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Liban

Événements de 2022

Des familles de victimes et d'autres personnes participaient à une manifestation à Beyrouth, au Liban, le 4 août 2022, à l’occasion du deuxième anniversaire de l'explosion dans le port de cette ville.

© 2022 Fadel Itani/NurPhoto via AP

Le Liban est entré dans sa quatrième année d’une crise économique paralysante qui a eu des conséquences désastreuses pour les droits et a plongé plus de 80 % de la population dans la pauvreté. Les communautés marginalisées, notamment les réfugiés, les personnes handicapées, les enfants, les personnes âgées, les travailleurs migrants et les personnes LGBT, ont été touchées de manière disproportionnée. La crise a eu un impact dévastateur sur l’offre de services publics, et en particulier sur l’éducation, la sécurité et la santé.

Le gouvernement libanais et le Fonds monétaire international ont conclu un accord de principe pour un programme d’environ 3 milliards de dollars sur 46 mois, conditionné à la mise en œuvre de réformes clés que l’establishment politique a bloquées et entravées.  

En mai, le Liban a organisé ses premières élections législatives depuis la vague de manifestations d’octobre 2019. Ces élections ont été marquées par de graves violations, notamment des achats de voix, des violences et incitations à la violence, ainsi que des abus de pouvoir de la part des partis politiques. Les partis politiques établis du Liban n’ont publiquement pris aucun engagement pour renforcer les protections des droits humains. Si 13 candidats réformateurs indépendants ont obtenu des sièges, les élections n’ont pas entraîné de changement significatif du statu quo politique.  

Le Président et le Premier ministre libanais n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un nouveau gouvernement depuis que le mandat du cabinet sortant a expiré suite aux élections de mai. Le mandat du président Michel Aoun a pris fin le 31 octobre, mais les parlementaires n’ont pas encore élu de nouveau président.

L’establishment politique a continué à faire obstruction à l’enquête menée au niveau national sur l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, qui a fait plus de 220 morts et plus de 7 000 blessés.

Des décennies de corruption et de mauvaise gestion dans le secteur de l’électricité ont conduit au démantèlement de ce dernier, l’État s’étant révélé incapable de fournir plus de deux à trois heures d’électricité par jour.

Justice et responsabilité

Même si plus de deux ans se sont écoulés depuis l’explosion catastrophique survenue dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a également dévasté la moitié de la capitale et causé d’importants dégâts matériels, personne n'a encore été tenu de rendre des comptes sur ce qui s'est passé.

Human Rights Watch a examiné des centaines de pages de documents officiels qui suggèrent fortement que certains responsables gouvernementaux étaient conscients que la présence de nitrate d’ammonium dans le port pouvait entraîner une catastrophe mortelle et qu’ils ont tacitement accepté la mise en danger de vies humaines. Ces faits constituent une violation du droit à la vie au sens du droit international des droits humains.

Pourtant, l’establishment politique a continué à faire obstruction et à retarder l’enquête menée au niveau national. Les personnalités politiques impliqués dans l’explosion ont déposé plus de 25 demandes de révocation du juge Tarek Bitar, qui dirige l’enquête, et d’autres juges impliqués dans l’affaire, ce qui a entraîné de multiples suspensions de l’enquête elle-même. Suite à la dernière série de contestations judiciaires déposées contre le juge Bitar, l’enquête est suspendue depuis le 23 décembre 2021.

En septembre, le ministre de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature ont convenu de nommer un juge suppléant chargé de « travailler sur les questions urgentes et nécessaires » dans cette affaire, une mesure qualifiée d’illégale par plusieurs juges et experts juridiques.

Les familles des victimes, les groupes de défense des droits et les experts des droits de l’homme des Nations Unies ont demandé une mission d’enquête internationale et indépendante sur l’explosion, mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Cependant, aucun pays n’a encore présenté de résolution en ce sens et certains affirment qu’ils attendent le « feu vert » de la France.

L’affaire de l’explosion du port de Beyrouth a clairement illustré le manque d’indépendance du système judiciaire libanais et sa sensibilité à l’ingérence politique. Un projet de loi visant à renforcer l’indépendance de la justice est bloqué au Parlement depuis 2018, et les amendements au projet introduits par les parlementaires affaiblissent nombre de ses dispositions.

En outre, Human Rights Watch a constaté de nombreux manquements, des négligences manifestes et des violations de procédure dans quatre enquêtes politiquement sensibles sur des meurtres commis au cours des deux dernières années, notamment sur l’assassinat de l’intellectuel de renom et critique du Hezbollah Lokman Slim, démontrant que les généreuses contributions des donateurs visant à financer et à former les forces de sécurité et les membres du système judiciaire libanais n’ont pas permis de renforcer l’état de droit.

Crise financière et économique

Selon la Banque mondiale, la crise libanaise est l’une des « crises mondiales les plus sévères depuis le milieu du XIXème siècle ». Elle est le produit de trois décennies de politiques fiscales et monétaires tout aussi délibérées qu’imprudentes.

La devise libanaise a perdu plus de 95% de sa valeur d’avant la crise. Cette dévaluation rapide, ainsi que les goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement et les pénuries de carburant, ont provoqué une hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires, qui a atteint 483 % par rapport à l’année précédente en janvier 2022, et qui restait élevée, à hauteur de 332 %, en juin 2022. La Banque centrale ayant épuisé ses réserves de change et supprimé les subventions sur l’importation de la plupart des produits essentiels, les prix de l’électricité, de l’eau et du gaz se sont envolés, augmentant de 595% entre juin 2021 et juin 2022. Ces hausses de prix ont transformé certains services essentiels aux entreprises, à la santé et à l’alimentation en un luxe que de nombreuses personnes ne peuvent se procurer qu’en quantités limitées – quand elles peuvent s’en procurer.

Un sondage mené entre novembre 2021 et janvier 2022 par Human Rights Watch auprès d’un échantillon représentatif à l’échelle nationale a révélé que le ménage moyen déclarait un revenu mensuel d’à peine 122 dollars US. 70 % des ménages ont déclaré avoir des difficultés à joindre les deux bouts ou être toujours en retard sur leurs dépenses de base, et 22 % ont fait savoir qu’ils n’avaient parfois ou souvent pas eu assez à manger au cours du dernier mois.

Si la crise a touché la plupart des habitants du Liban, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a constaté que les femmes, les enfants, les travailleurs migrants, les réfugiés syriens et palestiniens et les personnes handicapées étaient plus particulièrement touchés.

La crise a eu un impact dévastateur sur l’offre de services publics. Les écoles ont rencontré des difficultés de fonctionnement en raison des démissions et des grèves des enseignants, des coupures d’électricité et d’Internet, et de l’inflation. Les écoles publiques qui accueillent des centaines de milliers d’élèves libanais et syriens sont en grande partie fermées depuis trois ans.

Le secteur des soins de santé s’effondre en raison de la fuite de milliers de médecins et d’infirmiers du Liban, de la pénurie de médicaments et de matériel médicaux et des coupures d’électricité. La Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS), le plus grand fournisseur de services sociaux financés par l’emploi, est au bord de la faillite et ne rembourse plus les frais médicaux de ses assurés.

Malgré un soutien accru des États donateurs, les soldats de l’armée libanaise, dont le salaire réel est passé de 900 à moins de 50 dollars US par mois, n’ont reçu que des augmentations de salaire minimes et ont dû trouver un ou plusieurs emplois supplémentaires ou démissionner. Au sein des Forces de sécurité intérieure du Liban, les désertions, l’impossibilité de se rendre sur le lieu de travail en raison du coût du carburant et la nécessité de réduire les effectifs pour permettre à chacun d’effectuer d’autres tâches, ont réduit la capacité de ces forces à répondre aux besoins en matière de sécurité.

Le système de protection sociale du Liban souffre d’importantes lacunes en termes de couverture et est en situation de sous-financement chronique. Depuis la crise financière, le Liban n’a introduit qu’un seul nouveau programme d’aide sociale, le Projet de filet de sécurité sociale d’urgence (Emergency Social Safety Net, ESSN), financé par la Banque mondiale, qui doit fournir des transferts en espèces à 150 000 ménages en 2022.

À mesure que la crise s’aggravait, nombreux sont ceux qui ont emprunté, par voie maritime, des routes migratoires dangereuses vers l’Europe. En avril, un bateau transportant environ 80 Libanais, Syriens et Palestiniens a coulé au large des côtes de Tripoli après avoir été intercepté par la marine libanaise. Seuls 48 personnes ont pu être sauvées.  

Crise de l’électricité

Des décennies de corruption et de mauvaise gestion ont paralysé le secteur de l’électricité, l’État s’étant révélé incapable de fournir plus de deux à trois heures d’électricité par jour. Si les pannes sont généralisées et touchent tous les habitants du Liban, la crise a aussi exacerbé les inégalités dans le pays.

Une enquête de Human Rights Watch a révélé que les factures de générateur d’un ménage moyen représentaient 44% de son revenu mensuel. Les disparités entre les niveaux de revenus sont énormes. Pour les personnes du quintile inférieur qui avaient accès à un générateur, les factures de générateur représentaient 88% de leur revenu mensuel en moyenne, contre 21% pour le quintile supérieur.

Le manque d’électricité fiable et continue a eu un impact sur le droit des personnes à l’électricité, à un niveau de vie adéquat, notamment à la nourriture, aux soins médicaux et à l’eau, et sur l’accès à l’éducation, à la santé et aux moyens de subsistance.

Abus commis par les forces de sécurité

Bien que le Parlement ait adopté une loi anti-torture en 2017, les forces de sécurité continuent de pratiquer la torture. Les autorités judiciaires continuent d’ignorer les dispositions de cette loi et l’obligation de rendre des comptes en matière de torture reste illusoire.

En septembre, un réfugié syrien détenu par la Sûreté de l’État est mort suite à des actes de torture. Plusieurs officiers ont été arrêtés et sont jugés par des tribunaux militaires, qui manquent d’indépendance.

Les plaintes pour torture déposées par plusieurs manifestants en 2020 n’ont pas progressé devant les tribunaux.

En 2019, le Conseil des ministres libanais a nommé les cinq membres du mécanisme national de prévention de la torture, mais n’a toujours pas alloué de fonds pour ce mécanisme.

En octobre 2021, des membres de l’armée libanaise ont fait un usage illégal de la force lors d’une manifestation à laquelle le Hezbollah et ses alliés avaient appelé pour demander la révocation du juge chargé de l’enquête sur l’explosion de Beyrouth. Bien que l’armée ait admis qu’un officier qui avait utilisé des tirs à balles réelles en violation des ordres faisait l’objet d’une enquête, il n’y a pas encore eu de verdict dans cette affaire.  

Liberté d’expression

Au Liban, les journalistes, les professionnels des médias et les activistes sont réduits au silence pour avoir critiqué les politiques gouvernementales et la corruption par des acteurs privés et par les autorités qui font usage de lois pénales relatives à l’insulte ou à la diffamation.

La compétence large des tribunaux militaires est notamment utilisée pour faire taire et punir toute dissidence ou critique pacifique des agences de sécurité. En juin 2022, la célèbre comédienne Shaden Fakih a été condamnée par le tribunal militaire pour avoir prétendument terni la réputation des forces de sécurité intérieure après avoir publié un sketch sur sa page Instagram.

Droits des femmes

Les femmes continuent d’être victimes de discrimination en vertu de 15 lois distinctes sur le statut personnel fondées sur la religion. La discrimination comprend l’inégalité dans l’accès au divorce, à la garde des enfants, à l’héritage et aux droits de propriété. Contrairement aux hommes, les femmes libanaises ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs maris et à leurs enfants étrangers.

Le nombre croissant de cas de féminicides et de violences domestiques a mis en évidence la nécessité d’une application plus stricte de la loi libanaise sur les violences familiales.

Travailleurs migrants

Des dizaines de milliers de travailleurs domestiques migrants, principalement originaires d’Afrique et d’Asie du Sud-Est, résident au Liban et leur statut est régi par un régime restrictif et abusif de lois, règlements et pratiques coutumières connu sous le nom de système de la kafala (parrainage).

Les tentatives de démantèlement de la kafala ont été bloquées, notamment par les agences de recrutement, dont beaucoup sont accusées de soumettre les travailleurs à des abus, au travail forcé et à la traite des êtres humains.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les personnes LGBT font l’objet d’une discrimination systémique au Liban et continuent d’être touchées de manière disproportionnée par la crise économique. Les femmes transgenres sont victimes de violences systémiques et de discriminations dans l’accès aux services de base, notamment à l’emploi, aux soins de santé et au logement.

L’article 534 du Code pénal punit « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison, mais une cour d’appel de district a statué en 2018 que les comportements homosexuels consensuels n’étaient pas illégaux.

Les autorités libanaises sont intervenues à plusieurs reprises pour empêcher la tenue d’événements relatifs aux droits humains liés au genre et à la sexualité. En juin, les autorités libanaises ont illégalement interdit les rassemblements pacifiques de personnes LGBT. Les groupes de défense des droits ont fait appel de cette décision.

Réfugiés

Le Liban accueille près de 900 000 réfugiés syriens enregistrés et le gouvernement estime que 500 000 autres vivent dans le pays de manière informelle. Seuls 16% des réfugiés syriens ont une résidence légale au Liban, ce qui rend la plupart d’entre eux vulnérables au harcèlement, aux arrestations, à la détention et à l’expulsion. On estime que neuf réfugiés syriens sur dix vivent dans une extrême pauvreté.

Les autorités libanaises prévoient de renvoyer les réfugiés, même si les Syriens qui retournent en Syrie sont confrontés à de graves abus et à des persécutions de la part du gouvernement syrien et des milices qui lui sont affiliées.

Environ 174 000 réfugiés palestiniens vivent par ailleurs au Liban, où ils continuent de subir des restrictions, notamment en ce qui concerne leur droit de travailler et de posséder des biens.

Séquelles des guerres et conflits passés

La Commission nationale indépendante créée en 2020 pour enquêter sur le sort des quelque 17 000 Libanais enlevés ou disparus pendant la guerre civile qui a déchiré le pays de 1975 à 1990 n’a toujours pas reçu de budget, ni de siège pour fonctionner.

En mars, la Chambre d’appel du Tribunal spécial pour le Liban a annulé l’acquittement des agents du Hezbollah Hassan Merhi et Hussein Oneissi et les a condamnés en leur absence pour avoir participé à l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik al-Hariri en 2005.

Principaux acteurs internationaux

La Syrie, l’Iran, l’Arabie saoudite et d’autres puissances régionales exercent leur influence au Liban par l’intermédiaire d’alliés et de mandataires politiques locaux.

Le conflit frontalier maritime entre le Liban et Israël s’est intensifié au cours de l’été après qu’un navire a commencé à installer une plateforme de forage israélienne dans le champ de Karish, une zone contestée riche en gaz naturel et en pétrole. Le 11 octobre, le Liban et Israël ont conclu un accord historique délimitant la frontière maritime contestée après des années de négociations sous médiation américaine.  

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a prolongé le mandat de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) au Sud-Liban jusqu’au 31 août 2023.

Les agences de sécurité libanaises continuent de recevoir l’aide d’une série de donateurs internationaux, notamment les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la France et l’Arabie saoudite.

En juillet, l’Union européenne a étendu son cadre de sanctions ciblées visant ceux qui entravent la formation d’un gouvernement ou les efforts de réforme. Au moment de la rédaction de ce rapport, aucun individu ou entité n’avait été sanctionné.