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Royaume-Uni : Les réductions de programmes sociaux signifient que des familles souffrent de la faim

Les lacunes dans les politiques gouvernementales aggravent les carences alimentaires et violent le droit à la nourriture

Une bénévole après de la banque alimentaire Trussell Trust range des produits, en vue de leur distribution ultérieure à des familles démunies, dans une petite salle de stockage à Londres. © 2017 Leon Neal/Getty Images


(Londres) – Les coupes effectuées par le gouvernement britannique dans les prestations sociales au cours des dix dernières années ont eu pour résultat que des dizaines de milliers de familles pauvres en Angleterre n'ont pas suffisamment de nourriture, ce qui constitue clairement un manquement du gouvernement à son devoir d'assurer l'approvisionnement en nourriture de la population, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Ce rapport de 115 pages, intitulé « Nothing Left in the Cupboards: Austerity, Welfare Cuts, and the Right to Food in the UK » (« Les placards de la cuisine sont vides: l'austérité, les coupes dans les prestations sociales et le droit à la nourriture au Royaume-Uni »), examine comment de fortes réductions dans le système de protection sociale, motivées par l'austérité et aggravées par l'introduction du système de Crédit universel (Universal Credit system) et par d'autres changements, ont fait que de nombreux foyers anglais avec enfants connaissent la faim et dépendent pour se nourrir de l'aide alimentaire fournie par les organisations caritatives. Beaucoup de ces foyers sont des familles monoparentales dont le chef est une femme. Human Rights Watch a constaté que le gouvernement britannique manque à son obligation, au regard du droit international en matière de droits humains, d'assurer le droit à une nourriture adéquate.

« La manière dont le gouvernement britannique a effectué la réduction de ses dépenses en matière de prestations sociales a rendu des parents incapables de nourrir leurs enfants, et ce dans un pays qui est la cinquième économie mondiale », a déclaré Kartik Raj, chercheur sur l'Europe de l'Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait assurer le droit de chacun de vivre à l'abri de la faim plutôt que de compter sur les organisations caritatives pour le faire à sa place. »

Human Rights Watch a concentré ses recherches sur trois zones d'Angleterre où existent de hauts niveaux de carences en nourriture, à Hull, dans le Cambridgeshire et à Oxford. Notre organisation a eu 126 entretiens, notamment avec des familles affectées par l'insuffisance alimentaire, des travailleurs bénévoles, des membres du personnel de banques alimentaires et de soupes populaires, et des personnels de centres communautaires et d'écoles ; a analysé des données et statistiques officielles ; et a examiné des informations provenant du gouvernement britannique et d'autorités locales.

« Souvent, il ne me reste plus rien à la fin de la semaine », a déclaré une mère âgée de 23 ans vivant à Hull avec sa fille de 4 ans, qui n'a pas pu trouver un emploi dont les horaires cadraient avec l'emploi du temps scolaire de sa fille et qui s'en remettait à une banque alimentaire à bas coût qui redistribue des surplus de nourriture provenant de supermarchés. « Quand vous êtes mère célibataire, il y a très peu d'emplois qui vous permettent de déposer votre enfant à l'école le matin, puis aller travailler et être de retour à 14h30 pour le récupérer. Je saute des repas, pour que ma fille puisse manger. »

Human Rights Watch a constaté que trois facteurs étaient à l'origine de cette résurgence de la faim en Angleterre.

Premièrement, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2010 ont effectué des coupes dans les dépenses sociales au nom de l'austérité et les aides aux familles et aux enfants en ont souffert de manière disproportionnée. Une analyse de données relatives aux dépenses publiques effectuée par Human Rights Watch montre qu'entre 2010 et 2018, l'aide publique aux enfants et aux familles a diminué de 44%, un pourcentage de baisse très supérieur à celui subi par les autres secteurs des dépenses de l'État. En outre, le gouvernement a plafonné les prestations familiales, les a limitées à deux enfants par famille de manière arbitraire et discriminatoire et, ces quatre dernières années, a gelé les hausses annuelles des prestations sociales en dépit de la hausse des prix de la nourriture et de l'inflation générale.

Deuxièmement, le gouvernement est en train de mettre en place un changement majeur du système d'aide sociale, connu sous le nom de Crédit universel, qui a exacerbé la crise alimentaire en retardant la perception des paiements initiaux, obligeant souvent les bénéficiaires d'aide sociale à attendre pendant des semaines pour recevoir leurs versements. Ce programme comprend aussi un système punitif d'imposition de « sanctions » – la retenue des versements des prestations sociales – aux bénéficiaires qui ne parviennent pas à satisfaire des objectifs stricts visant à prouver qu'ils cherchent effectivement un emploi, lesquels sont souvent impossibles à remplir pour certaines personnes, en particulier les parents célibataires.

Troisièmement, le gouvernement britannique a essentiellement ignoré la multiplication des indices d'une profonde détérioration du niveau de vie des habitants les plus pauvres du pays et s'est abstenu d'agir pour y remédier, ces indices incluant une très forte hausse des recours aux banques alimentaires et de multiples témoignages de responsables scolaires selon lesquels beaucoup plus d'enfants arrivaient à l'école insuffisamment alimentés et ayant de ce fait des difficultés à se concentrer. Lors d'une réunion de groupe avec sept jeunes mères qui percevaient des prestations, quatre d'entre elles ont déclaré craindre que si elles reconnaissaient ne pas manger à leur faim et sollicitaient ouvertement une aide alimentaire, elles pourraient être considérées comme inaptes à élever leurs enfants et s'en voir retirer la garde.

Le gouvernement a pris récemment certaines mesures pour atténuer les effets néfastes de certaines de ses politiques les plus radicales. Il a abrogé la limitation à deux enfants imposée aux versements de prestations familiales pour les enfants nés avant avril 2017, quoique cette limitation demeure en place pour les familles ayant un troisième enfant né depuis cette date. Il a accepté tardivement de commencer à évaluer l'insécurité alimentaire dans tout le pays. Et il participe de manière limitée au financement de petits-déjeuners et de repas scolaires en période de vacances scolaires dans certaines zones particulièrement dépourvues.

Mais il n'a toujours pas pleinement reconnu sa propre responsabilité, ainsi que l'impact direct de beaucoup de ses politiques, dans cette crise de la faim, ni pris de mesures adéquates pour y faire face. En particulier, le gouvernement britannique a fait très peu d'efforts pour régler les graves problèmes structurels d'une politique d'assistance sociale qui laisse des familles dans l'incapacité de se procurer suffisamment de nourriture, a constaté Human Rights Watch.

Le manquement du gouvernement britannique à sa responsabilité de traiter de manière adéquate le problème posé par la propagation de la faim parmi les couches les plus pauvres de la population est le résultat d'un choix politique délibéré consistant à réduire l'État providence, a affirmé Human Rights Watch. Le gouvernement britannique a le devoir, au regard du droit international en matière de droits humains, d'assurer que chaque citoyen jouisse du droit à une nourriture adéquate. Cela veut dire faire en sorte que les citoyens aient généralement les moyens financiers de se procurer de la nourriture et, pour ceux qui ne sont pas en mesure de le faire, leur fournir des vivres par l'intermédiaire des programmes d'assistance alimentaire ou grâce à une autre forme de filet de sécurité. En s'abstenant de faire cela, le gouvernement viole les droits des citoyens du Royaume-Uni qui souffrent de la faim.

Les gouvernements britanniques successifs ont failli à leur devoir de considérer le droit à la nourriture comme l'équivalent d'autres droits humains, en particulier en ne donnant pas aux citoyens dont le droit à vivre à l'abri de la faim a été violé un recours effectif contre le gouvernement. Le gouvernement britannique devrait reconnaître le droit à la nourriture dans la loi nationale, a affirmé Human Rights Watch. Il devrait abroger complètement la limitation à deux enfants, mettre fin aux retards des versements de prestations dans le cadre du système de Crédit universel et s'assurer que les montants des prestations soient ajustés en fonction de l'inflation, y compris de la hausse des prix des denrées alimentaires. Le gouvernement britannique devrait également mettre au point une stratégie de lutte contre la faim, comprenant notamment une obligation légale de procéder à une évaluation de l'insécurité alimentaire dans le pays et d'en communiquer les résultats au parlement.

« Cette résurgence de la faim porte à l'évidence la marque du gouvernement britannique », a affirmé Kartik Raj. « Se tenir à l'écart et s'en remettre aux organisations caritatives pour ramasser les morceaux après l'application de ses politiques cruelles et néfastes est inacceptable. Le gouvernement britannique doit agir de manière urgente et concertée pour s'assurer que ses administrés les plus pauvres ne soient pas obligés de souffrir de la faim. »

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