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La crise en Haïti a atteint un moment critique. Des groupes criminels qui commettent des meurtres, des viols et des enlèvements terrorisent les habitants ; ils bloquent les transports ainsi que l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’aide humanitaire, indispensable pour une grande partie du pays. Il est urgent d’agir pour rétablir les conditions de sécurité élémentaires qui permettront le retour d’une gouvernance démocratique afin que les Haïtiens puissent exercer librement leurs droits humains et leurs libertés fondamentales. Cette approche nécessitera aussi le rétablissement de l’état de droit et l’accès aux biens et services essentiels.

Entre janvier et la mi-mars 2024, plusieurs groupes criminels ont tué près de 1 500 personnes qui n’étaient pas impliquées dans les violences et en ont blessé 800 autres, selon les Nations Unies. Environ 50 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays en raison de l’intensification des attaques menées par ces groupes contre des installations gouvernementales essentielles et des quartiers résidentiels auparavant considérés comme sûrs. Des actes terribles de violence sexuelle, notamment des viols collectifs, continuent d’être signalés. Près de la moitié des Haïtiens souffrent d’insécurité alimentaire aigüe et 1,4 million d’entre eux sont menacés de famine, selon le Programme alimentaire mondial des Nations Unies. Des milliers d’enfants ne sont plus scolarisés et l’utilisation et le recrutement d’enfants par les groupes criminels sont en augmentation.

L’État semble au bord de l’effondrement. Malgré les efforts de la police nationale haïtienne, les policiers sont débordés et ne parviennent pas à protéger la population. De nombreux Haïtiens sont dès lors confrontés à de graves menaces pour leurs droits humains fondamentaux – notamment les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau et à l’éducation, entre autres. Une mission multinationale de soutien à la sécurité a été autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU en octobre 2023 mais n’a pas encore été déployée et est toujours confrontée à un manque de financement important. 

Sous l’égide de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), des chefs de gouvernement de la région et d’ailleurs, des dirigeants de partis politiques et des représentants de la société civile haïtiens ont participé à des pourparlers urgents en dehors d’Haïti afin de discuter de l’avenir du pays. Le 11 mars, ils ont annoncé qu’ils s’engageaient à mettre en place un Conseil présidentiel de transition, chargé de nommer un nouveau premier ministre, de collaborer avec les partenaires internationaux pour accélérer le déploiement de la mission multinationale de soutien à la sécurité et d’organiser des élections libres et équitables. Le premier ministre Ariel Henry – qui n’a pas pu retourner en Haïti depuis début mars – a déclaré qu’il démissionnerait une fois que le nouveau conseil présidentiel serait en place.

D’autres acteurs, qui entretiennent des liens avec certains des groupes criminels les plus violents du pays, ont rejeté l’initiative de la CARICOM et militent en faveur du leadership de Guy Philippe, un ancien responsable de la police devenu instigateur du coup d’État, qui est rentré en Haïti à la fin du mois de novembre 2023 après avoir passé six ans dans une prison américaine pour blanchiment d’argent et trafic de drogue. Guy Philippe a reconnu avoir le soutien de certains chefs de groupes criminels et leur a même offert une amnistie s’il accédait au pouvoir. Jimmy Chérizier (également connu sous le nom de Barbecue), le principal dirigeant de la coalition criminelle G9, qui a revendiqué les récentes attaques contre les institutions de l’État, a également annoncé qu’il ne reconnaîtrait aucun gouvernement « issu de ces réunions », en référence à l’initiative de la CARICOM.

Cette dynamique met en évidence la possibilité très réelle que les responsables de la violence, de la tyrannie et des violations des droits humains commises à l’encontre du peuple haïtien ces dernières années prennent le contrôle du pays dans les jours ou les semaines à venir, si une autre voie n’est pas sérieusement envisagée et soutenue.

Les décisions qui seront prises dans les prochains jours pourraient être déterminante quant à savoir si la situation en Haïti devient encore plus incontrôlable en ouvrant la voie à davantage de violence, d’abus, de faim, de corruption et d’impunité, ou si le peuple haïtien pourra enfin y voir clair sur la voie à suivre, afin de parvenir à une gouvernance démocratique, des conditions de sécurité élémentaires et à l’état de droit, en retrouvant l’accès aux biens de première nécessité. Tous ces critères sont nécessaires pour que les Haïtiens puissent exercer et jouir librement de leurs droits humains.

Recommandations :

Pour fournir un soutien concret au peuple haïtien, Human Rights Watch encourage les dirigeants internationaux, régionaux et haïtiens à donner la priorité aux six mesures essentielles suivantes et à les mettre pleinement en œuvre :

  1. Les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies devraient tenir leurs promesses envers le peuple haïtien et mettre en place d’urgence une mission de soutien à la sécurité autorisée par les Nations Unies et assortie de toutes les garanties nécessaires en matière de droits humains.

Les autorités haïtiennes ont appelé à plusieurs reprises la communauté internationale à agir pour résoudre la crise sécuritaire dans le pays, et le Premier ministre Ariel Henry a spécifiquement invité les Nations Unies à agir. De nombreux Haïtiens ont également demandé que la réponse internationale comprenne une composante sécuritaire. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a répondu à ces appels en octobre 2023, en autorisant une mission multinationale de soutien à la sécurité et en insistant sur les nombreuses dimensions de la crise. Pourtant, la mission n’a toujours pas été déployée, alors que la situation sécuritaire en Haïti ne cesse de se détériorer.

Les membres du Conseil de sécurité devraient respecter leurs engagements envers Haïti. Ils devraient veiller à ce que la mission qu’ils ont autorisée soit rapidement dotée des fonds, du personnel et des capacités techniques nécessaires pour soutenir efficacement la police nationale haïtienne et l’aider à rétablir des conditions de sécurité minimales et à assurer le bon fonctionnement des infrastructures essentielles du pays, y compris la sécurité du nouveau gouvernement de transition, tout en respectant les droits humains, dans le cadre d’une réponse globale qui prenne en compte toutes les dimensions de la crise.

Le Conseil de sécurité devrait veiller à ce que la mission intègre des mesures rigoureuses de diligence raisonnable et de surveillance des droits humains, qui sont essentielles pour éviter de répéter les échecs et les abus des interventions passées en Haïti.

  1. Établir d’urgence un gouvernement de transition formé de dirigeants haïtiens qui ne sont pas visés par des allégations crédibles de corruption, de soutien à des groupes criminels, de violations des droits humains ou d’autres crimes graves.

Les gouvernements concernés et les groupes haïtiens participant aux discussions menées par la CARICOM devraient soutenir la sélection de candidats au nouveau Conseil présidentiel, notamment par un examen des informations disponibles dans le cadre des régimes de sanctions. Ils devraient prendre en compte les contributions des représentants de la société civile et des organisations de défense des droits humains haïtiens.

Les membres du nouveau gouvernement de transition devraient établir un mécanisme coercitif pour garantir qu’ils ne participeront pas aux prochaines élections, comme convenu lors des négociations. Ils devraient œuvrer avec leurs partenaires au rétablissement de conditions de sécurité élémentaires et créer un environnement propice à la tenue d’élections libres, équitables et crédibles selon un calendrier clairement défini.

  1. Fournir d’urgence les ressources nécessaires pour permettre l’acheminement immédiat et sûr de l’aide humanitaire aux Haïtiens qui en ont besoin.

Malgré un environnement difficile, les organisations humanitaires sont toujours en mesure de fournir une aide vitale à de nombreux Haïtiens menacés par la famine ou ayant besoin de soins médicaux urgents ou d’autres services de base. Mais ces entités, notamment les organisations haïtiennes, commencent à manquer de ressources. Elles ont besoin de fonds dès maintenant pour aider à maintenir les gens en vie et ne peuvent pas attendre la formation d’un nouveau gouvernement de transition ou d’une mission de soutien à la sécurité.

  1. Aider Haïti à reconstruire son système judiciaire, en accordant la priorité à la lutte contre l’impunité pour les violations graves des droits humains.

Entre autres mesures, les agences des Nations Unies et d’autres organisations internationales devraient fournir une formation et un soutien technique à un groupe spécialisé d’enquêteurs judiciaires, de procureurs et de juges haïtiens dont le rôle devrait être de se concentrer sur l’établissement des responsabilités pour les crimes les plus graves commis par les membres de groupes criminels et leurs soutiens.

Le gouvernement de transition devrait coopérer avec la mission autorisée par l’ONU pour œuvrer à une sécurité adéquate afin de permettre la reprise des procédures judiciaires.

Il devrait également veiller en priorité à ce que les conditions de détention soient sûres et humaines et que les procédures pénales respectent les droits humains. En particulier, les enfants qui ont été utilisés ou recrutés par des groupes criminels devraient bénéficier d’une aide à la réadaptation, ne pas être détenus avec des adultes et bénéficier des garanties judiciaires prévues pour les mineurs. Des programmes d’assistance devraient être mis en place pour les victimes de violences afin de leur fournir un accès à la justice, à des réparations, à une réadaptation et à un soutien psychologique.

  1. Redoubler d’efforts pour mettre fin aux flux d’armes et de munitions vers Haïti.

Les gouvernements concernés, en particulier les États-Unis, devraient rapidement faire respecter l’embargo sur les armes imposé par l’ONU en Haïti, en multipliant les inspections dans les ports et les aéroports. Les rapports faisant état de violations de l’embargo sur les armes, en particulier les transferts d’armes légères, devraient être signalés au comité des sanctions contre Haïti du Conseil de sécurité des Nations Unies, au groupe d’experts et à d’autres organes compétents.

Cet organe devrait demander à son Comité des sanctions de cartographier régulièrement le flux illicite d’armes et de munitions vers les organisations criminelles qui sévissent en Haïti et d’en informer les membres du Conseil aussi souvent que nécessaire.

  1. Ne pas expulser ni refouler les Haïtiens réfugiés à l’étranger, ou les contraindre à revenir dans leur pays.

Aucun Haïtien ne devrait être renvoyé de force dans son pays tant que les conditions qui y règnent présentent un risque réel de préjudice grave et de violation des droits humains. De tels retours par les pays voisins constituent un refoulement, qui est une violation du droit international.

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Les événements récents soulignent la nécessité urgente pour la communauté internationale de répondre de manière globale aux nombreuses dimensions de la crise en Haïti. Si elles sont pleinement mises en œuvre, ces six mesures pourraient grandement contribuer à surmonter la crise actuelle et briser les cycles de violence, d’abus et d’interventions étrangères néfastes qui ravagent le pays depuis des décennies. Les dirigeants haïtiens et les gouvernements concernés ont l’occasion de faire le bon choix. Ce dont les Haïtiens ont besoin maintenant, c’est d’un engagement fondé sur des principes axés sur leurs besoins et des ressources nécessaires pour mettre en œuvre une réponse globale et fondée sur le respect de leurs droits humains.

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