La police guinéenne et les autres forces de sécurité gouvernementales torturent, agressent, volent, voire assassinent régulièrement les civils qu’elles sont chargées de protéger, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 33 pages, intitulé « Le côté pervers des choses: Torture, conditions de détention inadaptées et usage excessif de la force de la part les forces de sécurité guinéennes », décrit les pénibles tortures infligées par la police à des hommes et des garçons placés en garde à vue. Les victimes sont des personnes soupçonnées de délits de droit commun ou perçues comme des opposants au gouvernement. Une fois transférées du poste de police à la prison dans l’attente d’un procès, beaucoup croupissent pendant des années dans des cellules exiguës, faiblement éclairées, où elles sont confrontées à la faim, la maladie, et parfois la mort.
Ces exactions ont lieu à un moment où la Guinée traverse une période d’incertitude liée à des bouleversements économiques et à une transition politique imminente. L’économie du pays est en chute libre, son président, Lansana Conté, serait gravement malade et son armée connaîtrait de profondes divisions.
« Le gouvernement guinéen permet à ses forces de sécurité de torturer et de brutaliser les citoyens sans être inquiétées », a déclaré Peter Takirambudde, directeur à la division Afrique de Human Rights Watch. « Combattre ces exactions en mettant un terme à l’impunité pourrait contribuer à la stabilité de la Guinée en cette période d’incertitude. »
Human Rights Watch a interrogé 35 personnes, dont de nombreux enfants, qui ont fourni des témoignages circonstanciés et concordants à propos des mauvais traitements et des actes de torture infligés par les policiers pendant leur garde à vue. Des victimes ont confié à Human Rights Watch que lors des interrogatoires de police, elles avaient été attachées avec des cordes, battues, brûlées avec des cigarettes et des substances corrosives et coupées avec des lames de rasoir jusqu’à ce qu’elles acceptent d’avouer le délit dont elles étaient accusées.
« La police m’a attaché les bras derrière le dos et m’a hissé à un arbre dans la cour », a raconté un garçon de 16 ans détenu dans la plus grande prison de Guinée. « Deux policiers m’ont conseillé de dire la vérité, d’avouer que j’avais volé les marchandises. Ensuite, ils ont pressé leurs cigarettes sur mes bras. Au début, j’ai continué à clamer mon innocence mais cela me faisait tellement mal que j’ai fini par dire que je les avais volées. »
Human Rights Watch s’est également entretenu avec 20 détenus incarcérés depuis plus de quatre ans dans l’attente d’un procès. Beaucoup ont déclaré qu’ils se trouvaient en prison en partie suite à des aveux arrachés sous la torture.
« Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est fondamental. Ce droit est garanti tant par la loi guinéenne que par le droit international », a signalé Takirambudde. « Le gouvernement guinéen doit assurer la tenue plus fréquente des sessions des tribunaux pour faire en sorte que les personnes ne croupissent pas en prison pendant des années sans être jugées. »
Le rapport met par ailleurs en évidence la nette tendance des forces de sécurité guinéennes à faire un usage excessif de la force lors de manifestations organisées pour protester contre une détérioration des conditions économiques due, en partie, à l’inflation galopante. L’incident le plus récent est survenu en juin 2006 lorsque le gouvernement a férocement réprimé les manifestations contre l’augmentation des prix des produits de base.
Au cours d’entretiens avec Human Rights Watch, bon nombre de victimes et de témoins d’exactions perpétrées lors de la grève de juin ont dénoncé l’implication de la police et de la gendarmerie dans des meurtres, des viols, des agressions et des vols. Les témoins de 13 meurtres ont confié à Human Rights Watch que les forces de sécurité avaient ouvert le feu directement sur les foules de manifestants non armés. Des dizaines de Guinéens, dont beaucoup assistaient aux manifestations en simples spectateurs, ont été violemment passés à tabac et dévalisés par les forces de sécurité, sous la menace d’une arme.
« La culture de la violence policière est bien enracinée en Guinée », a déploré Takirambudde. « Le fait que le gouvernement ne s’attaque pas à l’impunité enhardit les agents de la fonction publique coupables de brutalités et encourage de nouvelles exactions. »
Le gouvernement guinéen est tenu d’honorer les obligations légales qui lui incombent en vertu de plusieurs traités internationaux et africains relatifs aux droits humains – notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention des Nations Unies contre la torture et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples –, ainsi que les obligations prévues par la constitution guinéenne elle-même. Ces obligations exigent que le gouvernement respecte le droit à la vie et les libertés d’expression et de réunion et qu’il interdise l’usage de la torture. La police et les autres forces de sécurité violent régulièrement ces obligations.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement guinéen à ouvrir immédiatement des enquêtes et à traduire en justice les responsables des crimes commis par les forces de sécurité de l’Etat lors de la grève nationale de juin 2006, ainsi que les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements infligés aux personnes placées en garde à vue.
Human Rights Watch a en outre recommandé que les bailleurs de fonds internationaux tels que la France, les Etats-Unis et l’Union européenne appellent, publiquement et en privé, le gouvernement guinéen à ouvrir des enquêtes et, s’il y a lieu, à punir les responsables d’exactions. Les bailleurs de fonds internationaux devraient par ailleurs appuyer les efforts des organisations locales non gouvernementales de façon à ce que ces dernières soient plus à même d’assurer leur travail de surveillance et d’information sur les violations perpétrées par les forces de sécurité.