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Algérie : Des manifestations d’enseignants dispersées par la force

Des enseignants contractuels ont été frappés et arrêtés

(Beyrouth, le 31 mars 2016) – La police algérienne a frappé des enseignants qui manifestaient à Alger les 21 et 22 mars 2016 pour réclamer une meilleure sécurité de l’emploi, faisant au moins deux blessés, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La police a par ailleurs arrêté des dizaines de manifestants et les a détenus pendant plusieurs heures, avant de les relâcher sans inculpation.

Les enseignants, qui sont engagés sur la base de contrats temporaires au lieu de se voir attribuer des postes permanents, sont descendus dans la rue après un appel de la Coordination nationale des enseignants contractuels et vacataires, une organisation indépendante non syndicale, afin de tenir un sit-in pour réclamer l’intégration des enseignants dans la fonction publique, assurant une plus grande sécurité d’emploi. Une interdiction des manifestations publiques est en vigueur dans la capitale depuis 2001.

© 2012 Human Rights Watch


« Il n’existe aucune justification pour continuer à refuser aux Algériens le droit de réunion pacifique dans leur capitale », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les manifestants ne devraient pas avoir à craindre la matraque pour tenter seulement d’exprimer leurs point de vue dans des espaces publics. »

Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec Bachir Saïdi, le porte-parole de la Coordination nationale, ainsi qu’avec quatre enseignants qui ont affirmé que la police les avait soit frappés soit arrêtés.

Saïdi a expliqué que la Coordination nationale avait lancé, sur la page Facebook de l’organisation, un appel à tenir le 21 mars un sit-in devant le ministère de l’Éducation. Il a indiqué que vers 8h30 ce matin-là, les enseignants ont tenté d’atteindre le siège du ministère dans le quartier administratif d’Al-Mouradia à Alger mais ils ont constaté que la police leur en avait bloqué l’accès. Les enseignants ont alors décidé de déplacer leur sit-in vers la place située devant la poste centrale d’Alger.

« A.G. », qui a demandé à rester anonyme, est une enseignante sous contrat depuis trois ans dans un lycée d’Alger. Elle a déclaré qu’une centaine d’enseignants s’étaient rassemblés sur la place devant la poste, sans gêner la circulation ni les piétons. Elle a expliqué qu’ils ont pu maintenir le sit-in pendant une heure environ, brandissant des banderoles et scandant des slogans. Ensuite, un important contingent de policiers les a encerclés et a commencé à les repousser vers la rue où des fourgons et des bus de police étaient stationnés. Les personnes qui résistaient étaient frappées.

Elle a déclaré qu’une dizaine de policiers l’ont encerclée et que plusieurs d’entre eux lui ont donné des coups de pied dans les jambes. Alors qu’elle continuait à résister tandis que les policiers la contraignaient à monter dans l’un des bus, ceux-ci l’ont poussée violemment à l’intérieur, la blessant au bras. Elle a expliqué qu’elle avait réussi, ainsi que plusieurs autres enseignants, à descendre du bus et à s’échapper lorsque le véhicule s’est arrêté pendant le trajet. Le lendemain, un docteur dans un hôpital l’a examinée et a noté une « déchirure ligamentaire à l'épaule t» dans le compte-rendu médical, que Human Rights Watch a consulté.

Fella Djellal, professeur de français dans un lycée de Boumerdès, a apporté un témoignage similaire. Elle a déclaré que les policiers avaient commencé à la pousser ainsi que d’autres manifestants vers un coin et dans les bus et fourgons de la police. Elle a indiqué qu’elle s’était évanouie après que deux policiers lui ont donné des coups de pieds dans les jambes. Lorsqu’elle a repris connaissance, elle s’est retrouvée par terre devant la gare de Kharouba. Elle a ajouté qu’elle souffrait et ne pouvait pas marcher, aussi des collègues ont appelé une ambulance, qui l’a conduite à l’hôpital El-Mustapha. Le docteur qui l’a examinée lui a remis un certificat indiquant qu’elle avait une cheville foulée nécessitant trente jours de repos.

D’autres enseignants, qui ont passé la nuit du 21 mars au siège du Syndicat National Autonome des Personnels de l'Administration Publique (SNAPAP), dans le centre ville d’Alger, un syndicat indépendant, ont indiqué que la police les avait arrêtés le lendemain alors qu’ils quittaient le bâtiment. Fahem Aïssat, professeur du secondaire à Bejaïa, a déclaré :
Nous étions une trentaine d’enseignants venus de différentes villes. Nous avons décidé de passer la nuit à Alger et de partir le lendemain matin. Depuis les fenêtres, vers 5 heures du matin, nous avons vu que des fourgons de police et des policiers étaient arrivés devant le SNAPAP. À 7h30, quinze d’entre nous avons décidé de partir. Dès que nous avons franchi le portail, une dizaine de policiers, six en civil et quatre en uniforme, nous ont interceptés. Ils nous ont demandé nos papiers d’identité et l’endroit où nous nous rendions. Nous leur avons répondu que nous allions à la gare pour quitter Alger. L’un d’eux a déclaré qu’ils avaient l’ordre de nous arrêter.

Aïssat a expliqué que les policiers les avaient conduits au poste de police de Mohammedia où ils avaient été retenus jusqu’à 17h00. Il a indiqué que la police ne leur avait pas précisé les raisons de leur arrestation et les avait relâchés sans inculpation.

La constitution de l’Algérie garantit le droit à la liberté de réunion. Parmi les amendements entrés en vigueur le 7 mars 2016 figure une disposition selon laquelle « La liberté de manifestation pacifique est garantie au citoyen dans le cadre de la loi qui fixe les modalités de son exercice » (article 49).

En pratique et au moyen d’un ensemble de lois, toutefois, les autorités algériennes violent régulièrement ce droit. Le code pénal punit l’organisation ou la participation à une manifestation non autorisée dans un espace public d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement (article 98). Les autorités d’Alger, la capitale, ont interdit les manifestations publiques pour une durée indéterminée, en 2001, alors que le pays se trouvait en état d’urgence. Les autorités n’ont pas abrogé cette interdiction lorsqu’elles ont levé l’état d’urgence en 2011.

L’Algérie étant un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les autorités algériennes ont l’obligation de respecter le droit de réunion pacifique, protégé par l’article 21, et ne peut imposer aux manifestations que des restrictions proportionnées de ce droit qui sont non-discriminatoires et nécessaires « dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d'autrui ».

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