresseurs, mais jusqu’à présent personne n’a été inculpé pour ces délits.
Arrestations arbitraires après le coup d’État
Depuis le coup d’État, la junte a arbitrairement arrêté plusieurs représentants du gouvernement déchu, parmi lesquels Sani Mahamadou Issoufou, ancien ministre du Pétrole, Hamadou Adamou Souley, ancien ministre de l’Intérieur, Kalla Moutari, ancien ministre de la Défense, et Ahmat Jidoud, ancien ministre des Finances. En septembre, ils ont été transférés dans les prisons de Filingué, Say et Kollo dans la région de Tillabéri et à Niamey, et ont été accusés de « menace à la sécurité de l’État » devant un tribunal militaire, en dépit du fait qu’ils soient des membres de la société civile, et sans que ne soient respectées les garanties d’une procédure régulière.
Bazoum, son épouse et son fils demeurent détenus depuis le 26 juillet au palais présidentiel de Niamey. Le 13 août, les autorités militaires ont annoncé qu’elles prévoyaient de poursuivre Bazoum pour « haute trahison » et atteinte à la sécurité nationale, mais, au moment de la rédaction de ce chapitre, il n’avait pas encore comparu devant un juge. Le 18 septembre, Bazoum a déposé une requête auprès de la Cour de justice de la CEDEAO à Abuja au Nigeria, en invoquant des violations des droits humains à son encontre et à l’encontre de sa famille au cours de sa détention. Il a également demandé sa réintégration immédiate en tant que président. Au moment de la rédaction de ce chapitre, le tribunal devait rendre son verdict le 30 novembre. Le 3 octobre, Salem Mohamed Bazoum, fils du président déchu, a contesté la légalité de sa détention devant le tribunal de grande instance de Niamey, et le 6 octobre, le tribunal a ordonné sa libération. Toutefois, la décision de la Cour n’a pas encore été appliquée par le CNSP. Dans un communiqué de presse publié le 20 octobre, les avocats de Bazoum ont déclaré qu’il était détenu dans un lieu secret, ainsi que sa femme et son fils, rejetant les déclarations des dirigeants militaires selon lesquelles il aurait tenté de s’évader.
Attaques contre la liberté d’expression après le coup d’État
Depuis le coup d’État, la junte a restreint la liberté d’expression et a fermé des médias. Des journalistes locaux et internationaux ont fait l’objet d’attaques physiques, de menaces, de harcèlement verbal et de cyberharcèlement.
Le 28 juillet, Soufiane Mana Hassan, directeur de publication du journal Le Témoin de l’Histoire, a été menacé dans la rue à propos des articles publiés dans son journal et de ses messages postés sur les réseaux sociaux.
Le 30 juillet, lors d’une marche du CNSP, des manifestants ont menacé les journalistes français Anne-Fleur Lespiaut et Stanislas Poyet. Début août, Lespiaut a été victime de cyberharcèlement commis par des partisans du CNSP.
Le 3 août, le CNSP a suspendu pour une durée indéterminée les chaînes d’information internationales Radio France Internationale (RFI) et France 24, enfreignant ainsi le droit à l’accès à une information libre et indépendante. Cette obstruction à la liberté de la presse a créé un vide informationnel en privant les médiaux locaux d’un accès à des sources d’information fiables et indépendantes. Les médias nigériens ont eux aussi été empêchés de rendre compte de l’information librement.
Le 19 août, Amaury Hauchard et Poyet ont été victimes d’attaques verbales et physiques alors qu’ils couvraient un événement des Volontaires pour la défense de la patrie, auxiliaires civils de l’armée. Le passeport de Poyet a été volé et son matériel technique a été endommagé. Hauchard a reçu des points de suture pour ses blessures.
Le 30 septembre, des hommes qui se sont présentés comme des membres des forces de sécurité ont arrêté Samira Sabou, blogueuse et journaliste, au domicile de sa mère à Niamey. Le lieu où se trouvait Sabou est resté inconnu pendant sept jours. La police judiciaire de Niamey a d’abord nié l’avoir arrêtée, mais le 7 octobre, elle a été transférée à la brigade criminelle de la police de Niamey, où son avocat et son mari lui ont rendu visite. Le 11 octobre, elle a été inculpée pour « production et diffusion de données susceptibles de troubler l’ordre public » et libérée dans l’attente de son procès.
Samira Sabou a déjà été arrêtée par le passé pour ses activités journalistiques. En 2022, elle a été condamnée à un mois de prison avec sursis pour ses reportages sur le trafic de drogue au Niger, et en 2020, elle a été détenue arbitrairement pendant 48 jours pour cybercriminalité.
Les autorités ont réduit les voix dissidentes au silence. Dans un décret du 22 août, le général Tiani, le nouveau chef du Niger, a annoncé sans explication la révocation de six universitaires et responsables de l’État. La veille, les personnes révoquées avaient, avec d’autres universitaires, signé une pétition dans laquelle ils prenaient leurs distances avec une déclaration du 1er août du syndicat national des enseignants-chercheurs et chercheurs du supérieur (SNECS) qui apportait son soutien au CNSP.
Le 3 octobre, Samira Ibrahim, une utilisatrice des réseaux sociaux connue sous le nom de « Precious Mimi », a été condamnée à six mois de prison avec sursis et à une amende de 300 000 francs CFA (479 dollars américains) pour avoir « produit des données susceptibles de troubler l’ordre public ». Son inculpation avait pour cause une publication qu’elle avait fait sur Facebook où elle faisait référence au refus de l’Algérie de reconnaître la nouvelle junte nigérienne.
Attaques commises par des groupes armés islamistes
Une insurrection islamiste qui a éclaté dans le nord du Mali en 2012 avant de s’étendre aux pays voisins, le Niger et le Burkina Faso, en 2015, donne lieu à de nombreux abus au Niger depuis plus d’une décennie. La région de Tillaberi appelée « zone des trois frontières » entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans sa partie sud-ouest, a régulièrement été le théâtre d’attaques par des groupes armés liés à l’État islamique et à Al-Qaeda.
Le 14 juilllet, des individus suspectés de faire partie d’un groupe islamiste ont tué quatre civils et blessé sept autres dans une attaque dans la région de Tillabéri. Une attaque le 2 octobre commise par des individus suspectés d’appartenir à un groupe islamiste armé utilisant des engins explosifs improvisés placés dans des véhicules a coûté la vie à au moins 29 soldats dans la région de Tahoua dans l’ouest du Niger. La junte nigérienne a déclaré une période de deuil national de trois jours.
Violences communautaires
En avril, de violents affrontements opposant les communautés ethniques sédentaires de Djerma et les communautés ethniques nomades des Peul dans la région de Tillabéri ont fait plusieurs morts et blessés et ont donné lieu au déplacement d’environ 18 000 personnes. Entre le 15 et le 16 août, dans la même région, des affrontements entre les deux communautés ont coûté la vie à 25 civils.
Droits des migrants
Entre janvier et août, l’Algérie a déporté plus de 20 000 migrants de plusieurs nationalités, y compris des enfants, vers sa frontière avec le Niger, dans le cadre de nombreuses expulsions collectives, d’après l’organisation non gouvernementale basée au Niger Alarme Phone Sahara. On estime que 8 000 à 11 000 personnes expulsées sont arrivées entre janvier et avril dans le village d’Assamaka, à 15 kilomètres de la frontière algérienne, dans la région nigérienne d’Agadez. Médecins Sans Frontières (MSF) qualifient ces chiffres de « sans précédent ». MSF, Alarme Phone Sahara et l’Organisation internationale pour les migrations (IOM) ont sonné l’alerte en mars et en avril alors que des milliers de migrants restaient bloqués à Assamaka sans accès à un toit et à des soins médicaux, sans protection et sans accès à des produits de première nécessité, éprouvant également les ressources des membres de la communauté hôte.
Avec les frontières du Niger fermées à la suite du coup d’État de juillet, des milliers de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile sont restés piégés au Niger dans des conditions humanitaires se dégradant de plus en plus, certains à Assamaka et d’autres dans des centres de transit surpeuplés de l’IOM. En septembre, l’IOM a demandé aux autorités nigériennes de mettre en place un couloir humanitaire pour permettre des retours volontaires de migrants bloqués sur place vers leur pays d’origine.
Mariage des enfants et refus du droit à l’éducation
Le Niger a la prévalence des mariages d’enfants la plus élevée au monde, selon l’UNICEF, avec 76 pour cent des jeunes filles mariées avant leur 18ème anniversaire.
En 2018, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, le taux de réussite pour l’enseignement primaire était de 26 pour cent seulement, et de moins de 5 pour cent pour le premier cycle de l’enseignement secondaire. Pour les filles spécifiquement, le taux de réussite pour l’enseignement primaire était d’environ 20 pour cent, et moins de 5 pour cent pour le premier cycle de l’enseignement secondaire. En 2019, le gouvernement a émis un arrêté exigeant aux filles mariées et enceintes et aux mères adolescentes de poursuivre leur scolarité, mais la mise en place de cet arrêté n’a pas beaucoup avancé.
Acteurs internationaux clés
Le 29 juillet, Josep Borrell, haut responsable de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé la suspension immédiate du soutien budgétaire accordé au Niger ainsi que de toutes les activités de coopération en matière de sécurité.
Le 3 août, Amadou Abdramane, le porte-parole du CNSP, a annoncé la révocation de cinq accords de coopération militaire avec la France, l’ancienne puissance coloniale du Niger.
Le 22 août, l’Union africaine (UA) a suspendu le Niger de la participation à ses organes, ses institutions et ses actions. Des divisions entre les États membres de l’UA quant au recours à la force a amené l’UA à encourager une approche pacifique pour le retour à l’ordre constitutionnel au Niger, plutôt qu’une éventuelle intervention militaire ouest-africaine.
Le 25 août, les auteurs du coup d’État au Niger ont donné à l’ambassadeur français Sylvain Itte 48 heures pour quitter le pays. Au départ, la France a ignoré la directive, déclarant illégitime le CNSP, mais a changé de position le 24 septembre lorsque le président français Emmanuel Macron a rappelé l’ambassadeur et a annoncé le retrait d’ici fin 2023 de l’ensemble des 1 500 troupes françaises stationnées au Niger.
En septembre, les Nations Unies et des organisations humanitaires locales et internationales ont mis en garde contre les répercussions négatives des sanctions de la CEDEAO sur la population au Niger, avec une hausse des prix de l’alimentation et un accès limité aux produits alimentaires et autres biens importés. Elles ont demandé à la CEDEAO de mettre en place des exemptions humanitaires sur les sanctions collectives afin de garantir l’accès aux services d’aide humanitaire pour les populations vulnérables. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde se classant au 189ème rang parmi les 191 pays étudiés à l’Indice de développement humain des Nations Unies en 2022.
Le 30 octobre, les États-Unis ont annoncé que le Niger allait perdre l’accès privilégié au marché américain qui lui était accordé dans le cadre de la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA).