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Maroc : Le gouvernement doit mettre fin aux actions de la police contre un groupe accusé de vouloir rompre le jeûne du Ramadan

Au moins quatre personnes ont été arrêtées pour avoir tenté d'organiser un pique-nique en guise de protestation contre une loi relative au jeûne

(New York, le 19 septembre 2009) - Les autorités marocaines devraient abandonner toutes les poursuites contre un groupe arrêté pour avoir tenté d'organiser un pique-nique en forêt en signe de protestation modérée contre une loi interdisant aux Musulmans de manger en public pendant les heures de jeûne du Ramadan, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Le groupe, qui plaide pour la liberté de religion et qui s'est constitué par l'intermédiaire de Facebook, avait annoncé le rassemblement de protestation pour le 13 septembre 2009 dans une forêt proche de la ville de Mohammedia, entre Rabat et Casablanca. Le groupe avait choisi cet endroit plutôt isolé pour éviter d'offenser les Musulmans pratiquant le jeûne, en mangeant devant eux.

« Tout gouvernement peut certes intervenir lorsque la morale publique est réellement menacée », a indiqué Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen Orient et l'Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Mais pas lorsque cela bafoue les droits fondamentaux des personnes. »

Alors que les membres du groupe arrivaient par le train pour le pique-nique, un fort contingent de policiers a intercepté, fouillé et relevé les noms de nombre d'entre eux, avant de les obliger à remonter dans des trains quittant Mohammedia.

Le 14 septembre, l'agence officielle de presse marocaine, Maghreb Arabe Presse (MAP), a annoncé que les autorités locales et les services de sécurité ont empêché l'événement et que les organisateurs seront poursuivis. Le 15 septembre, la police a commencé à procéder à des arrestations. Aucune accusation officielle contre les participants n'a encore été annoncée ; toutefois, le compte-rendu de la MAP a indiqué que six organisateurs marocains de l'événement seraient poursuivis.

L'article 222 du Code pénal marocain prévoit que : « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du Ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l'emprisonnement d'un à six mois » ainsi que d'une amende.

L'article 222 exempte les minorités non musulmanes du Maroc - telles que les Juifs et les étrangers non musulmans - de l'interdiction de manger en public pendant le Ramadan. Cependant, son application à des personnes « notoirement connues pour leur appartenance à la religion musulmane » semble refuser aux personnes que l'Etat considère comme musulmanes le droit de se déclarer soit comme non musulmanes, soit comme  des Musulmans qui choisissent de ne pas observer le jeûne.

L'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont le Maroc est signataire, inclut les stipulations suivantes :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction,  individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé. [...] La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection [...] de la morale d'autrui. »

Le Pacte protège aussi la liberté d'association et d'opinion, et inclut des limites strictes à la possibilité qu'ont les gouvernements signataires de restreindre ces droits.

Le groupe qui avait cherché à organiser le pique-nique est dénommé le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). En dépit du choix d'un lieu discret pour leur tentative de rompre le jeûne et du fait que les autorités ont empêché qu'elle ait lieu, la police a arrêté au moins quatre personnes qui étaient venues à Mohammedia pour cet événement. La police a arrêté les étudiants Abderrahim Mouktafi et Ghassan Bouyaghrouni dans leurs villes natales respectives de Casablanca et de Kenitra, le 15 septembre. Le 17 septembre à Marrakech, la police a arrêté un autre membre du groupe, Nizar Benzimate, un étudiant en journalisme, et l'a ramené au commissariat de Mohammedia où il a été détenu pour la nuit avant d'être relâché.

Le 15 septembre, la police a également arrêté Aziz el-Yaakoubi, un journaliste accrédité de Casablanca. Ibtissame Lachgar, une psychologue, a fait une déclaration à la police à Mohammedia le 17 septembre après avoir appris que la police avait pénétré dans son domicile à Rabat en son absence deux jours plus tôt. La police n'a pas retenu Ibtissame Lachgar, mais l'a informée qu'elle pourrait être citée à comparaître ultérieurement.

Le 15 septembre, la police s'est rendue à Casablanca au domicile  de Zeineb el-Rhazoui, une journaliste qui avait également prévu de participer au pique-nique. Zeineb El-Rhazoui, qui n'était pas chez elle à ce moment-là, se serait inquiétée, non seulement à cause de la visite de la police, mais aussi parce que le compte-rendu initial fait par l'agence de presse officielle avait déclaré que six Marocains avaient organisé le pique-nique mais n'avait mentionné que son nom. Elle a aussi reçu des menaces de mort sur sa page de Facebook. On ignore où elle se trouve actuellement.

Le journaliste El-Yaakoubi, a indiqué avoir été détenu par la police de Mohammedia avec Mouktafi et Bouyaghrouni, durant toute la journée du 15 septembre, et n'avoir été relâché qu'à 3 heures du matin le 16 septembre  avec l'ordre de se présenter à nouveau à 10 heures. Ils se sont présentés à 10 heures et ont été détenus jusqu'à minuit, puis ont reçu l'ordre de se présenter à nouveau le 17 septembre. Ce jour-là, ils ont à nouveau été placés en garde à vue de 10 heures du matin jusqu'à minuit. Ceci s'est reproduit le 18 septembre, de 10 heures du matin jusqu'à 4 heures de l'après-midi.

Pendant ce temps, la presse marocaine a publié des articles et des commentaires condamnant le groupe pour la plupart. Certains articles particulièrement virulents, ainsi que des menaces de mort envoyées par Internet à divers membres du groupe organisateur, soulèvent des inquiétudes quant à leur sécurité personnelle. Le 15 septembre, l'agence officielle de presse a publié une déclaration du Conseil provincial des Oulémas de Mohammedia (docteurs de la loi islamique) dénonçant le projet de pique-nique comme un acte « odieux » de la part d' « agitateurs », et le décrivant comme un acte qui « défie les enseignements de Dieu et du Prophète avec tout ce qu'il engendre comme sanction sévère ». La une de l'édition du 16 septembre du quotidien Al-Alam, l'organe de presse en langue arabe du parti Istiqlal (le parti du Premier ministre marocain), contient un éditorial à propos des contestataires intitulé « Ils ne sont pas des nôtres ».

Le groupe organisateur a expliqué ses objectifs dans une déclaration publiée le 17 septembre :

« Le MALI n'est pas un groupe anti-islam. Nous sommes pour la liberté de culte, et si nous revendiquons la suppression d'un article liberticide du code pénal (article 222), nous sommes également solidaires des citoyennes tunisiennes qui se font lyncher pour avoir mis le hijab. ... Le MALI n'est pas une organisation qui cherche à provoquer une communauté. Notre objectif est d'attirer l'attention sur les contradictions entre le droit international, la constitution marocaine et les lois du pays, contradictions qui coûtent cher aux citoyens marocains et portent atteinte aux libertés individuelles et collectives. »

« Les autorités marocaines mettent fièrement en avant l'héritage multiconfessionnel du pays », a insisté Sarah Leah Whitson. « Toutefois la tolérance signifie aussi la protection des personnes, comme celles du MALI, qui définissent et pratiquent leur foi comme elles le souhaitent et - comme elles avaient prévu de le faire - de façon respectueuse pour autrui. »

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