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Maroc : Un journaliste emprisonné en isolement abusif

Depuis plus d’un an, Taoufik Bouachrine est interdit de contacts avec gardiens et prisonniers

Taoufik Bouachrine (Via Facebook)

(New York) – Depuis plus d’un an, les autorités pénitentiaires marocaines maintiennent un journaliste sous une forme de régime d’isolement abusif, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

En novembre 2018, un tribunal de première instance avait condamné Taoufik Bouachrine, le directeur d’Akhbar el-Youm, un des derniers journaux d’opposition du pays, à 12 ans de prison pour agressions sexuelles aggravées. D’après certains observateurs extérieurs, dont le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, son procès avait été entaché de multiples violations de procédure. Depuis sa mise sous écrou à la prison de Ain El Borja à Casablanca en février 2018, les autorités ne permettent pas à Bouachrine de rencontrer d’autres prisonniers ou d’interagir avec les gardiens, un traitement cruel et inhumain au regard des règles des Nations Unies.

« Quels que soient les crimes dont on l’accuse, un détenu a le droit d’être traité avec humanité », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le régime d’isolement draconien imposé à Taoufik Bouachrine est injustifié et doit être levé. »

Les autorités pénitentiaires accordent à Bouachrine une visite familiale hebdomadaire de 45 minutes, des visites de ses avocats, et deux appels téléphoniques de cinq minutes chacun par semaine. Mais il ne lui est jamais permis de rencontrer d’autres prisonniers, et les gardiens ont pour instruction de ne pas lui adresser la parole. Sa cellule est déverrouillée une partie de la journée, ce qui lui donne accès à un espace supplémentaire, mais toujours vide. Il a droit à deux heures de promenade par jour dans une cour de la prison, mais toujours seul. Bien qu’il ait obtenu d’être assigné à une cellule individuelle plutôt que collective, Bouachrine insiste sur le fait qu’il n’a jamais demandé ni accepté un régime d’isolation le coupant de tout contact avec d’autres détenus, et interdisant aux gardiens de parler avec lui, a expliqué sa femme, Asmae Moussaoui, à Human Rights Watch.

Le 29 mars 2019, la Délégation interministérielle aux droits de l’homme (DIDH), un organe officiel marocain, a répondu à une question de Human Rights Watch sur l’isolement de Bouachrine en énumérant ses privilèges carcéraux, notamment son accès à une télévision et à un poste de radio, à la presse quotidienne, à des douches avec de l’eau chaude, et aux services postaux.

La DIDH a déclaré que Bouachrine « avait réclamé de se mélanger aux autres prisonniers, mais lorsqu’on lui a demandé de rassembler ses affaires et de rejoindre une cellule collective, il a refusé et préféré rester dans sa cellule ». La DIDH n’a pas répondu à la question relative au régime d’isolement imposé à Bouachrine par les autorités pénitentiaires.

Le fait qu’il ait choisi de rester dans une cellule individuelle, même si on lui a proposé un autre choix, n’explique ni ne justifie un régime empêchant les gardiens et les autres prisonniers de parler à Bouachrine, a déclaré Human Rights Watch.

Selon « L’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus » de l’ONU, également connu sous l’appellation « Règles Nelson Mandela », le régime d’isolement carcéral consiste à passer 22 heures ou plus par jour sans « contact humain significatif ». L’isolement carcéral prolongé – plus de 15 jours consécutifs – est considéré comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Le « Essex Paper », document d’experts détaillant les directives applicables aux Règles Nelson Mandela, définit l’expression « contact humain significatif » comme « la quantité et la qualité des interactions sociales et de la stimulation psychologique nécessaires à la santé mentale de tout être humain ». Si les interactions directes avec des membres sa famille relèvent bien du « contact humain significatif », les 45 minutes hebdomadaires accordées à Bouachrine pour de telles interactions sont largement en deçà du minimum quotidien requis par les Règles Nelson Mandela, à savoir deux heures par jour.

D’après le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), « il est généralement admis que toutes les formes d’isolement carcéral sans stimulation mentale appropriée sont susceptibles d’avoir, à long terme, des effets néfastes avec pour résultats la détérioration des facultés mentales et des aptitudes sociales. » Moussaoui a fait part à Human Rights Watch de son inquiétude quant aux pertes de mémoire qu’elle dit avoir perçues chez son mari durant leurs interactions des dernières semaines.

« Il y a un monde de différence entre accorder une cellule individuelle à un détenu, et le priver de contacts quotidiens », a déclaré Sarah Leah Whitson.  « La première mesure peut être humaine, mais la seconde est inhumaine. »

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