(Bichkek, le 29 janvier 2014) – Les hommes gays et bisexuels au Kirghizistan sont régulièrement victimes d'extorsion de fonds, de menaces, d'arrestations arbitraires, de passages à tabac et de violences sexuelles de la part de la police, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Bien que les relations sexuelles consensuelles entre hommes aient été dépénalisées au Kirghizistan en 1998, la police continue à prendre pour cible les hommes homosexuels ou bisexuels et les soumet à des violences et à des extorsions de fonds, a constaté Human Rights Watch.
Ce rapport de 65 pages, intitulé « They Told Us We Deserved This: Police Violence against Gay and Bisexual Men in Kyrgyzstan»(« Ils nous ont dit que c'était ce que nous méritions: Violences policières contre les hommes gays et bisexuels au Kirghizistan »), documente diverses exactions infligées à des hommes gays ou bisexuels par la police au Kirghizistan, notamment des violences physiques, sexuelles et psychologiques; des arrestations arbitraires, ainsi que l’extorsion de fonds sous la menace de violences ou de la révélation de leur orientation sexuelle à leurs amis et aux membres de leurs familles. Le rapport est fondé sur des entretiens détaillés réalisés avec 40 hommes gays et bisexuels vivant dans quatre régions distinctes du Kirghizistan. Le gouvernement devrait condamner et enquêter de manière approfondie sur les allégations d'abus et créer un mécanisme juridique permettant de porter plainte de façon confidentielle dans tous les cas d'abus commis par des membres des services de police.
« Les hommes gays et bisexuels du Kirghizistan vivent déjà dans la crainte permanente à cause d'attitudes homophobes généralisées et la police aggrave encore cette situation cauchemardesque », a déclaré Anna Kirey, chercheuse pour le programme Droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) à Human Rights Watch. « Les plus hautes autorités du Kirghizistan doivent mettre fin à ces exactions policières et s'assurer que les hommes gays et bisexuels bénéficient de la protection dont ils ont besoin.»
La violence, le chantage et les extorsions de fonds de la part de la police, ainsi qu'un manque de responsabilisation pour ces crimes, sont devenus monnaie courante au Kirghizistan. Mais ce sont les personnes qui appartiennent à des minorités qui y sont les plus vulnérables. Les hommes gays ou bisexuels sont des cibles faciles pour les auteurs d'exactions à cause du conservatisme social très marqué de la population en général.
La police kirghize s'en prend aux hommes gays et bisexuels dans les jardins publics, dans les clubs homosexuels, dans des chambres d'hôtel et sur des sites de rencontres en ligne. Human Rights Watch a documenté des incidents lors desquels une grande violence physique a été exercée contre des hommes gays et bisexuels, notamment des agressions à coups de poing et de pied, ou à coups de crosses de fusil, de matraques, de bouteilles de bière vides ou d'autres objets. Plusieurs hommes gays ont également affirmé avoir été victimes de violences sexuelles de la part d'agents de police, y compris de viols, de viols collectifs et de tentatives d'insertion d'un bâton, d'un manche de marteau ou d'un appareil à électrochocs dans l’anus, d'attouchements inappropriés lors d'une fouille ou d'être contraints de se déshabiller devant les policiers.
Fathullo F. (il s'agit d'un pseudonyme), âgé de 32 ans, a déclaré à Human Rights Watch qu'en mai 2012, il était allé rencontrer un autre homme avec qui il croyait avoir conclu un rendez-vous. Lorsqu'il est arrivé à l'endroit convenu, il a été interpellé par des policiers qui l'ont menotté. Ils l'ont emmené au poste de police, où ils l'ont passé à tabac afin de le forcer à faire des aveux par écrit et à leur donner les informations nécessaires pour pouvoir contacter son employeur et sa famille. Il a affirmé que les agents de police lui avaient réclamé de l'argent et les coordonnées d'autres hommes gays sous peine d'ouvrir une procédure pénale à son encontre pour sodomie, précisant qu'il les soupçonnait de vouloir extorquer de l'argent à ces autres hommes.
« Les policiers m'ont dit que les gens comme moi ne méritaient pas de vivre », a déclaré Fathullo à Human Rights Watch. « Je leur ai demandé de me laisser m'asseoir car j'étais fatigué. Ils ont dit que je ne méritais pas d'utiliser leur chaise et m'ont craché dessus. Ils ont dit que je ne méritais pas de vivre et ont menacé de me détruire si je ne leur donnais pas 10.000 soms [environ 214 dollars US].»
Dans une autre affaire, Demetra D., âgé de 32 ans, de Bichkek, a déclaré à Human Rights Watch qu'au cours de quatre incidents distincts entre 2004 et 2011, des agents de police l'avaient arrêté, puis l'avaient violé, avaient tenté de le violer, ou avaient permis à d'autres détenus de le violer.
Sur les 40 hommes que Human Rights Watch a interrogés, deux seulement avaient porté plainte auprès de la police. Cependant dans ces deux cas, personne n'a été amené à répondre des exactions commises. Les autres hommes interrogés ont indiqué qu'ils s'étaient abstenus de porter plainte par peur soit de représailles, soit que des informations sur leur orientation sexuelle soient communiquées à leurs familles ou à leurs employeurs. Human Rights Watch n'a pas trouvé une seule affaire dans laquelle un agent de police ait été amené à rendre des comptes pour avoir fait subir à un homme gay ou bisexuel une détention arbitraire, des mauvais traitements ou tortures ou pour lui avoir extorqué de l'argent.
Le gouvernement du Kirghizistan a pris un certain nombre de mesures pour faire cesser la torture et les mauvais traitements dans les centres de détention du pays, mais il n'existe aucun mécanisme permettant de porter plainte contre des exactions policières commises contre des personnes qui ne sont pas incarcérées. Le gouvernement devrait créer un mécanisme indépendant auquel toute victime d'abus de la part de la police, y compris les hommes gays ou bisexuels, pourrait faire appel sans craindre de violation de la confidentialité de sa vie privée.
« Au Kirghizistan, les policiers savent qu'ils peuvent passer à tabac, violer et tourmenter à volonté des homosexuels et leur extorquer de l'argent sans en subir aucune conséquence», a déclaré Anna Kirey. « Personne ne devrait vivre dans la peur à cause de son identité sexuelle. Les autorités du Kirghizistan doivent mettre fin aux exactions policières contre les gays.»
Témoignages sélectionnés
Pour moi, le pire a été quand ils ont menacé de tout révéler à ma famille. J'ai des frères qui sont très religieux. Un seul mot et [pour moi] ce serait la mort. J'ai rédigé une déposition sous la dictée de la police. J'avais peur qu'ils racontent tout à ma famille. J'ai écrit mon nom et mon adresse. Je ne savais pas quoi faire. Ils m'ont laissé partir après m'avoir fait dire que je pouvais leur donner 3.000 soms (60 dollars US). Ils m'ont menacé, puis ils m'ont laissé partir [pour aller chercher l'argent]. J'ai dû mentir à ma mère pour obtenir cet argent. Je suis retourné au poste de police et j'ai donné l'argent aux policiers. J'ai demandé à récupérer ma déposition et ils me l'ont donnée en insistant pour que je la déchire devant eux.
– Isroil I. (pseudonyme), une victime de violences et d'extorsion de fonds de la part de la police.
Les policiers m'ont dit ‘Es-tu un pédé? Pourquoi viens-tu ici?’ Puis ils ont braqué une arme sur moi et m'ont montré leur badge. L'un d'eux m'a frappé à la tempe et je suis tombé sur leur voiture. Ils m'ont alors jeté dans la voiture et nous avons circulé pendant un moment. Ils ont dit qu'ils me noieraient dans un canal si je ne leur donnais pas 600 dollars US. Dans la voiture, ils m'ont frappé à la tête avec la crosse de leur arme. Puis ils m'ont emmené au poste de police, m'ont de nouveau roué de coups de pied et ont dit qu'ils allaient appeler ma mère et lui dire quel genre de boîte de nuit je fréquente.
– Maksim Bratukhin, dirigeant de l'organisation de défense des droits des LGBT Pathfinder, basée à Bichkek, qui a affirmé que plusieurs agents de police l'avaient arrêté à sa sortie d'une boîte de nuit fréquentée par des homosexuels à Bichkek en avril 2008, puis passé à tabac et menacé de mort.