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Éthiopie

Événements de 2022

Des bâtiments abandonnés servent d'abri à des personnes déplacées dans le nord de l'Éthiopie, près de la ville de Dubti, dans la région d'Afar, le 7 juin 2022. 

© 2022 EDUARDO SOTERAS/AFP

Depuis qu’il a débuté il y a deux ans en novembre 2020, le conflit armé dans le nord de l’Éthiopie a eu un impact dévastateur sur les civils. Une trêve a été conclue en novembre entre les principales parties au conflit. Les forces de sécurité gouvernementales et les groupes armés ont commis de graves abus dans d’autres régions, notamment dans l’Oromia. Les autorités ont parfois coupé l’accès à internet et les télécommunications dans les zones affectées par les conflits, ces services étant notamment suspendus au Tigré depuis juin 2021.

Le conflit et l’instabilité dans plusieurs régions, ainsi que la sécheresse, ont par ailleurs exacerbé l’une des plus grandes catastrophes humanitaires au monde. Plus de 20 millions de personnes ont eu besoin d’une assistance humanitaire en 2022.

Dans l’ouest de la province d’Oromia, les affrontements entre forces gouvernementales et groupes armés ont donné lieu à de graves abus commis par toutes les parties au conflit.

Les journalistes, les organisations de la société civile et des personnalités publiques critiques du gouvernement éthiopien ont été confrontés à un environnement de plus en plus hostile et restrictif.

Les relations sexuelles consensuelles entre personnes de même sexe sont interdites et passibles de peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans.

Malgré les preuves de plus en plus nombreuses que des violations du droit international ont été commises par les parties au conflit dans le nord de l’Éthiopie, ainsi que dans l’Oromia, les efforts du gouvernement pour faire rendre des comptes aux auteurs d’abus en cours ou passés ont été inadéquats, et ils manquaient de transparence et d’une supervision indépendante.

Le conflit dans le nord de l’Éthiopie

Le conflit dans le nord de l’Éthiopie s’est poursuivi pour la deuxième année consécutive, dans un contexte de pression internationale limitée.

Dans l’ouest de la région du Tigré, une campagne de nettoyage ethnique, constituant des crimes contre l'humanité, menée contre la population tigréenne par des responsables récemment nommés et par les forces de sécurité régionales amharas et des milices, s’est poursuivie.

Le 7 janvier, un drone gouvernemental a frappé un complexe scolaire accueillant des milliers de Tigréens déplacés du Tigré occidental à Dedebit, tuant au moins 57 civils et en blessant plus de 42.

Les autorités éthiopiennes ont effectivement assiégé tout au long de l'année le Tigré, en violation du droit international humanitaire. De la mi-décembre 2021 au 1er avril 2022, ainsi que de fin août au 16 novembre 2022, aucun convoi humanitaire n'est entré dans la région. Le 24 mars, le gouvernement fédéral a déclaré une « trêve humanitaire à durée indéterminée » et a finalement laissé l’aide humanitaire entrer au Tigré conformément à ses obligations, mais la réponse n’a pas été à la hauteur des besoins.

Les services de base, essentiels à la survie de la population, notamment les banques, l’approvisionnement en électricité et les télécommunications, sont restés interrompus. Un rapport publié en août par les Nations Unies soulignait la grave crise alimentaire qui sévit dans le Tigré, faisant état d'une insécurité alimentaire dans 89 % des zones étudiées et d'un enfant sur trois âgé de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë.

Dans l’Afar, des affrontements le long de la frontière du Tigré qui ont commencé fin décembre 2021 entre forces tigréennes et forces de l’Afar se sont intensifiés au début de l’année 2022 et des meurtres, ainsi que des pilonnages d’artillerie et des pillages par les forces tigréennes ont été signalés.

Les forces de l’Afar ont rassemblé environ 9 000 Tigréens dans des lieux de détention dans la capitale régionale de l’Afar, Semera, à la fin décembre 2021 et les ont détenus pendant des mois. Les prisonniers n’ont reçu qu’une assistance limitée et, selon certaines informations, plusieurs dizaines d’entre eux sont morts en raison de leurs conditions de détention.

Les combats opposant les forces éthiopiennes et leurs alliés aux forces tigréennes ont repris le 24 août. L’aide humanitaire qui était acheminée au Tigré par la route et par voie aérienne a été suspendue. Les forces tigréennes se sont emparées de carburant stocké dans un dépôt des Nations Unies dans la capitale du Tigré, Mekelle. Les affrontements se sont également intensifiés et des informations ont fait état de la participation des forces armées de l’Érythrée à des offensives et d’une augmentation des frappes aériennes dans la région du Tigré.

Le 27 septembre, une frappe aérienne sur une zone résidentielle de la ville d'Adi Daero a tué huit personnes et en a blessé 13. Les attaques se sont poursuivies près d’Adi Daero avec une frappe aérienne qui a tué plus de 50 personnes déplacées le 4 octobre. L’intensification des opérations éthiopiennes et érythréennes près de la ville de Shire a causé de nouveaux morts, des destructions de propriété et de nouveaux déplacements de personnes. Le 14 octobre, une frappe aérienne sur Shire a tué deux civils et un travailleur humanitaire de l’International Rescue Committee qui livrait une assistance vitale.

Les affrontements dans les régions d’Amhara et d’Afar en septembre ont eu pour conséquence de nouveaux déplacements, des restrictions d’accès à l’aide humanitaire, ainsi que des signalements d’exécutions extrajudiciaires d’habitants de l’Amhara par les combattants tigréens et des pillages et destructions de biens dans la ville de Kobo lorsqu’ils en avaient le contrôle.

Le 2 novembre, en Afrique du Sud, le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités tigréennes ont conclu un accord de cessation des hostilités, au bout de 10 jours de négociations sous l’égide de l’Union africaine.

Abus commis par les forces de sécurité et attaques par les groupes armés

Des exécutions extrajudiciaires, des arrestations de masse, des détentions arbitraires et des violences contre les civils se sont également produites dans d’autres régions confrontées à l’instabilité, à l’insécurité et à une situation de conflit.

Le 14 juin, les forces gouvernementales ont affronté deux groupes armés, l’Armée de libération de l’Oromo (Oromo Liberation Army, OLA) et le Front de libération de Gambella, dans la capitale de la région de Gambella. Après avoir pris le contrôle de la ville, les forces gouvernementales ont effectué des fouilles maison par maison et ont exécuté sommairement des habitants soupçonnés de collaboration avec les groupes armés.

Certaines zones de l’Oromia ont connu une situation de conflit prolongée à cause des opérations du gouvernement contre l’OLA. Le 18 juin, des combattants lourdement armés ont tué environ 400 civils amharas, dont de nombreuses femmes et enfants, et ont détruit des habitations et des entreprises dans des villages de la zone de Wellega Ouest, en Oromia, et dans la région voisine de Benishangul-Gumuz. Deux semaines plus tard, le 4 juillet, des assaillants ont attaqué des civils amharas dans la Zone de Kellem Wellega en Oromia, faisant de nombreux morts.

Les combats se sont intensifiés début novembre entre les forces gouvernementales éthiopiennes et l’OLA, et des victimes civiles ont été signalées à la suite de combats et de frappes aériennes. Dans l’ouest de l’Oromia, il a été reporté que des combattants de la région d’Amhara étaient en opération dans la zone. Les Nations Unies ont affirmé que les violences dans cette région ont provoqué une forte augmentation des déplacements internes de populations et des destructions d’infrastructure.

À la fin de juillet, le groupe armé Al-Shabab a effectué des incursions dans trois villes accueillant des forces régionales spéciales dans la région Somali de l'Ethiopie, la première attaque de ce type en territoire éthiopien depuis plus d’une décennie.

Libertés d’expression, d’association et des médias

Les autorités ont arrêté plusieurs journalistes, les maintenant en détention sans inculpation pendant plusieurs semaines, en dépit des décisions de justice ordonnant leur libération. En novembre 2021, les autorités ont arrêté deux journalistes du réseau Oromia News Network, Dessu Dulla et Bikila Amenu, qui couvraient les conflits au Tigré et en Oromia. Dessu et Bikila ont été maintenus en détention sans inculpation jusqu’au mois d’avril, quand les procureurs les ont inculpés de violations de la constitution, requérant la peine de mort à leur encontre. Les autorités les ont libérés tous les deux à la mi-novembre.

Les journalistes et les individus qui proposent une version des faits critique ou différente de celle du gouvernement fédéral font l’objet de menaces, d’arrestations et d’expulsions. En mai, les forces de sécurité ont arrêté Solomon Shumye, l’animateur d’un talk-show basé à Addis Abeba qui a émis des critiques du gouvernement et de la guerre dans le nord de l’Éthiopie. Solomon fait partie des19 journalistes, dont Gobeze Sisay et Meaza Mohammed, qui ont été détenus entre le 19 mai et début juillet, dans le cadre d’une vague de répression menée par le gouvernement et au cours de laquelle plus de 4 500 personnes ont été arrêtées dans la région de l’Amhara. Gobeze et Meaza ont tous deux été remis en liberté par la suite, avant d’être de nouveau arrêtés par les autorités en septembre.

En mai, les autorités fédérales ont retiré son accréditation à Tom Gardner, le correspondant de The Economist à Addis Abeba, et l’ont expulsé du pays.

Le 6 septembre, les forces de sécurité ont interrompu une conférence pour la paix organisée par un groupe de 35 organisations locales de la société civile à Addis Abeba. Cet événement s’est finalement tenu en ligne et le groupe a émis une déclaration conjointe appelant à la paix. Deux jours plus tard, un responsable fédéral a intimidé le groupe, dans une tentative de lui faire retirer sa déclaration.

Les autorités fédérales ont maintenu la suspension des accès à l’internet et aux télécommunications au Tigré depuis juin 2021 et ont sporadiquement coupé ces services dans des secteurs de l’Oromia en proie à l’insécurité, entravant la production de rapports d’information en temps réel..

Droits à des procédures régulières et à des procès équitables

En janvier, le gouvernement a abandonné les chefs d’accusation qui avaient été retenus contre plusieurs personnalités de haut rang de l’opposition politique, dont Jawar Mohammed, Bekele Gerba et Eskinder Nega, que les autorités avaient placés en détention en juin 2020 après l’assassinat du chanteur oromo Hachalu Hundessa.

Des politiciens d’opposition membres du Front de libération de l’Oromo (Oromo Liberation Front, OLF), emprisonnés depuis 2020, restent en détention en dépit de multiples ordonnances judiciaires demandant qu’ils soient libérés sous caution. Bien que le colonel Gemechu Ayana ait été remis en liberté le 25 mai, après près de deux ans de détention, d’autres figures de l’OLF continuent de subir en détention de graves violations de leur droit à des procédures régulières, certains étant tombés malades, apparemment à cause d’un manque de soins médicaux adéquats.

Le 15 février, des parlementaires éthiopiens ont mis fin à l’état d’urgence national déclaré en novembre 2021 et qui a conduit à des arrestations massives de citoyens tigréens ordinaires. Cependant, des Tigréens sont restés en détention pendant plusieurs mois sans inculpation et ont subi de mauvais traitements après la levée de l’état d’urgence, y compris des Tigréens qui ont été expulsés d’Arabie Saoudite.

Les forces de sécurité fédérales ont également réarrêté Kibrom Berhe en juillet et Hailu Kebede en août, deux figures tigréennes d’opposition critiques du conflit au Tigré. En octobre, les autorités les ont remis tous les deux en liberté.

Déplacés internes et réfugiés

L’Éthiopie a continué de connaître d’importants déplacements de populations à l’intérieur de ses frontières, essentiellement à cause du conflit armé, auquel sont venus s’ajouter une sécheresse et d’autres aléas naturels dangereux. Les chiffres ont varié au cours de l’année, avec un décompte de 5,6 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays fin mars 2022, en plus de 2,8 millions de personnes de retour chez elles (d’anciens déplacés internes).

Des réfugiés ont également été affectés par le conflit et l’insécurité dans le pays. Le 18 janvier, un camp abritant plus de 10 000 réfugiés en provenance du Soudan et du Soudan du Sud, dans la région de Benishangul Gumuz, a été pillé et incendié, après que des affrontements eurent éclaté entre des groupes non identifiés et les forces fédérales.

Le 5 janvier, une frappe aérienne sur le camp de réfugiés de Mai Aini, au Tigré, a causé la mort de trois réfugiés érythréens, dont deux enfants. Le 3 février, des hommes armés ont pénétré dans le camp de Berahle qui abrite des réfugiés érythréens dans la région d’Afar, ont pillé des biens, tué cinq réfugiés et enlevé plusieurs femmes. Cette attaque a provoqué la fuite de milliers de réfugiés. À plusieurs reprises en septembre, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a perdu l’accès à plusieurs camps de réfugiés et sites d’accueil de déplacés internes dans le nord de l’Éthiopie à cause de la reprise des combats. En octobre, des experts en droits humains des Nations Unies ont rapporté des signalements d’enlèvements de réfugiées ainsi que de femmes et filles déplacées fuyant le conflit dans le nord de l’Éthiopie.

Principaux acteurs internationaux

Les efforts internationaux pour soutenir la cessation des hostilités et l’ouverture de discussions formelles entre le gouvernement éthiopien et les autorités tigréennes n’ont produit que de maigres résultats pendant la majeure partie de 2022. Plusieurs représentants spéciaux pour la Corne de l’Afrique ont été directement impliqués, dont ceux de l’Union africaine (UA), des États-Unis, de l’Union européenne (UE) et des Nations Unies. L’accord de cessation des hostilités conclu par les deux principales parties belligérantes le 2 novembre n’a pas immédiatement mené à une reprise de l’aide humanitaire et des services de base au Tigré. De plus, il manquait dans l’accord de détails précis sur l’établissement des responsabilités, soulignant la nécessité d’une surveillance rigoureuse du respect des droits par les principaux soutiens internationaux de la trêve.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies est resté largement paralysé au sujet de l’Éthiopie, le Gabon, le Ghana et le Kenya (les trois membres élus représentant l’UA au sein du Conseil jusqu’à la fin de 2022) ayant bloqué à plusieurs reprises toute discussion publique sur l’Éthiopie au Conseil, bien que se disant ouverts à l’idée de discussions à huis clos sur le conflit. Le 21 octobre, compte tenu de la détérioration de la situation, les membres africains du Conseil ont demandé une séance de consultations à huis clos sur l’Éthiopie et ont tenté de publier une déclaration, mais celle-ci a été bloquée par la Russie et la Chine.

En janvier 2022, les États-Unis ont suspendu les privilèges commerciaux qu’ils avaient accordés à l’Éthiopie en vertu de leur Loi sur le développement et les opportunités africaines (African Growth Opportunity Act, AGOA), en raison de préoccupations quant aux violations des droits humains commis par le gouvernement éthiopien et les parties au conflit dans le nord de l’Éthiopie. En septembre, le président des États-Unis, Joe Biden, a renouvelé un décret de 2021 qui établissait un régime de sanctions à l’encontre d’individus et d’entités responsables de violations des droits humains dans le nord de l’Éthiopie, mais il n’a sanctionné que des entités et individus érythréens.

En décembre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Uniesa créé une commission internationale indépendante chargée d’enquêter sur les allégations de violations du droit international commises par toutes les parties au conflit depuis novembre 2020. Les autorités éthiopiennes ont rejeté le mandat de cette commission et ont déposé devant la commission budgétaire de l’Assemblée générale des Nations Unies un projet de résolution visant à annuler son financement en mars. La commission budgétaire a rejeté cette résolution.

La commission d’enquête a rendu public son premier rapport en septembre, dans lequel elle affirme que toutes les parties au conflit ont commis des crimes de guerre et que les forces fédérales éthiopiennes et leurs alliés ont commis des crimes contre l’humanité à l’encontre de la population tigréenne. L’Éthiopie a rejeté ces conclusions et s’est opposée à la prorogation du mandat de la commission. Le 7 octobre, les membres du Conseil ont voté le renouvellement du mandat pour un an.

L’UE a continué d’exprimer de vives critiques des abus commis par les parties en guerre dans le nord de l’Éthiopie et a appelé à plusieurs reprises à la levée du blocage de l’accès humanitaire. Le 6 octobre, le Parlement européen a adopté une résolution sur la situation des droits humains au Tigré, affirmant que la famine y était utilisée comme arme de guerre. L’Union européenne a également joué un rôle de premier plan sur l’Éthiopie au sein du Conseil des droits de l’homme, quoique des divisions parmi ses membres aient empêché l’adoption d’autres mesures, comme un embargo sur les armes.

Bien que plusieurs partenaires internationaux de l’Éthiopie aient suspendu leur assistance non humanitaire à ce pays depuis le début du conflit, en avril la Banque mondiale a approuvé une allocation de 300 millions de dollars destiné à soutenir les efforts de reconstruction dans les zones affectées par le conflit, notamment au Tigré, malgré des préoccupations au sujet de la mise en œuvre de ce projet.