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EAU : La surveillance de masse menace les droits humains et la réussite de la COP28

Les autorités émiraties devraient libérer Ahmed Mansour, protéger la liberté d’expression et mettre fin à la surveillance omniprésente

Des agents du Centre de commandement et de contrôle de la police de Dubaï, aux Émirats arabes unis, surveillaient plusieurs écrans, le 26 juillet 2021. © 2021 Reuters/Rula Rouhana

(Beyrouth) – Les participants à la 28ème Conférence annuelle des Nations Unies sur le changement climatique (COP28), accueillie par les Émirats arabes unis (EAU) à Dubaï, feront l’objet d’une surveillance étendue de la part des autorités émiraties, ce qui constitue une violation de leurs droits humains et menace le succès de la conférence, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Des représentants de gouvernements, des groupes de la société civile et des militants du climat du monde entier affluent à Dubaï pour la COP28, qui a débuté le 30 novembre et se tiendra jusqu’au 12 décembre. Dès leur arrivée, les participants à la conférence font l’objet d’une surveillance intrusive de la part du gouvernement. À l’aéroport international de Dubaï, des agents procèdent au scannage du visage et de l’iris des yeux des personnes participant au programme facultatif « Smart Gates » (portes intelligentes). Que les visiteurs participent ou non à ce programme, un vaste réseau de caméras de surveillance installées à travers Dubaï permet de les identifier lors de leurs déplacements, sur la base des données recueillies par la douane à l’aéroport.

« Le gouvernement émirati devrait permettre aux délégués de la COP28 de faire leur important travail sur la crise climatique sans avoir à s’inquiéter de la surveillance omniprésente et du ciblage des voix critiques », a déclaré Zach Campbell, chercheur senior sur les questions de surveillance à Human Rights Watch. « Les négociations visant à obtenir les résultats ambitieux dont le monde a urgemment besoin pour lutter contre le changement climatique ont peu de chances d’aboutir si les délégués ne peuvent pas communiquer sans crainte. »

Le gouvernement procède également à une surveillance étendue des communications. Les messages et commentaires en ligne des participants peuvent faire l’objet d’une surveillance de la part du gouvernement, qui peut aussi intercepter leurs SMS et analyser leur trafic réseau. Étant donné que le gouvernement émirati punit sévèrement la dissidence, cette surveillance représente un risque pour les participants à la COP28, en particulier pour ceux qui critiquent les autorités.

Les autorités émiraties appliquent une politique de tolérance zéro à l’égard des critiques formulées à l’encontre du gouvernement et mettent en œuvre cette politique à l’aide d’un arsenal d’outils de surveillance invasifs, y compris, dans le pire des cas, en surveillant directement les messages, courriels et appareils mobiles aux EAU et au-delà de leurs frontières. Ces mesures ont eu un effet dissuasif sur le discours public, en imposant notamment une autocensure généralisée – à tel point qu’il ne reste plus de société civile indépendante dans le pays.

En mars, les organisateurs d’un sommet international sur le climat et la santé aux EAU ont sommé les participants de ne pas critiquer le gouvernement ou de ne pas prendre part à des manifestations pendant leur séjour dans le pays.

Le Secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), Simon Stiell, a déclaré en août que « des espaces seront disponibles pour que les activistes du climat puissent se rassembler pacifiquement et faire entendre leur voix » lors de la COP28. Mais cette surveillance de masse et la répression qui s’y rattache ne permettent pas d’envisager comment cela sera possible, a déclaré Human Rights Watch.

Les EAU ont une longue tradition de suppression de l’espace politique, du discours public et de l’activisme. Il y a plus de dix ans, les autorités émiraties ont menacé d’interdire l’utilisation des téléphones portables BlackBerry, qui étaient alors parmi les seuls appareils mobiles grand public dotés d’une messagerie et d’un courrier électronique cryptés ;  elles ont par la suite utilisé ce que des chercheurs sur les questions de sécurité ont décrit comme une « porte dérobée », permettant au gouvernement d’accéder au contenu des appareils, selon des chercheurs sur les questions de sécurité. En 2016, des documents du Département de la justice américaine publiés par le New York Times ont montré comment les autorités émiraties avaient engagé d’anciens pirates informatiques de la National Security Agency (NSA) pour s’infiltrer dans les appareils de dissidents.

Un an plus tard, le journal britannique The Guardian a révélé que les autorités des EAU avaient acheté une technologie permettant d’intercepter et d’analyser le trafic réseau. Et en 2019, plusieurs chercheurs sur les questions de sécurité consultés par le New York Times ont découvert que ToTok, une application de messagerie populaire aux EAU, contenait une porte dérobée qui donnait aux forces de sécurité un accès direct aux messages des internautes, des accusations que l’entreprise a démenties. Citizen Lab, un institut de recherche de l’Université de Toronto qui travaille sur la sécurité d’Internet et les droits humains, a documenté des cas de ciblage de dissidents par les EAU qui remontent à 2012.

Les autorités émiraties ont également largement utilisé le logiciel espion israélien Pegasus pour s’introduire dans les appareils mobiles des dissidents. Ahmed Mansour, un défenseur émirati des droits humains a ainsi été condamné à 10 ans de prison en 2018 pour « atteinte à la réputation de l’État », entre autres délits, sur la base de documents extraits de son téléphone à la suite d’une infection par Pegasus. NSO Group, la société qui a conçu Pegasus, a toujours nié avoir connaissance ou être responsable de la manière dont son logiciel espion est utilisé.

Les EAU sont devenus une plaque tournante pour la vente de technologies de surveillance invasives et utilisent régulièrement ces technologies pour espionner leur propre population. L’émir de Dubaï s’est vanté d’avoir mis en place un réseau de plus de 300 000 caméras et drones dans sa seule ville, afin d’atteindre son objectif de « zéro crime ». Le système de surveillance, appelé Oyoon, relie les caméras à des bases de données de photos de visages et permet de suivre les personnes dans leurs déplacements à Dubaï. Un système similaire, Falcon Eye, a également été développé à Abu Dhabi.

Parallèlement, le gouvernement restreint les fonctions de communication vocale de nombreuses applications, telles que WhatsApp et Skype, et interdit l’application de messagerie cryptée Signal. Cela a obligé les utilisateurs de téléphones portables des EAU à utiliser des applications moins sécurisées comme ToTok, avant que cette dernière ne soit elle-même retirée des boutiques d’applications mobiles de Google et d’Apple en 2019.

L’utilisation de la reconnaissance faciale dans les espaces publics et la surveillance des communications de masse violent les normes internationales en matière de droits humains. La surveillance exercée par les autorités émiraties a engendré une autocensure importante de la part des personnes qui résident aux EAU et des institutions basées dans ce pays.

La loi sur la cybercriminalité des Émirats arabes unis, la loi fédérale n° 34 de 2021 sur la lutte contre les rumeurs et la cybercriminalité, a remplacé une loi notoirement répressive sur la cybercriminalité de 2012, qui était fréquemment utilisée pour réduire au silence les dissidents, journalistes, activistes et autres personnes que les autorités considéraient comme critiques à l’égard du gouvernement, de ses politiques ou de ses représentants.

La loi actuelle sur la cybercriminalité interdit l’utilisation d’Internet « pour prôner le renversement, le changement ou l’usurpation du système de gouvernance de l’État, ou pour faire obstacle aux dispositions de la constitution ou de la loi existante, ou pour s’opposer aux principes fondamentaux sur lesquels repose le système de gouvernance », et prévoit une peine qui peut aller jusqu’à l’emprisonnement à vie. Une autre disposition interdit tout acte susceptible « d’offenser un État étranger ».

La loi sur la cybercriminalité impose aussi de sévères restrictions aux droits de réunion pacifique et à la liberté d’association. Les autorités émiraties l’ont utilisée pour emprisonner des citoyens des EAU et des personnes qui y résident, pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages pacifiques jugés critiques à l’égard des gouvernements des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de la Jordanie.

Nasser bin Ghaith, un universitaire émirati, a été condamné en 2017 à une peine de dix ans d’emprisonnement à la suite de commentaires qu’il avait publiés en ligne et qui critiquaient le président et le gouvernement égyptiens. Bin Ghaith était notamment accusé d’ « avoir eu des propos hostiles à l’égard de l’Égypte » et d’avoir « tenté de mettre en péril les relations entre les Émirats arabes unis et l’Égypte ».

La même année, Tayseer al-Najjar, un journaliste jordanien vivant aux EAU, a également été condamné en vertu des lois émiraties sur la cybercriminalité à une peine de trois ans d’emprisonnement, dont deux ans déjà passés en détention provisoire. Tayseer Al-Najjar était accusé d’« insulte aux symboles de l’État » pour des messages Facebook critiques à l’égard des EAU, qu’il avait publiés avant de s’y installer. Le jugement de première instance a également fait état de ses commentaires critiques à l’égard des EAU tenus au téléphone avec sa femme. Le jugement n’indique pas comment les autorités ont obtenu les enregistrements de ces appels.

En 2020, Ahmed Etoum, également Jordanien vivant aux EAU, a été condamné à dix ans de prison pour avoir publié sur Facebook des messages pacifiques critiquant la famille royale et le gouvernement jordaniens. Le tribunal l’a reconnu coupable, en vertu des lois émiraties sur la cybercriminalité, d’avoir utilisé Facebook pour commettre des « actes contre un État étranger » susceptibles de « nuire aux relations politiques » avec cet État et de « mettre en péril la sécurité nationale » des Émirats arabes unis.

L’organisation de la COP28 s’inscrit dans le cadre d’efforts déployés depuis des décennies par le gouvernement des EAU pour améliorer sa réputation sur la scène internationale. Ces efforts ont été présentés en 2017 dans la stratégie « Soft Power » du gouvernement, qui fait de la « diplomatie culturelle et médiatique » un pilier central et vise à « asseoir la réputation [des Émirats arabes unis] en tant que pays moderne et tolérant qui accueille les personnes du monde entier ».

Mais ces tentatives de projeter une image publique d’ouverture sont en contradiction avec les efforts du gouvernement visant à empêcher l’examen de ses violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. L’utilisation omniprésente de la technologie de surveillance et la tolérance zéro à l’égard des critiques vont jusqu’à la détention et l’expulsion de résidents et ressortissants étrangers visitant le pays.

Les restrictions considérables imposées par les EAU aux droits à la vie privée et à la liberté d’expression, de réunion et d’association, en particulier par le biais des formes de surveillance utilisés par le gouvernement, sont incompatibles avec les obligations de ce pays en vertu du droit international relatif aux droits humains.

« Le gouvernement émirati devrait relâcher son emprise sur l’espace civique et mettre fin à sa surveillance des voix critiques aux Émirats arabes unis et au-delà, en commençant par libérer immédiatement le défenseur des droits humains Ahmed Mansour », a conclu Zach Campbell.

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