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Tunisie

Événements de 2020

© Fethi Belaid/AFP via Getty Images

Les élections législatives de 2019, les troisièmes à se tenir en Tunisie depuis les manifestations de rue massives qui ont abouti à l’éviction de l’ancien président autocratique Zine El Abidine Ben Ali en 2010, ont débouché sur un Parlement fractionné. Le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête avec 52 des 217 sièges, suivi de près par le parti Qalb Tounes, créé en 2019 par le magnat des médias Nabil Karoui.

En 2020, le Parlement n’a accompli aucun progrès pour réformer les lois qui violent ou menacent les droits humains. En outre, il n’a pas réussi à se mettre d’accord sur son quota de nominations de juges de la Cour constitutionnelle, qui pourrait jouer un rôle crucial pour garantir que les lois se conforment aux droits affirmés dans la constitution de 2014.

Le président Kaïs Saïed, élu en 2019, a encore renouvelé le 30 mai l’état d’urgence que le gouvernement avait imposé en 2015 après un attentat à Tunis, la capitale, qui avait tué 12 membres de la garde présidentielle.

Application de la Constitution

La constitution de 2014 prévoyait qu’une Cour constitutionnelle serait mise en place en 2015. Mais comme le Parlement n’a pas trouvé d’accord sur les quatre juges qu’il lui incombe de nommer, la Cour n’a pas pu commencer à travailler. La constitution octroie à la Cour le pouvoir d’annuler les lois allant à l’encontre des dispositions constitutionnelles, notamment celles portant sur les droits humains.

Le Parlement n’a pas réussi non plus à élire les autres autorités créées par la constitution, comme l’Instance des droits de l’homme et l’Instance de la bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.

Libertés d’expression, d’association, de réunion et de conscience

Les autorités se sont servies de dispositions répressives du code pénal et d’autres lois afin de punir des actes d’expression, entre autres des critiques visant des fonctionnaires. Ainsi deux activistes des médias sociaux, Anis Mabrouki, de Tebourba, et Hajer Awadi, du Kef, ont été arrêtés en avril – il s’agit d’affaires distinctes – et poursuivis pour avoir critiqué sur Facebook ce qu’ils considéraient comme une réponse inadéquate ou corrompue du gouvernement aux difficultés financières dues à la pandémie de Covid-19. Les procureurs les ont tous deux inculpés de « trouble à la tranquillité publique ». Ils ont également inculpé Mabrouki d’« imputation à un fonctionnaire public des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité » et Awadi d’« outrage à un fonctionnaire public ». Les tribunaux ont acquitté Mabrouki et condamné Awadi à deux mois et demi de prison et une amende. Ayant fait appel, elle était libre à l’heure où nous écrivons.

Le 4 mai, la police judiciaire a convoqué Emna Chargui après qu’elle avait republié sur Facebook un court texte intitulé « Soura Corona », rédigé et mis en forme dans le style d’une sourate coranique. Le procureur a inculpé Chargui d’« appel direct à la haine entre les religions, par l’utilisation de moyens hostiles ou de la violence » en vertu de l’article 52 du décret-loi sur la liberté de la presse. Le 17 juillet, un tribunal de première instance de Tunis a condamné Emna Chargui à six mois de prison et une amende. À la suite de la controverse et des poursuites judiciaires, Chargui a quitté la Tunisie.

Justice transitionnelle

Le gouvernement a fait un pas en faveur de la justice transitionnelle en publiant dans son Journal officiel, le 24 juin, le rapport final de l’Instance de la vérité et de la dignité, un organe mandaté par la loi sur la justice transitionnelle de 2013 pour enquêter et communiquer sur les graves violations des droits humains qui ont été commises en Tunisie entre 1955 et 2013. Ce rapport en cinq volumes comprend des recommandations de réformes politiques, économiques, administratives et du secteur de la sécurité afin d’empêcher un retour de la répression.

Lutte contre le terrorisme et détentions

Le décret-loi émis en 1978 par le premier président tunisien, Habib Bourguiba, régit les déclarations de l’état d’urgence. Un projet de loi sur lequel le Parlement doit se prononcer depuis 2018 entend élargir les pouvoirs des autorités locales et centrales pour leur permettre de restreindre les manifestations et les déplacements, entre autres libertés.

En novembre 2019, le procureur antiterroriste du tribunal de première instance de Tunis a accusé Mounir Baatour, avocat et président de Shams, un groupe qui défend les minorités sexuelles, d’« incitation à la haine, à l’animosité entre les races, les doctrines et les religions », en vertu de l’article 14 de la loi de 2015 relative à la lutte contre le terrorisme, qui a une portée excessivement large. Cette accusation se fondait sur le fait qu’il avait partagé sur sa page Facebook une publication que ses détracteurs considéraient comme désobligeante à l’égard du prophète Mohammed. Baatour a quitté la Tunisie et obtenu l’asile en France.

Les juges tunisiens continuent à prononcer des condamnations à mort, mais personne n’a été exécuté depuis la mise en place d’un moratoire de fait en 1991.

La Tunisie a autorisé le retour, le 23 janvier, de six enfants orphelins ayant pour parents des ressortissants tunisiens suspectés d’être membres de l’État islamique. Au moins 36 autres enfants de membres présumés de l’EI demeurent bloqués en Libye et on estime qu’environ 160 enfants tunisiens sont détenus dans les camps de Syrie ou les prisons irakiennes.

Droits des femmes

Les femmes tunisiennes continuent à subir une discrimination en matière d’héritage, en vertu de Code du statut personnel de 1956, qui impose que les fils héritent d’une part double de celle des filles. Un projet de loi révolutionnaire, fondé sur une recommandation de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité, nommée par le président en 2017, entend instaurer une égalité par défaut des droits des héritiers. Les gens pourraient toujours décider de ne pas suivre la procédure par défaut et de distribuer leurs biens de la façon prévue par le cadre légal actuel. Le Parlement doit toujours se prononcer sur ce projet de loi. Le 13 août, jour où la Tunisie célèbre sa Fête nationale de la femme, le président Kaïs Saïed s’est dit opposé à l’égalité en matière d’héritage. À la même date, deux ans plus tôt, feu le président Beji Caïd Essebsi avait appuyé les recommandations en faveur de l’égalité en matière d’héritage.

Le Code du statut personnel de 1956, qui en son temps fut une législation progressiste, non seulement dans la région mais aussi par rapport à certains États européens, est par ailleurs discriminatoire à l’égard des femmes en continuant à se référer au mari comme au « chef de famille », lui octroyant des avantages légaux dans les litiges sur la gestion du foyer. Or les projets actuels d’amendement de cette législation portent uniquement sur la section du Code du statut personnel qui traite de l’héritage.

En avril, le ministère de la Femme, de la Famille et des Personnes Âgées a ouvert un nouveau refuge pour les femmes victimes de violence domestique. Il a également étendu l’horaire de la ligne d’urgence pour les violences domestiques, qui fonctionne désormais 24 heures sur 24. Le ministère a déclaré avoir reçu beaucoup plus de plaintes pour violences domestiques à la fin du mois de mars, lors du confinement lié au Covid-19, comparé à l’année précédente. Le ministère a également introduit une ligne d’urgence axée sur la santé mentale pour aider les familles subissant les effets du stress dû au confinement. Les femmes ont rapporté avoir eu des difficultés à obtenir des ordonnances de protection (empêchant leurs agresseurs d’entrer en contact avec elles), telles que prévues par la loi de 2017 relative à la violence à l’égard des femmes, en raison des fermetures des tribunaux dans le cadre du confinement.

Les établissements scolaires ont fermé au milieu du mois de mars en Tunisie à cause de la pandémie de Covid-19, ne commençant à rouvrir qu’à la mi-septembre. De nombreux enfants des établissements publics n’ont pas eu accès à l’éducation pendant cette fermeture. En mai, un sondage de l’Institut national de la statistique réalisé auprès des parents a constaté que 66 % des enfants en âge d’être scolarisés n’avaient effectué aucune activité d’apprentissage lors des semaines précédentes, souvent par manque de possibilités d’apprentissage à distance, de supports pédagogiques ou de communication avec les enseignants.

Orientation sexuelle et identité de genre

Les autorités ont continué à poursuivre et emprisonner des hommes supposés homosexuels en vertu de l’article 230 du Code pénal, qui punit la « sodomie » d’un à trois ans de prison.

Le 6 juin, le tribunal de première instance du Kef a condamné deux hommes inculpés de sodomie à deux ans de prison, une peine réduite à un an en appel. Les hommes avaient refusé que la police les soumette à un examen anal, une pratique invasive discréditée que les autorités tunisiennes utilisent de façon routinière pour « prouver » les relations homosexuelles. Bien qu’il ait accepté une recommandation, lors de l’Examen périodique universel de la Tunisie auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mai 2017, le poussant à faire cesser immédiatement les examens anaux, le gouvernement n’a encore pris aucune mesure pour tenir cette promesse.

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