(Moscou, le 15 décembre 2014) –Les autorités russes ont manqué à leur obligation de prévenir et de poursuivre la violence homophobe, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Un nombre croissant de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) ont été attaquées et harcelées dans l’ensemble de la Russie au cours de la période précédant et suivant l’adoption de la loi fédérale anti «propagande» LGBT en juin 2013. La loi légalise en effet la discrimination contre les personnes LGBT et les renvoie à une citoyenneté de seconde classe.
Le rapport de 85 pages, intitulé «License to Harm: Violence and Harassment against LGBT People and Activists in Russia» («Permis d’agresser : Violence et harcèlement contre les personnes et militants LGBT en Russie») s’appuie sur des dizaines d'entretiens approfondis menés dans seize villes de Russie auprès de personnes LGBT et des militants qui ont été victimes d’attaques ou de harcèlement agressif en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Les personnes LGBT ont expliqué avoir été battues, enlevées, humiliées, et traitées de « pédophiles » ou de « pervers », dans certains cas par des milices homophobes et dans d'autres cas par des inconnus dans le métro, dans la rue, dans les clubs, dans les cafés, et dans un cas, lors d’un entretien d'embauche.
«La violence vécue par les personnes LGBT en Russie est incontestablement motivée par l'homophobie, mais les autorités ignorent délibérément que ce sont des crimes de haine et ne protègent pas les victimes.», a déclaré Tanya Cooper, chercheuse sur la Russie à Human Rights Watch. «Les autorités russes devraient poursuivre efficacement la violence homophobe, et les autorités devraient cesser de s’engager dans la discrimination anti-LGBT et de la tolérer.»
Human Rights Watch a documenté la discrimination, le harcèlement et la violence auxquelles les membres de la communauté LGBT sont confrontées en Russie dans leur vie quotidienne. La plupart des personnes interrogées ont déclaré que ces problèmes se sont intensifiés depuis 2013. Dans certains cas, elles ont été attaquées par les milices anti-LGBT qui sont apparues dans des dizaines de villes et de villages russes à la fin de 2012. Ces groupes de nationalistes radicaux attirent les hommes et les adolescents gays sous le prétexte d'un faux rendez-vous, les retiennent contre leur volonté, les humilient et les exposent en filmant la rencontre. Des centaines de ces vidéos montrant des agressions ont été mises en ligne.
«J’ai senti le sang dans ma bouche, mais ce n’est que plus tard que j’ai appris que mes agresseurs m’avaient brisé la mâchoire à deux endroits», a témoigné une victime d’une milice.
Dans d'autres cas, les personnes LGBT ont expliqué avoir été physiquement attaquées par des inconnus au cours de leurs activités quotidiennes. Les victimes ont déclaré à Human Rights Watch que les agresseurs les suivaient et dans de nombreux cas les frappaient, en les accusant d’être gays, les traitant de «pédales», et leur lançant des insultes homophobes dans les lieux publics.
Les militants LGBT sont également confrontés à la violence physique et au harcèlement lors d'événements publics soutenant les droits LGBT. La grande majorité des militants LGBT interrogés avait été attaquée au moins une fois lors de manifestations publiques pro-LGBT depuis 2012, décrivant des attaques dans plusieurs villes. Ils ont expliqué que, bien que les contre-manifestants anti-LGBT les harcèlent et les attaquent régulièrement, la police omet systématiquement de prendre les mesures adéquates pour empêcher les attaques et les protéger contre la violence.
Sur les 78 victimes de la violence et du harcèlement homophobe et transphobe interrogées pour le rapport, 22 n’ont pas signalé à la police les attaques dont elles faisaient l’objet car elles craignaient d’être harcelées directement par la police et ne pensaient pas que la police prendrait les attaques au sérieux. De nombreuses victimes ont estimé que rapporter les attaques à la police était une perte de temps. En effet, lorsque certaines des victimes ont porté plainte, peu d’enquêtes ont été ouvertes.
«Les forces de l’ordre russe ont les outils pour poursuivre la violence homophobe, mais elles n’ont pas la volonté de lefaire », a déclaré Tanya Cooper. «Ne pas punir ni mettre fin aux violences et aux agressions homophobes expose les personnes LGBT et celles qui les soutiennent à un risque accru d’attaques.»
Mis à part quelques enquêtes isolées, les autorités ont fait peu pour traduire les agresseurs en justice.
Human Rights Watch a constaté que bien que la Russie possède des lois sur les crimes haineux, les forces de l’ordre ne traitent pas l'attaque homophobe même la plus flagrante comme un crime de haine. Pas un seul des cas documentés dans le rapport n’a été considéré comme un crime de haine au moment de l’enquête. Dans les cas documentés dans le rapport où la police a ouvert des enquêtes criminelles, elle se montrait méprisante et réticente à enquêter de façon efficace, rendant souvent la victime responsable des agressions. Seulement 3 des 44 cas dans lesquels les victimes ont déposé plainte ont conduit à des poursuites. Au moins deux des agresseurs dans ces cas ont été déclarés coupables, mais leurs peines ne correspondaient pas à la gravité des préjudices pour les victimes.
Précédente vidéo de HRW sur les violences anti-LGBT en Russie (fév 2014) :
Human Rights Watch a également constaté qu’au lieu de dénoncer publiquement la violence et les propos anti-LGBT, les dirigeants russes sont soit restés silencieux soit – dans certains cas – se sont livrés à un discours explicite de haine anti-LGBT.
Dans plusieurs cas, les personnes LGBT ou les partisans des droits LGBT qui travaillent comme éducateurs dans les écoles, les universités ou les centres communautaires pour les enfants sont devenus la cible de campagnes de diffamation organisées afin de les diaboliser et de les dépeindre comme une menace pour les enfants uniquement en raison de leur orientation sexuelle. La plupart de ces personnes ont perdu leur emploi.
La loi de 2013 interdit la «propagande en faveur de relations sexuelles non traditionnelles auprès de mineurs» et était l'une des mesures anti-LGBT proposées ou adoptées en 2013. Enfreindre la loi est une infraction administrative passible d'une série d'amendes.
«La loi anti-LGBT contre la ‘propagande’ ne protège personne, en revanche elle fournit aux homophobes une raison pratique pour penser que les vies des personnes LGBT comptent moins pour le gouvernement»,a conclu Tanya Cooper. «Le gouvernement russe devrait abroger la loi et mettre fin à la discrimination contre les citoyens LGBT de Russie.»
Témoignages extraits du rapport :
«J’ai senti le sang dans ma bouche, mais ce n’est que plus tard que j’ai appris que mes agresseurs m’avaient brisé la mâchoire à deux endroits. Ils m’ont emmené dans un terrain vague à proximité et m’ont demandé: ‘Alors comment on va arranger ça ?’ ‘On pourrait te briser les bras et les jambes, ou...’ J’ai compris qu’ils voulaient de l’argent.... Avant de me relâcher, ils m’ont demandé: ‘Tu sais ce qu’ont toujours fait les gens aux gays en Russie ? Ils les ont empalés !’»
– Zhenya Zh. (nom d’emprunt), une victime d’une milice anti-LGBT
«Ils m’ont forcé à rester debout au milieu du cercle qu’ils formaient autour de moi. Ils m’ont posé des questions sur ma vie sexuelle et mes préférences sexuelles, et ensuite ils m’ont forcé à crier que j’étais un pédophile et que j’étais gay. Ils se dénommaient eux-mêmes comme les ‘Athlètes contre les pédophiles’ et ils m’ont dit: ‘On vous attrapera tous et on va vous apprendre à vivre.’ C’était vers 17h, donc il y avait beaucoup de gens dans le centre commercial, faisant leurs courses et dinant. Mais personne ne les a arrêtés, personne n’est intervenu.»
– Slava S. (nom d’emprunt), une victime d’une milice anti-LGBT
«Un homme s’est approché de moi dans le métro et m’a demandé si je n’avais pas peur de marcher ‘habillé comme ça.’ Il m’a demandé: ‘Est-ce que tu sais qu’on a une loi qui interdit les gays ?’ Ensuite il a commencé à crier des insultes blessantes à mon propos, me traitant de ‘pédé’, puis il a demandé aux gens autour de bien me regarder, et ensuite il m’a suivi dans le métro. Dans le wagon du métro il m’a traité de ‘pédé’ et m’a frappé en plein visage.»
– Ivan (Johnny) Fedoseyev, un homme gay attaqué par un inconnu dans le métro de Saint-Pétersbourg