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Niger : Une vidéo montre des soldats en train de tuer des hommes blessés

La justice doit être rendue pour ce qui s’apparente à un crime de guerre

Une vue aérienne de Diffa, dans le sud-est du Niger, où la hausse des attaques de Boko Haram a provoqué une riposte des troupes nigériennes en mai 2020. © 2020 REUTERS/Joe Penney

Une vidéo filmée au Niger montre des soldats du gouvernement dans un véhicule militaire écrasant et tuant deux combattants présumés de Boko Haram qui semblaient non armés et blessés, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

L’incident, que le gouvernement nigérien a confirmé s’être déroulé dans le pays, s’est produit lors d’une opération militaire contre Boko Haram le 11 mai 2020, au sud de Diffa, dans le sud-est du Niger, près de la frontière avec le Nigeria. La vidéo en question a été largement diffusée sur les réseaux sociaux et Human Rights Watch en a eu connaissance.

« Cette vidéo choquante montre des soldats nigériens dans des véhicules blindés en train de tirer et de rouler sur des hommes apparemment non armés et blessés », a déclaré Jonathan Pedneault, chercheur à la division Crises et conflits à Human Rights Watch. « Cet épouvantable incident impliquant des camions de 10 tonnes exige une enquête crédible et impartiale, pour aboutir à l’établissement des responsabilités pour ces actes répréhensibles. »

La vidéo, qui a été enregistrée par un soldat se trouvant à bord du véhicule, montre trois véhicules blindés Mamba MK7 de fabrication américaine conduits par des troupes nigériennes, qui passent devant un véhicule renversé en feu et écrase un homme allongé au sol avant de se mettre à la poursuite d’un autre et de lui tirer dessus. Une fois atteint, le deuxième homme s’effondre, et deux des véhicules Mamba MK7 lui roulent dessus. On entend un soldat à bord d’un véhicule applaudir, et un autre dire : « Arrêtez, il est tombé, il est mort ».

L’incident s’est produit dans le cadre d’une opération militaire de deux jours au sud de Diffa, manifestement sous la conduite du Bataillon spécial d’intervention du Niger. Bien que Human Rights Watch n’ait pu déterminer l’emplacement précis à partir de la seule vidéo, les caractéristiques géographiques constatées sur les images correspondent à cette région à cette période de l’année. Le gouvernement a déclaré avoir tué 25 membres de Boko Haram au sud de Diffa le 11 mai. Le 3 mai, le groupe islamiste armé avait attaqué les troupes gouvernementales au sud de Diffa, tuant entre trois et cinq soldats.

Depuis plusieurs années, des groupes armés islamistes mènent des attaques contre les frontières ouest et sud-est du Niger. Début mai, Boko Haram a considérablement accru ses attaques contre les forces gouvernementales dans la région de Diffa. Au cours des six derniers mois, des groupes affiliés à l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont également attaqué les forces gouvernementales, tuant des dizaines de soldats dans la région de Tillabéri, au nord de la capitale Niamey. Le 9 mai, les médias ont signalé que des hommes armés non identifiés avaient tué 20 civils dans le département d’Anzourou, qui dépend de la région de Tillabéri.

Une personne ayant enquêté sur l’incident du 11 mai, mais qui ne souhaite pas être nommée par crainte de représailles, a déclaré que les autorités militaires de Diffa lui ont dit que les hommes étaient des combattants de Boko Haram et qu’il était justifié de les écraser car ils portaient des talismans d’invulnérabilité contre les balles.

Un haut responsable gouvernemental au courant de l’incident a déclaré à Human Rights Watch que les victimes étaient des membres hauts placés de Boko Haram impliqués dans le meurtre d’un lieutenant de l’armée dans un avant-poste au sud de Diffa. Selon lui, les soldats aperçus dans la vidéo étaient des subordonnés de cet officier décédé et voulaient venger sa mort. L’armée nigérienne « ne devrait pas être jugée sur la base de cet incident ».

« Ils ont agi de la sorte pour adresser un message à Boko Haram – vous avez tué notre lieutenant, nous tuerons les vôtres », a commenté le responsable gouvernemental. « Il ne faut pas s’attendre à ce qu’un tribunal militaire condamne ces hommes pour avoir tué des membres de Boko Haram. »

  Image de la vidéo montrant un véhicule Mamba MK7 immédiatement après qu’il ait roulé sur un individu manifestement blessé lors d'opérations militaires nigériennes menées contre Boko Haram dans la région de Diffa, dans le sud-est du Niger, le 11 mai 2020. Source: réseaux sociaux. ©

Dans une lettre datée du 8 juin répondant à une demande d'information de Human Rights Watch envoyée le 22 mai, le ministre des affaires étrangères du Niger, Kalla Ankourao, a écrit, en ne mentionnant qu’un seul des deux individus tués, que l’homme portait une ceinture de suicide et qu'il n'avait pas levé les mains pour se rendre, ce qui en fait une cible militaire légitime. Il a ajouté que "le véhicule blindé utilisé dans la manœuvre n'avait d'autre but que de protéger les soldats en cas de déclenchement de la charge explosive".

L'examen de la vidéo par Human Rights Watch n'a pas permis de déterminer si l'individu portait une ceinture suicide. Nous notons que les déclarations précédentes des officiels n'en faisaient pas mention. Il est évident, d'après la vidéo, que l'homme dont on dit qu'il portait une veste suicide était au sol et apparemment blessé et immobilisé. S'il avait porté une veste suicide qui représentait un danger pour les soldats, la réaction la plus probable aurait été de le neutraliser à distance, par exemple avec des armes légères, plutôt que de créer un risque substantiel de dommages au véhicule et aux soldats exposés en lui roulant dessus.

L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, applicable au conflit armé entre le Niger et Boko Haram, interdit les attaques contre des « [p]ersonnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par […] blessure ». Le meurtre délibéré de ces individus est un crime de guerre. Dans la vidéo, les hommes tués semblent être soit des combattants blessés ne participant plus aux hostilités, soit des civils qui doivent être protégés de telles attaques.

Le Niger est membre à la fois du G5-Sahel, une coalition militaire d’États sahéliens engagés dans des opérations antiterroristes, et de la Force multinationale mixte (MNJTF), qui coordonne les opérations des États limitrophes du lac Tchad contre Boko Haram. Ce pays reçoit une aide militaire et financière importante de la France, de l’Union européenne et des États-Unis. En décembre 2019, Washington a fourni à Niamey 13 véhicules blindés Mamba MK7, comme ceux que l’on voit sur la vidéo, dans le cadre d’un don d’un montant de 21 millions de dollars. En 2014, le Niger a fait l’acquisition de six Mamba MK7 auprès de l’Afrique du Sud.

L’origine des Mamba MK7 utilisés dans l’incident du 11 mai n’est pas claire, mais les États-Unis et l’Afrique du Sud devraient prendre des mesures pour garantir que les équipements qu’ils fournissent sont utilisés conformément aux lois de la guerre, a déclaré Human Rights Watch.

Le gouvernement du Niger devrait immédiatement annoncer l’ouverture d’une enquête judiciaire sur l’incident du 11 mai et établir les responsabilités de ces assassinats extrajudiciaires. Il doit le faire avec transparence et donner des instructions claires à ses forces pour empêcher que de telles violations, déjà constatées ailleurs dans le pays au cours des derniers mois, ne se reproduisent.

Le 30 avril, un rapport de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a révélé que les forces nigériennes avaient apparemment exécuté 34 personnes dans ce pays fin février et début mars. Les forces participant au G5-Sahel peuvent se mettre à la recherche d’individus soupçonnés d’appartenir à des groupes islamistes armés dans les pays voisins, à moins de 100 kilomètres de leurs frontières, mais toutes les opérations doivent être menées conformément à la loi.

Les partenaires internationaux du Niger devraient exhorter les gouvernements régionaux à enquêter sur les allégations d’abus commis par leurs forces de sécurité et tenir les auteurs de violations pour responsables de leurs actes. Ils devraient veiller à ce que toute assistance militaire et exportation fournies à ces forces de sécurité ne parviennent à des unités responsables de violations des droits humains ou du droit international humanitaire dont les personnels n’auraient pas été poursuivis et jugés. Lors de réunions du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahel, le Niger, qui siège actuellement au sein de cet organe, devrait saluer et encourager de telles discussions.

« Tous les gouvernements fournissant une aide militaire au Niger et aux autres gouvernements du Sahel devraient user de leur influence pour faire pression sur leurs forces afin qu’elles respectent les droits humains et les lois de la guerre, et demander des comptes aux responsables d’abus », a conclu Jonathan Pedneault. « L’impunité pour les crimes de guerre et autres abus commis par les forces armées ne fait que renforcer le mépris de l’État de droit par les soldats, alimenter les griefs locaux à l’encontre de l’État et encourager le recrutement par des groupes armés. »

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