Skip to main content

Bangladesh : Les audits sociaux ne suffisent pas à protéger les travailleurs

Le meurtre de Shahidul Islam a pourtant mis en évidence les risques accrus auxquels font face les syndicats indépendants

Manifestation organisée à l’occasion de la Fête du Travail par la Fédération nationale des ouvriers du secteur textile (NGWF) pour réclamer une hausse du salaire minimum et le droit à se syndiquer, à Dhaka, Bangladesh, le 1er mai 2023.  © 2023 National Garment Workers Federation

(Londres, le 14 septembre 2023) – Les audits sociaux et les certifications utilisés par les entreprises aux marques connues et leurs détaillants sont entièrement inadaptés pour contrôler et répondre aux menaces auxquelles font face les travailleurs qui tentent de créer des syndicats indépendants, révèle Human Rights Watch aujourd’hui en publiant une analyse de rapports d’audit social standard réalisés auprès d’usines de confection au Bangladesh.

La plupart de ces rapports d’audit ont soit à peine abordé la question de la liberté syndicale, soit, dans certains cas, recyclé des vagues formules concernant la liberté syndicale déjà publiées dans des rapports d’audit consacrés à d’autres usines. D’après de précédents travaux de recherche de Human Rights Watch, les audits sociaux standard présentent un plus grand risque que les atteintes au droit du travail soient insuffisamment décelées, voire passent complètement inaperçues, surtout pour les questions telles que la discrimination et le harcèlement, le travail forcé, le travail des enfants et la liberté syndicale.

La gravité de ces manquements est d’autant plus importante après le meurtre de Shahidul Islam, perpétré en juin 2023 au Bangladesh. Shahidul Islam, dirigeant d’un syndicat indépendant, a été tué à sa sortie d’une usine exploitée par la société Prince Jacquard Sweater Ltd, après avoir tenté une négociation au nom de travailleurs du secteur de la confection concernant le non-paiement de salaires et d’une prime qu’ils auraient dû toucher à l’occasion de la fête de l’Aïd. L’usine avait été auditée selon deux régimes d’audit social communément utilisés.

« Le meurtre de Shahidul Islam est un rappel brutal des dangers auxquels s’exposent les dirigeants de syndicats indépendants », a déclaré Aruna Kashyap, directrice adjointe chargée des questions de responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Les entreprises et les détaillants ne devraient pas se fier aux audits sociaux et aux certifications, car ils sont terriblement inadaptés, surtout s’agissant d’empêcher la violence et le harcèlement des travailleurs qui cherchent à former ou adhérer à un syndicat indépendant. »

Human Rights Watch a publié une analyse de 40 rapports d’audit social réalisés dans des usines de confection au Bangladesh que lui a communiqués une entreprise européenne de l’habillement en 2018. Les entreprises et les détaillants du monde entier devraient revoir leur manière de surveiller le droit à la liberté syndicale des travailleurs dans les usines auprès desquelles ils s’approvisionnent.

Suite au meurtre de Shahidul Islam, les autorités ont enregistré une plainte pénale et ont entamé une enquête sur ce crime. Elles ont procédé à plusieurs arrestations. Des personnes interrogées par Human Rights Watch ont indiqué que parmi les personnes arrêtées figuraient des « hommes de main » impliqués dans des « syndicats jaunes » opérant dans la zone où l’attaque s’est produite. Un militant chevronné a affirmé avoir entendu certains noms mentionnés à d’autres occasions depuis décembre 2020, lorsque des travailleurs ont signalé des actes d’intimidation et de harcèlement. Les autorités bangladaises devraient s’assurer de mener une enquête indépendante et approfondie afin que toutes les personnes impliquées dans la direction, la planification et l’exécution de l’attaque soient tenues de rendre compte de leurs actes, a précisé Human Rights Watch.

Les « syndicats jaunes » (« yellow syndicates ») sont instaurés ou contrôlés par les employeurs et portent atteinte au droit à la liberté syndicale des travailleurs en vertu du droit international du travail. Ils servent à contrecarrer les efforts des travailleurs visant à organiser des syndicats indépendants et constituent un problème croissant au Bangladesh.

L’échec des autorités bangladaises et des fabricants de vêtements à lutter contre les abus perpétrés à l’encontre du droit des syndicats indépendants à fonctionner, conjugué à la croissance des « syndicats jaunes », a contribué à la perpétration d’actes de violence et de harcèlement à l’encontre des syndicats indépendants et des travailleurs, a commenté Human Rights Watch.

Les entreprises s’appuient généralement sur des audits sociaux standard ou des programmes de certification. Il s’agit d’inspections privées réalisées par des cabinets d’audit sur le lieu de travail afin de vérifier qu’il respecte ses codes de conduite, y compris les normes de travail. Ces inspections sont effectuées sur quelques journées et sont généralement payées par les entreprises ou les fournisseurs ; les travailleurs sont interrogés sur le site même de l’usine, ce qui ne leur permet pas de s’exprimer ouvertement sur leurs conditions de travail. Les rapports d’audit ne sont pas rendus publics.

La société Prince Jacquard Sweater Ltd a fait l’objet d’audits sociaux réalisés selon deux programmes d’audit social tiers connus, amfori et Sedex. En juin, Human Rights Watch a adressé un courrier à amfori et à Sedex. Les deux entités ont confirmé avoir audité l’usine par le passé. Un représentant de Sedex a déclaré ne pas pouvoir transmettre de synthèse des conclusions de l’audit en raison du caractère confidentiel de « détails spécifiques » ; amfori a quant à elle invoqué la question de la confidentialité mais fourni une brève synthèse indiquant que les audits avaient décelé certains problèmes en rapport avec les salaires. Prince Jacquard Sweated Ltd n’a pas répondu au courrier de Human Rights Watch.

Sedex et amfori devraient publier les rapports d’audit social relatifs à Prince Jacquard Sweater Ltd et s’engager à revoir leurs politiques afin que tous les rapports d’audit social soient consultables au sein d’une base de données, a commenté Human Rights Watch.

D’une manière plus générale, tous les audits sociaux et les programmes de certification devraient exiger la publication de leurs rapports d’audit. Il est primordial de faire preuve de transparence pour mieux savoir ce que révèlent ces rapports et connaître le degré de confiance des cabinets ou des programmes d’audit dans l’information qu’ils génèrent. Un examen effectué par Human Rights Watch de rapports d’audit sur le commerce éthique des membres de Sedex (Sedex Members’ Ethical Trading Audit, SMETA) non publiés, y compris de rapports datant de 2022, par exemple, a révélé que les rapports d’audit de Sedex s’accompagnent d’un avis de non-responsabilité standard selon lequel un audit réalisé par Sedex ne saurait « confirmer… le respect de réglementations juridiques ou de normes industrielles quelles qu’elles soient ». Dans son courrier adressé à Human Rights Watch, Sedex ne s’est pas engagé à rendre cet avis public sur son site Internet ni sur d’autres documents de marketing.

Alors que des lois contraignantes relatives au devoir de diligence en matière de droits humains sont en cours d’élaboration à travers le monde, les décideurs politiques devraient reconnaître les limites des programmes de certification et des audits tiers. Ils devraient exiger des cabinets et des programmes d’audit qu’ils rendent compte, en tant que prestataires de services, de la qualité et de la crédibilité des services d’audit social qu’ils proposent, et demander aux entreprises de rendre compte de leurs outils de diligence fondés sur les risques.

Les gouvernements doivent examiner de près le secteur des audits sociaux et, au minimum, exiger des entreprises qu’elles publient tous les rapports d’audit social lorsqu’elles décident de recourir à un audit ou à une certification dans le cadre de leur devoir de diligence en matière environnementale et de droits humains.

Les lois qui exigent des entreprises et des détaillants qu’ils exercent un devoir de diligence en matière environnementale et de droits humains ne devraient pas permettre aux audits sociaux et aux certifications d’être des éléments suffisants pour démontrer qu’un devoir de diligence est exercé. Les organisations telles qu’amfori, Sedex et d’autres ont reconnu à maintes reprises que leurs outils d’audit social ne sauraient se substituer à une surveillance réglementaire.

Il est insuffisant de s’appuyer sur les audits sociaux ou les certifications pour répondre aux questions relatives à la liberté syndicale et à la négociation collective. Les entreprises devraient promouvoir l’instauration d’un mécanisme de suivi et de prise en charge des réclamations en consultation avec les syndicats indépendants et les organisations de défense des droits du travail qui œuvrent au Bangladesh. Ce mécanisme devrait être aligné sur les critères d’efficacité présentés dans les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, et, au minimum, veiller à ce que les syndicats indépendants aient un pouvoir égal à celui des entreprises dans la gouvernance de ce mécanisme de suivi et de prise en charge des réclamations.

Les entreprises ayant adhéré à l’Accord international pour la santé et la sécurité dans le secteur du texte et de l’habillement (International Accord for Health and Safety in the Textile and Garment Industry), actuellement reconduit, devraient veiller à ce que les protections prévues par l’Accord en matière de liberté syndicale des travailleurs et de négociation collective soient élargies. Les entreprises qui n’ont pas encore rejoint l’Accord devraient le faire.

Les entreprises devraient aussi réviser et adopter des pratiques d’achat équitables, y compris la mise en œuvre de prix équitables et de pratiques contractuelles responsables afin de prévenir et d’atténuer le risque de provoquer ou de contribuer à des atteintes au droit du travail, y compris par le biais d’une sous-traitance non autorisée.

« Les entreprises, les cabinets d’audit et les programmes d’audit et de certification font croire que les audits et les certifications sont indépendants et crédibles », a conclu Arunya Kashyap. « Mais lorsqu’ils sont défectueux ou opaques de telle sorte que leur indépendance et la crédibilité des informations qu’ils génèrent sont remises en question, ils ne sauraient être employés comme des outils au service du devoir de diligence en matière de droits humains. »

Informations complémentaires

Liberté syndicale et « syndicats jaunes » au Bangladesh

Le Bangladesh est depuis longtemps en proie à des atteintes au droit à la liberté syndicale et à la négociation collective. La police s’en est pris aux syndicats indépendants après des manifestations sauvages en 2016 et 2019 menées par des travailleurs qui réclamaient une hausse des salaires. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) a constaté dans son rapport de 2022 une série d’obstacles concrets d’ordre juridique et autre, et des tactiques antisyndicales utilisées par les employeurs, qui ont entravé la capacité des travailleurs à former des syndicats de leur choix ou à y adhérer.

Par ailleurs, le droit bangladais n’autorise pas la syndicalisation dans les usines situées dans les zones franches d’exportation, et les travailleurs peuvent uniquement faire partie d’associations de protection des travailleurs, qui leur confèrent encore moins de protection juridique qu’un syndicat. Des réformes sont nécessaires pour doter les syndicats de mesures de protection conformes aux recommandations de l’OIT.

Les « syndicats jaunes » sont mis en place ou contrôlés par les employeurs et portent atteinte au droit à la liberté syndicale en vertu du droit international du travail. La Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective (Convention no 98) de l’OIT stipule à l’article 2(2) : « Sont notamment assimilées à des actes d’ingérence au sens du présent article des mesures tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle d’un employeur ou d’une organisation d’employeurs. »

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a statué que « l’intervention d’un employeur visant à promouvoir la création d’un syndicat parallèle constitue de sa part un acte d’ingérence dans le fonctionnement d’une association de travailleurs, ce que proscrit l’article 2 de la convention no 98 ». Les travailleurs ont le droit de former ou d’adhérer à un syndicat de leur choix qui représente véritablement leurs droits et leurs intérêts.

Un rapport dressé sur le Bangladesh en 2020 par la Commission des affaires étrangères du Sénat des États-Unis a trouvé préoccupant le développement du syndicalisme jaune au Bangladesh, notant que cette pratique a eu pour conséquence que « les autorités ont rejeté la demande d’enregistrement de dirigeants de syndicats indépendants au motif qu’un autre syndicat existait déjà – le syndicat ‘jaune’ ».

Le Solidarity Center, une organisation internationale de défense des droits des travailleurs, a déclaré à Human Rights Watch que d’après les données relatives aux enregistrements de syndicats qu’il avait analysées, les syndicats établis au sein d’usines de confection affiliés à six fédérations syndicales indépendantes avaient affiché en moyenne un taux de réussite d’enregistrement d’environ 43 % de 2020 à 2022, alors que le gouvernement bangladais affirme que le taux de réussite moyen global des enregistrements de syndicats se situe autour des 88 %.

L’affaire Islam

Shahidul Islam était président de l’unité Gazipur de la Fédération des ouvriers du secteur textile et industriel (Bangladesh Garment and Industrial Workers Federation, BGIWF), une fédération syndicale indépendante. D’après une plainte pénale déposée devant la police, lui et d’autres représentants avaient rencontré des agents officiels de la société Prince Jacquard Sweater Ltd pour tenter de résoudre les griefs des travailleurs concernant le non-paiement de salaires en mai et juin ainsi que d’une prime octroyée à l’occasion de la fête de l’Aïd. Alors que les représentants quittaient l’usine, un gang s’est approché d’eux, les a menacés au motif qu’ils aidaient les ouvriers et les a attaqués. Les agresseurs ont battu Islam jusqu’à ce qu’il perde connaissance ; son décès a été constaté à son arrivée à l’hôpital.

L’enquête pénale n’est pas encore terminée et, d’après des entretiens menés par Human Rights Watch, la police n’a toujours pas déterminé l’identité des commanditaires de cette violence. La direction de l’usine a nié tout lien avec l’agression, affirmant avoir versé tous les salaires impayés depuis la mort d’Islam. Human Rights Watch a adressé un courrier à l’usine pour tenter d’obtenir des informations supplémentaires sur le règlement des salaires et de la prime impayés ; Prince Jacquard Sweater Ltd ne nous a pas encore répondu.

L’Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association, BGMEA) a tenté de faire passer l’agression d’Islam pour un incident entre syndicalistes, sans faire de distinction entre les syndicats indépendants et les « syndicats jaunes », ce qui est extrêmement problématique. La BGMEA n’a pas encore pris de mesures efficaces pour empêcher sa direction et ses usines membres de s’ingérer dans les démarches des travailleurs visant à établir des syndicats indépendants et freiner la croissance des « syndicats jaunes » parmi ses usines membres.

Les programmes d’audit social d’amfori et de Sedex sont parmi les dispositifs les plus utilisés au monde, et ils ne se limitent pas au secteur de la confection. Sedex dispose du programme SMETA, et amfori, de la Business Social Compliance Initiative (BSCI). Il s’agit de programmes d’audit social standard qui utilisent des codes de conduite couvrant un large éventail de problématiques relatives au droit du travail, y compris la liberté syndicale et les salaires des travailleurs.

Les programmes d’audit social de Sedex et d’amfori sont opaques et aucune des deux organisations ne publie ses rapports d’audit social. Elles ne publient pas non plus de listes des noms ou adresses postales des sites qu’elles vérifient ou la date du dernier audit, si bien que les organisations de défense des droits du travail et les syndicats sont quasiment incapables de savoir quels sites ont été vérifiés par leurs programmes.

Dans des courriels envoyés en réponse aux questions de Human Rights Watch, Sedex a affirmé que la société Prince Jacquard Sweater Ltd avait été auditée une fois en 2021 selon son dispositif, s’abstenant toutefois de préciser le mois de cet audit et d’en synthétiser les principales conclusions et les mesures correctives. L’usine elle-même n’était pas membre Sedex, et Sedex affirme n’avoir eu « aucune visibilité » lui permettant de déterminer si une entreprise qui était membre Sedex s’approvisionnait auprès de cette usine.

Un représentant d’amfori a indiqué qu’une usine avait été contrôlée selon son programme en novembre 2021 et décembre 2022, ajoutant par la suite que les rapports avaient mis en évidence « plusieurs violations », y compris « un retard de paiement des salaires, un échec à assurer une hausse annuelle des salaires comme le stipule la loi, des manquements dans les paiements des avantages et des irrégularités dans les déductions sur les paiements ». Le représentant a affirmé qu’il ignorait quelles mesures correctives avaient été prises et que cette information leur avait été communiquée par des membres d’amfori. Human Rights Watch a adressé un courrier à Prince Jacquard Sweater Ltd pour demander un exemplaire des rapports d’audit et des mesures correctives. L’usine n’a pas donné suite à notre requête.

(Correspondance électronique avec Sedex et amfori concernant les audits sociaux relatifs à Prince Jacquard Sweater Ltd dans les archives de Human Rights Watch.)

Rapports d’audit social analysés par Human Rights Watch

D’une manière plus générale, et sans rapport avec Prince Jacquard Sweater Ltd, une entreprise européenne a transmis à Human Rights Watch 50 rapports d’audit social standard en 2018 pour permettre à notre organisation d’effectuer des travaux de recherche et d’analyse, ces rapports ne se trouvant généralement pas dans le domaine public. Quarante des 50 rapports provenaient du Bangladesh. Ils ont été communiqués à la condition que Human Rights Watch n’identifie pas la société qui les lui avait fournis.

Ces audits ont été réalisés sur une ou deux journées, ce qui est ordinaire, à la connaissance de Human Rights Watch. Ce type d’audits est à distinguer des enquêtes approfondies. Les usines ont été notifiées de l’intervalle de temps au cours duquel l’audit aurait lieu ; cela signifie qu’elles étaient semi-averties, et les auditeurs ont déclaré avoir interrogé des travailleurs sur place. Les audits ont été réalisés par six cabinets d’audit mondiaux, pour la plupart en 2017 et 2018. Les méthodes de l’audit et le format de présentation des résultats continuent d’être utilisés sans que des changements significatifs y aient été apportés.

Au Bangladesh, 26 des 40 audits étaient des « audits complets », pour lesquels les auditeurs avaient évalué tous les aspects du Code de conduite, y compris la liberté syndicale des travailleurs, et 14 étaient des « audits de suivi ».

Pour chaque audit, les auditeurs devaient déterminer si l’usine respectait les droits des travailleurs à « former des syndicats de manière libre et démocratique » et à mener une négociation collective ; si elle ne prenait pas de « mesures discriminatoires à l’encontre des travailleurs en raison de leur appartenance à un syndicat » et « n’empêchait pas les représentants des travailleurs d’avoir accès aux travailleurs sur le lieu de travail ou d’interagir avec eux ».

Les audits ne divulguant pas les noms des usines, Human Rights Watch n’a pas pu déterminer si ces 40 usines avaient effectivement mis en œuvre des pratiques antisyndicales au moment des audits ni les comparer aux résultats de l’audit.

Toutefois, une lecture des rapports d’audit basée sur les points que les auditeurs devaient évaluer soulève plusieurs préoccupations quant à la méthode employée pour évaluer les risques posés à la liberté syndicale. À l’endroit où les résultats devaient être notés, on peut lire « sans objet » ou « aucun résultat » pour six des 26 audits complets. Dans un autre rapport, la partie consacrée à la liberté syndicale est vide. Dans dix des 14 audits de suivi, les auditeurs n’ont pas évalué la liberté syndicale des travailleurs, invoquant l’absence de résultats précédents ; ont noté qu’ils n’avaient aucune conclusion ; ou ont laissé cette partie vide.

L’analyse par Human Rights Watch de deux rapports indiquant la présence d’un syndicat a soulevé des préoccupations supplémentaires. Dans une usine, les auditeurs du Cabinet d’audit no 4 avaient noté qu’il y avait plus de 1 800 ouvriers permanents et 2 100 ouvrières permanentes, tous syndiqués. Dans l’autre, les auditeurs du Cabinet d’audit no 2 avaient signalé que l’usine comptait plus de 2 300 ouvriers et plus de 3 000 ouvrières, tous syndiqués. Cependant, aucune de ces deux usines ne disposait d’accord de négociation collective, alors qu’il serait normal d’en avoir un puisque toute la main-d’œuvre était syndiquée.

Le Cabinet d’audit no 2 avait affirmé, à tort, que les travailleurs étaient « libres de former un syndicat ou d’y adhérer » dans une usine qui se situait dans une zone franche d’exportation où la loi interdit aux travailleurs de se syndiquer, et où seules des associations de protection des travailleurs peuvent être constituées :

L’observation globale montre que l’entité visée par l’audit remplit les exigences de ce domaine de performance. Aucun syndicat n’a été formé par les travailleurs de l’usine. Les travailleurs sont libres de former un syndicat ou d’y adhérer. La direction n’impose aucune restriction aux travailleurs. La structure a constitué une association de protection des travailleurs (WWA) au moyen d’un processus électoral. Des réunions de la WWA ont eu lieu à intervalles réguliers. Aucun élément n’a été identifié et signalé démontrant que les représentants des travailleurs font l’objet de discrimination.

Human Rights Watch a également constaté que plusieurs rapports d’audit de différentes usines employaient un langage identique ou très similaire pour présenter les conclusions de l’audit en matière de liberté syndicale.

L’emploi d’expressions toutes faites dans différentes usines n’est décelable que si plusieurs rapports d’audit réalisés par le même cabinet sont accessibles. Les organismes de réglementation et les tribunaux devraient être conscients du fait que la qualité de ces rapports d’audit social ne saurait être évaluée pleinement en examinant un seul rapport isolément ; ainsi, d’autres rapports d’audit publiés par le même cabinet d’audit dans un même pays devraient être analysés pour déterminer si le cabinet utilise des expressions toutes faites.

S’il s’avère que des expressions toutes faites sont employées, le cabinet d’audit devrait expliquer les cas et les circonstances dans lesquels il les utilise, et fournir des informations supplémentaires spécifiques à l’usine en question et au contexte sous-jacent. Un auditeur chevronné interrogé par Human Rights Watch a expliqué que les expressions toutes faites utilisées pour présenter les recommandations et les mesures correctives sont différentes de celles qui servent à décrire les conclusions de l’audit. Pour ces dernières, il existe un « risque de copier-coller » :

On perd le contexte et le côté humain des choses. L’un des problèmes des audits traditionnels est qu’ils ont parfois tendance à être moins axés sur les travailleurs ; autrement dit, le temps et les efforts consacrés aux discussions et aux entretiens avec les ouvriers sont moins importants. La rédaction d’un rapport qui reflète réellement la contribution des ouvriers exige plus de temps et d’efforts. Les expériences des travailleurs sont forcément différentes. La normalisation excessive du langage employé dans les rapports ne fait souvent qu’amoindrir la situation unique à laquelle les travailleurs sont confrontés sur leur lieu de travail ou dans un contexte particulier.

Ce même auditeur a ajouté avoir trouvé quelques années auparavant des rapports d’audit « préremplis » générés par des programmes d’audit tiers. Il a notamment évoqué un exemple flagrant s’inscrivant dans le cadre d’une « tentative de simplification du processus d’établissement de rapports et de réduction du coût de l’audit, pour qu’il faille moins de temps pour remplir le rapport ; il suffisait de remplir les espaces vides au lieu de tout rédiger ». Il a précisé que son cabinet n’utilisait pas ce type de rapports « préremplis ».

Le tableau ci-dessous contient un exemple de texte portant spécifiquement sur la liberté syndicale et la négociation collective tiré de rapports communiqués par le Cabinet d’audit no 4. Trois des six audits contiennent pour cette section un texte totalement identique.

Extraits de rapports d’audit social

Cabinet d’audit

Code de l’audit

Texte sur le respect du droit à la liberté syndicale et à la négociation collective

Degré de similitude

Cabinet no 4

1

L’entité a mis en œuvre une politique en matière de liberté syndicale. Même si aucun syndicat n’a été formé dans l’entité et qu’à l’heure actuelle il n’existe pas d’exigence de constituer un syndicat parallèlement au BEZPA mais elle dispose d’une politique ouverte concernant la constitution d’une WWA en parallèle. Des réunions régulières ont lieu entre le représentant des travailleurs et la direction. Les représentants des travailleurs ont pleinement accès aux travailleurs sur le lieu de travail.

En partie identique

Cabinet no 4

5

L’entité dispose d’une politique et d’une procédure en matière de Liberté syndicale et elle a communiqué cette politique aux travailleurs. La direction respecte les droits des travailleurs en matière de négociation collective. L’entité a constitué un syndicat et un Comité de participation (Participation Committee, PC). Des réunions régulières ont lieu entre le représentant des travailleurs et la direction. Les représentants des travailleurs ont pleinement accès aux travailleurs sur le lieu de travail.

Quasiment identique

Cabinet no 4

12

L’entité dispose d’une politique et d’une procédure en matière de Liberté syndicale et elle a communiqué cette politique aux travailleurs. La direction respecte les droits des travailleurs en matière de négociation collective. L’entité n’a pas de syndicat mais a constitué un Comité de participation (Participation Committee, PC) en parallèle. Des réunions régulières ont lieu entre le représentant des travailleurs et la direction. Les représentants des travailleurs ont pleinement accès aux travailleurs sur le lieu de travail.

Identique

Cabinet no 4

15

L’entité dispose d’une politique et d’une procédure en matière de Liberté syndicale et elle a communiqué cette politique aux travailleurs. La direction respecte les droits des travailleurs en matière de négociation collective. L’entité n’a pas de syndicat mais a constitué un Comité de participation (Participation Committee, PC) en parallèle. Des réunions régulières ont lieu entre le représentant des travailleurs et la direction. Les représentants des travailleurs ont pleinement accès aux travailleurs sur le lieu de travail. 

Identique

Cabinet no 4

22

L’entité dispose d’une politique et d’une procédure en matière de Liberté syndicale et elle a communiqué cette politique aux travailleurs. La direction respecte les droits des travailleurs en matière de négociation collective. L’entité n’a pas de syndicat mais a constitué un Comité de participation (Participation Committee, PC) en parallèle. Des réunions régulières ont lieu entre le représentant des travailleurs et la direction. Les représentants des travailleurs ont pleinement accès aux travailleurs sur le lieu de travail. 

Identique

Cabinet no 4

25

D’après des éléments de preuve satisfaisants, il a été constaté que la principale entité visée par l’audit respecte entièrement ce principe/domaine de performance. Remarque : D’après un entretien avec des travailleurs, il est démontré que rien n’est entrepris pour empêcher les travailleurs d’établir un syndicat, même s’ils n’en ont pas encore constitué un. Cependant, conformément aux éléments documentaires, à l’entretien avec les travailleurs, à l’entretien avec des représentants des travailleurs et aux observations faites sur place, il est manifeste que l’entité auditée a un respect intégral s’agissant du droit d’établir un syndicat et de mener une négociation collective.

Texte unique, mais sans détails pertinents sur l’usine en question

............

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays