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Yémen : La coalition n’a toujours pas enquêté sur des frappes aériennes illégales

Les États-Unis pourraient avoir une part de responsabilité dans ces attaques

Des habitants de la ville côtière de Mokha, dans le sud-ouest du Yémen, assis devant les décombres de leur immeuble qui a été touché par une frappe aérienne ayant tué 65 civils, au surlendemain de l’attaque, le 24 juillet 2015, tandis que d’autres hommes ayant grimpé au premier étage fouillent parmi les débris pour tâcher de récupérer quelques biens. © 2015 Ole Solvang/Human Rights Watch

(Beyrouth) – La coalition dirigée par l'Arabie saoudite qui mène des frappes aériennes au Yémen contre les forces houthistes n’a toujours pas ouvert d’enquête sur certaines attaques apparemment illégales ayant causé la mort de centaines de civils, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les États-Unis, en tant que pays membre de la coalition, sont eux aussi tenus d’enquêter sur toute frappe susceptible d’avoir violé le droit de la guerre et à laquelle ils auraient participé.

Le rapport de 73 pages, intitulé « 'What Military Target Was in My Brother’s House?’: Unlawful Coalition Airstrikes in Yemen » (« En quoi la maison de mon frère était-elle une cible militaire ? Frappes aériennes illégales menées au Yémen par la coalition »), examine en détail dix frappes aériennes menées par la coalition, toutes apparemment illégales, ayant fait au moins 309 morts et 414 blessés parmi des civils entre avril et août 2015. D’après les Nations Unies, la majorité des 2 600 décès de civils survenus au Yémen depuis que la coalition a entamé vers la fin de mars 2015 une campagne militaire contre les houthistes seraient dus à des raids aériens menés par la coalition. À la connaissance de Human Rights Watch, ni l’Arabie saoudite, ni les États-Unis, ni aucun autre pays de la coalition n’a ouvert à ce jour d’enquête sur ces raids, ou sur aucune autre frappe, ni proposé aucune forme d’indemnisation pour les victimes ou leurs proches.


« Il est choquant que la coalition n’ait mené à ce jour aucune enquête sur les nombreuses frappes qui sont suspectées d’être illégales», a déclaré Joe Stork, Directeur adjoint de la division Moyen Orient et Afrique du Nord. « Alors que la coalition dispose d’armes sophistiquées et du soutien des États-Unis, son engagement vis à vis du droit de la guerre semble être assez précaire. »

Human Rights Watch a mené une enquête dans les gouvernorats d’Ibb, d’Amran, d’Hajja, d’Hodaida et de Taizz ainsi que dans la capitale du Yémen, Sanaa, menant des entretiens avec des victimes, des témoins et des personnels de santé. Des frappes ont touché des maisons, des marchés, une usine et une prison civile. Selon les cas, Human Rights Watch soit n’a pas été en mesure d’identifier une cible militaire, soit a établi que la frappe n’avait pas fait de distinction entre l’objectif militaire et la population civile. Human Rights Watch a rassemblé les noms de 309 personnes—199 hommes, 43 femmes et 67 enfants—qui ont péri lors de ces bombardements ; tous semblent être des civils. À ce jour, les autorités saoudiennes n’ont toujours pas répondu à nos demandes d’information répétées sur ces dix frappes.

« Lorsque je suis arrivé à la maison, il y avait encore de la poussière dans l’air, et tout était couvert de cendres noires », a déclaré Muhammad Saleh al-Qihwi, dont la maison a été détruite en avril 2015 lors d’un raid sur la ville d’Amran. « Le crâne d’Asma était béant, et sa jambe saignait. Sa fillette de deux ans, Hyam, était allongée sur son épaule, le crâne fracassé. Sa fille de sept ans, Hasna, criait ‘Baba’ [Papa]. Sa peau et ses cheveux étaient couverts de cendres, et elle avait été gravement brûlée. Leur père, mon frère Muhammad, était endormi lorsque le bombardement a eu lieu, et le toit lui est tombé dessus. Lorsque je l’ai dégagé, un filet de sang coulait de son oreille. Il était déjà mort. ».

Il est choquant que la coalition n’ait mené à ce jour aucune enquête sur les nombreuses frappes qui sont suspectées d’être illégales. Alors que la coalition dispose d’armes sophistiquées et du soutien des États-Unis, son engagement vis à vis du droit de la guerre semble être assez précaire.
Joe Stork

Directeur adjoint de la division Moyen Orient et Afrique


En septembre 2014, les combattants d’Ansar Allah, un groupe chiite zaïdiste du nord du Yémen plus connu sous le nom de houthistes, ont pris le contrôle de la capitale du pays, Sanaa. En janvier 2015, ils ont renversé le président Abdu Rabu Mansour Hadi et son gouvernement, qui se sont réfugiés en Arabie saoudite. Les houthistes, soutenus par des membres des forces armées partisans de l’ancien président, Ali Abdullah Saleh, ont ensuite fait route vers le sud du pays, menaçant de prendre le port d’Aden.

Le 26 mars, une coalition menée par l’Arabie saoudite – regroupant le Bahreïn, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et le Soudan – avec la participation des États-Unis, a commencé une campagne de frappes aériennes contre les houthistes et leurs alliés. Les États-Unis sont partie au conflit, puisqu’ils jouent un rôle direct dans la coordination des opérations militaires, a précisé Human Rights Watch. Ainsi, le Lieutenant-Général Charles Brown, principal commandant des opérations aériennes menées par les États-Unis (US Air Force Central Command), a indiqué au Wall Street Journal que l’armée américaine a déployé des personnels dédiés auprès du centre saoudien chargé de la planification des opérations, à des fins de coordination des activités. L’éventuelle participation des Etats-Unis dans certains de ces bombardements, par exemple un ravitaillement en vol, pourrait entraîner la responsabilité partagée des États-Unis si une violation des lois de la guerre par la coalition est établie. En tant que partie au conflit, les États-Unis ont l’obligation d’enquêter sur toute opération soupçonnée d’illégalité à laquelle ils auraient participé.

Le Royaume-Uni et la France ont également soutenu la coalition en vendant des armes à l’Arabie saoudite et à d’autres membres de la coalition. De même, les États-Unis ont récemment annoncé la vente de bombes aériennes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

En vertu du droit de la guerre, les belligérants ne peuvent attaquer que des objectifs militaires. Dans la conduite de ces attaques, ils se doivent de prendre toutes les précautions faisables pour épargner les civils et les biens à caractère civil. Les armes et les méthodes qui sont utilisées doivent pouvoir faire la distinction entre l’objectif militaire et les civils (principe dit de distinction). Toute attaque dans laquelle il n’y a pas de cible militaire, ou qui est indiscriminée, ou qui cause des dommages aux civils sans proportion avec l’avantage militaire attendu, est interdite.

Les belligérants doivent également éviter de se déployer dans des zones de peuplement dense et évacuer dans la mesure du possible les civils présents dans le voisinage des forces armées. Dans plusieurs cas, il n’est pas clairement établi que les houthistes et leurs alliés aient bien pris des mesures pour éloigner les civils de leurs dépôts de munitions et des lieux où leurs forces étaient déployées.

Human Rights Watch est également préoccupé par l’utilisation faite par la coalition d’armes explosives à large dispersion dans des zones peuplées. Une arme avec une dispersion de dizaines ou de centaines de mètres a toutes chances de toucher des civils si elle est utilisée dans un endroit peuplé.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait rappeler à toutes les parties au conflit que les responsables de violations des droits de l’homme ou du droit de la guerre peuvent faire l’objet d’un gel de leurs avoirs ou d’une interdiction de voyager, a déclaré Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité devrait mettre en place un mécanisme d’enquête international et indépendant pour enquêter sur les violations présumées du droit de la guerre commises par les différentes parties au conflit.

« Le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme sont restés les bras croisés alors que les bombes de la coalition tuent des civils », a déclaré Joe Stork. « Ces organes des Nations Unies devraient ordonner des enquêtes, puisque les parties qui sont responsables de ces violations présumées ne semblent pas disposées à le faire. »

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