En 2022, si les autorités des Émirats arabes unis (EAU) ont modifié un grand nombre de lois, les dissidents ont continué de faire l’objet d’une inquiétante campagne de répression et de censure.
Les EAU ont renforcé leur capacité de surveillance, à la fois en ligne et à l’aide de drones dans les espaces publics. Les autorités émiraties ont continué à empêcher des représentants d’organisations internationales de défense des droits humains et des experts des Nations Unies de mener des recherches à l’intérieur du pays et de visiter des prisons et des centres de détention. Des sites de presse en ligne locale sont confrontés à l’autocensure et le travail des journalistes est extrêmement entravé. L’Expo 2020 s’est déroulée à Dubaï du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022, après avoir été reportée en raison du Covid-19.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
De nombreux militants, universitaires et avocats purgent actuellement de longues peines de prison aux EAU, à la suite de procès iniques concernant des accusations vagues et larges, en violation de leur liberté d’expression et d’association.
L’éminent défenseur émirati des droits humains Ahmed Mansour reste détenu en isolement cellulaire, pour la sixième année consécutive. Des détails concernant les persécutions infligées à Ahmed Mansour par les autorités émiraties ont émergé en 2021, révélant de graves violations de ses droits et montrant que l’Agence de sécurité de l’État pouvait commettre de telles exactions en toute impunité. En juillet 2021, une lettre privée d’Ahmed Mansour décrivant les mauvais traitements qu’il subissait en détention a été divulguée dans la presse régionale, suscitant de nouvelles inquiétudes quant à son bien-être et à de possibles représailles. Une source proche du dossier a affirmé que, à la suite de la publication de cette lettre, les autorités ont placé Ahmed Mansour dans une cellule plus petite et plus isolée, lui ont refusé l’accès à des soins de santé indispensables et ont confisqué ses lunettes de lecture.
L’éminent universitaire Nasser Bin-Ghaith, condamné à 10 ans de prison pour avoir critiqué les autorités émiraties et égyptiennes, se trouve toujours en détention. Il en va de même pour le professeur d’université et avocat spécialiste des droits humains Mohammed al Roken, également condamné à 10 ans de prison, tout comme d’autres accusés, au cours du procès manifestement inéquitable des « UAE-94 ». Certaines personnes reconnues coupables lors de ce procès sont encore en prison, alors qu’elles ont purgé leur peine.
En octobre 2021, Michael Bryan Smith, ressortissant britannique, a été libéré après avoir passé plus de 10 ans en prison. Il avait pourtant été amnistié en 2014. Tout au long de sa détention, les autorités lui ont refusé, comme à d’autres prisonniers séropositifs, un accès régulier et constant à un traitement médical indispensable et à des soins de santé adaptés.
Fin 2021, Hamad al Shamsi, Mohammed Saqr al Zaabi, Ahmed al Shaiba al Nuaimi, et Saïd al Tenaiji, quatre opposants en exil faisant partie des « UAE-94 », ont été fichés comme « terroristes » par les autorités, au titre d’une loi antiterroriste émiratie vague et arbitraire. Cette qualification a eu pour conséquence immédiate le gel de leurs avoirs, la confiscation de leurs propriétés et l’interdiction pour leurs proches restés dans le pays de communiquer avec eux, sous peine de poursuites.
Les Émirats arabes unis ont mis en place certaines des technologies les plus avancées au monde afin de surveiller de manière généralisée l’espace public, les activités en ligne et même les téléphones et ordinateurs des citoyens, en violation de leurs droits à la vie privée, de leur liberté d’expression, d’association et d’autres droits. Des sites Internet, des blogs, des messageries et des réseaux sociaux font également l’objet d’une surveillance massive et sont mis à mal. Les autorités bloquent et censurent les contenus en ligne qu’elles jugent critiques envers les dirigeants, le gouvernement, sa politique, et tout sujet, social ou politique, qui peut leur sembler sensible.
Les modifications apportées en décembre 2021 au Code pénal et à la Loi relative à la cybercriminalité ont encore restreint l’espace laissé aux opposants. L’article 174 du Code pénal prévoit une peine minimale de 5 ans de prison et une amende de 100 000 dirhams (26 300 €) au minimum pour une action contre un pays étranger pouvant « mettre en péril les relations politiques » et ayant eu lieu « par écrit, oralement, par le biais d’images, de déclarations, de tout moyen technologique ou par voie de presse ». Deux nouvelles dispositions pourraient bien avoir des conséquences directes sur le travail des journalistes exerçant aux Émirats arabes unis. L’article 178 prévoit en effet des peines de 3 à 15 ans de prison pour quiconque recueille, sans licence délivrée par les autorités compétentes, « des informations, des données, des objets, des documents, des conceptions, des statistiques ou toute autre chose, dans le but de les remettre à un pays, une organisation, une entité ou un groupe étranger, quel que soit son nom ou sa forme, ou à une personne travaillant dans l’intérêt de ce pays, cette organisation, cette entité ou ce groupe ». La Loi relative à la cybercriminalité contient par ailleurs une section entièrement nouvelle intitulée « diffusion de rumeurs et d’informations mensongères ».
Associated Press a rapporté que, lors de l’Expo 2020, des responsables de l’organisation ont à plusieurs reprises tenté de forcer des journalistes qui couvraient l’événement à signer des formulaires insinuant qu’ils s’exposaient à des poursuites judiciaires en cas de non-respect des instructions données sur le site de l’exposition.
Travailleurs migrants
Le système de kafala (parrainage) en vigueur aux Émirats arabes unis lie les visas des travailleurs migrants à leur employeur, ce qui les empêche de changer de travail ou de quitter un poste sans la permission de celui-ci. Celles et ceux qui ont quitté leur emploi sans permission ont dû faire face à des sanctions pour « fuite », dont des amendes, des arrestations, de la détention et des expulsions, sans la moindre garantie d’une procédure régulière. Bon nombre de travailleurs migrants sous-payés sont extrêmement vulnérables au travail forcé. Des recherches menées par Equidem ont démontré que la majorité des travailleurs migrants embauchés dans le cadre de la préparation de l’Expo 2020 avaient été victimes de travail forcé, de frais de recrutement illégaux, de retenues de salaires et avantages et n’avaient pas pu avoir accès à des mécanismes de plainte.
Un nouveau Code du travail, adopté en novembre 2021, est entré en vigueur en février 2022, parallèlement à des dispositions réglementaires permettant sa mise en œuvre. Les modifications apportées comprennent notamment la reconnaissance du travail flexible, temporaire, à temps partiel et à distance, et l’interdiction explicite du harcèlement sexuel et de la discrimination. Elles permettent également aux travailleurs de changer d’employeur durant leur période d’essai.
Les travailleurs domestiques, qui subissent un large éventail d’abus, sont absents de ce nouveau code. Si une loi de 2017 relative aux travailleurs domestiques leur garantit certains droits en matière de travail, elle n’a pas la portée du Code du travail et n’est pas conforme aux normes internationales.
Politiques en matière de changement climatique et impacts
Les Émirats arabes unis, qui figurent parmi les dix plus grands producteurs de pétrole au monde, participent grandement à la crise climatique. Des mesures louables ont été prises par les EAU pour réduire les émissions, notamment en augmentant la part des énergies renouvelables et en supprimant certaines subventions aux énergies fossiles. Le pays a néanmoins maintenu des objectifs élevés en matière d’utilisation et de production de combustibles fossiles, à la fois pour l’exportation et pour la consommation nationale. Le plan d’action national des EAU en matière climatique, revu en 2020, est « grandement insuffisant » pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement mondial à 1,5° au-dessus du niveau de l’époque préindustrielle. La COP28, la conférence internationale sur le changement climatique, se tiendra en novembre 2023 aux EAU.
Les EAU sont particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique, notamment en ce qui concerne les chaleurs extrêmes, l’augmentation des périodes de sécheresse et l’élévation du niveau de la mer. Quatre-vingt-cinq pourcents de la population vit le long des côtes, à quelques mètres à peine au-dessus du niveau de l’eau.
Droits des femmes et des enfants
Le Code pénal de décembre 2021 a de nouveau érigé en infraction les relations sexuelles consenties hors mariage, qui avaient été retirées de l’ancien Code pénal à la suite d’amendements introduits en 2020. Les couples non mariés ayant un enfant encourent pas moins de deux ans de prison, sauf s’ils se marient et font enregistrer leur enfant, ou le reconnaissent et obtiennent un certificat de naissance et d’autres documents officiels. Les femmes enceintes non mariées rencontrent des obstacles dans l’accès à des soins de santé prénataux et au moment de déclarer la naissance de l’enfant.
En vertu de la Loi fédérale régissant le statut personnel, une femme doit recevoir la permission d’un tuteur masculin pour se marier. Une femme mariée peut perdre son droit à ce que son mari subvienne à ses besoins si elle refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui sans raison légitime. Les hommes peuvent divorcer de manière unilatérale alors que les femmes doivent demander une décision de justice pour obtenir le divorce.
La Loi de 2019 relative à la violence domestique comporte certaines dispositions positives, telles que les ordonnances de protection. Cependant, la violence domestique y est définie d’une manière qui permet une grande marge d'appréciation judiciaire quant à ce qui constitue des abus de la part de tuteurs masculins envers leur femme, les femmes de leur famille, et leurs enfants. La loi place par ailleurs la réconciliation avant la sécurité des victimes, dans la mesure où elle prévoit la proposition de « conciliation » entre la victime et l’agresseur avant toute action pénale.
La Loi relative à la nationalité accorde automatiquement la citoyenneté émiratie aux enfants d’un homme émirati, mais pas à ceux d’une mère émiratie et d’un père étranger.
Le gouvernement n’a pris aucune mesure pour respecter les engagements pris en 2018 dans le cadre de l’Examen périodique universel des Nations Unies afin d’interdire les punitions corporelles infligées aux enfants, quelle que soit la situation.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le Code pénal de 2021 criminalise la sodomie entre hommes adultes, ainsi que d’autres actes à la définition vague, ce qui permet aux autorités de procéder à des arrestations pour de nombreuses raisons, dont les marques d’affection en public ou les comportements non conformes au genre. Les campagnes de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres (LGBT) sont également visées.
L’article 411 du Code pénal prévoit, pour tout « acte indécent flagrant » ou toute déclaration ou action contraire à la morale publique, une peine de prison et une amende pouvant aller de 1 000 à 100 000 dirhams (de 260 € à 26 000 €). En cas de récidive, la peine est de trois mois de prison au minimum et d’une amende de 10 000 à 200 000 dirhams (de 2 600 € à 52 000 €).
Le nouveau Code pénal émirati punit d’un an de prison, d’une amende maximale de 10 000 dirhams (2 595 €), ou des deux « tout homme qui, habillé en femme, pénètre dans un endroit réservé aux femmes ou dont l’entrée, à ce moment, est interdite aux personnes qui ne sont pas des femmes ». Dans les faits, des femmes transgenres ont été arrêtées pour ce motif alors qu’elles se trouvaient dans des espaces mixtes.
En juin, le gouvernement a exercé des pressions sur Amazon afin d’obtenir une restriction, sur la page Internet de la plateforme aux EAU, des articles et des résultats de recherches liés aux personnes, aux symboles et aux questions LGBT.
Principaux acteurs internationaux
En tant qu’acteur impliqué dans le conflit armé au Yémen, les États-Unis ont fourni à la coalition menée par les forces saoudiennes et émiraties un soutien logistique et en matière de renseignement. Un rapport interne de l’Office gouvernemental des comptes américain (GAO) a montré de graves dysfonctionnements dans la surveillance par le gouvernement américain de la manière dont les armes vendues à ces deux pays étaient utilisées.