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Côte d'Ivoire : Mettre fin à l'impunité est indispensable pour résoudre la crise

La Commission de l'ONU devrait recommander aux tribunaux de poursuivre les graves exactions

(New York) – En Côte d'Ivoire, tant le gouvernement que les forces rebelles se sont rendus responsables de massacres, de violences sexuelles et du recrutement d'enfants soldats et il faut que les personnes les plus impliquées dans ces crimes répondent de leurs actes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Lorsque la commission des Nations Unies chargée d'enquêter sur ces atrocités présentera son rapport au Secrétaire général à la fin du mois, elle devrait recommander la création d'un organe judiciaire comptant sur la participation de la communauté internationale afin d'enrayer le cycle meurtrier de violence et d'impunité qui ravage ce pays.

En septembre, la Commission d'enquête de l'ONU a clôturé ses investigations sur les graves violations du droit international humanitaire et des droits humains perpétrées en Côte d'Ivoire. Elle était chargée d'enquêter sur les exactions commises depuis le 19 septembre 2002, date à laquelle les rebelles basés dans le nord du pays ont lancé une insurrection pour renverser le gouvernement du Président Laurent Gbagbo. Le rapport final que la commission remettra au Secrétaire général de l'ONU devrait inclure des recommandations concrètes sur la façon de traduire en justice les personnes qui portent la plus grande part des responsabilités dans les exactions, notamment dans les massacres, les exécutions sommaires, les assassinats politiques, les violences sexuelles dont des viols, et le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats, a ajouté Human Rights Watch.

"En Côte d'Ivoire, l'impunité est à l'ordre du jour," a expliqué Peter Takirambudde, directeur exécutif à la Division Afrique de Human Rights Watch. "Tant les forces gouvernementales que les factions rebelles ont tué des centaines de civils depuis le coup d'Etat de 1999 mais aucun des deux camps n'a pris de mesures pour punir les responsables."

La Côte d'Ivoire reste divisée bien que la guerre n'ait pas repris de façon généralisée depuis la signature, en janvier 2003, de l'accord de paix de Linas-Marcoussis parrainé par la France. Le nord et une grande partie de l'ouest du pays restent aux mains des forces rebelles tandis que le gouvernement garde le contrôle du sud. Quelque 4.000 soldats français supervisent la ligne de cessez-le-feu. La commission de l'ONU enquête à propos des exactions perpétrées pendant et après le conflit armé interne qui a duré de septembre 2002 à janvier 2003.

Deux sérieux incidents survenus en 2004 illustrent bien le cycle meurtrier de violence et d'impunité que connaît le pays. En mars dernier, une marche de protestation organisée à Abidjan par des groupes d'opposition a été réprimée dans le sang par les membres des forces de sécurité ivoiriennes et des milices pro-gouvernementales, se soldant par la mort d'au moins 105 civils. En juin dernier, lors des affrontements entre factions rebelles rivales dans la ville de Korhogo, dans le nord du pays, une centaine de personnes ont perdu la vie, beaucoup ayant été exécutées ou étant mortes par suffocation après avoir été enfermées dans une prison de fortune.

"Au cours des derniers mois, les forces gouvernementales ont exécuté des civils dans des bases de la gendarmerie tandis que les factions rebelles ont pour leur part exécuté des combattants et des civils dans des prisons de fortune," a dénoncé Peter Takirambudde, directeur exécutif à la Division Afrique de Human Rights Watch. "Le fait qu'aucun des deux camps ne traduise en justice les responsables de ces atrocités encourage d'autant plus ces derniers à poursuivre leurs œuvres, ce qui en définitive rend la résolution de la crise politique plus hypothétique."

Pendant ce temps, bien que le gouvernement se soit engagé, dans au moins trois accords de paix, à adopter des réformes juridiques, il a peu progressé sur le plan des réformes relatives à l'octroi de la citoyenneté aux immigrants ouest-africains, l'éligibilité pour les élections présidentielles et le droit à la jouissance de la terre. Le tout dernier accord, celui d'Accra III signé au Ghana le 30 juillet, a fixé au 15 octobre le début du désarmement. Néanmoins, aucune des réformes fondamentales n'a été adoptée par le gouvernement ivoirien et les rebelles ont juré de retarder le désarmement.

Ni le processus de paix hésitant ni les 6.000 soldats de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI), la mission de maintien de la paix de l'ONU mise sur pied en avril dernier, n'ont été en mesure de garantir le respect des droits humains et le retour à l'Etat de droit. Le conflit ivoirien menace d'attirer des combattants errants en provenance des pays voisins. Si c'était le cas, la crise en Côte d'ivoire mettrait en péril la stabilité déjà précaire de toute la région.

Human Rights Watch considère que les tribunaux nationaux sont responsables au premier chef de la poursuite des crimes commis à l'intérieur des frontières nationales. Cependant, lorsque l'appareil judiciaire national n'est pas disposé à poursuivre les graves violations du droit international ou n'est pas capable de le faire, des mécanismes judiciaires alternatifs doivent être envisagés. De sérieux doutes planent sur la volonté et la capacité des tribunaux nationaux ivoiriens pour poursuivre les graves crimes internationaux perpétrés depuis 1999. Le gouvernement ivoirien a fait montre de peu de volonté politique pour traduire en justice les auteurs des atrocités qui travaillent pour lui ou pour les forces de sécurité. Dans les zones aux mains des rebelles – estimées à au moins la moitié du territoire national – il n'existe aucun tribunal légalement constitué et les dirigeants rebelles n'ont pas établi d'autorité juridique légitime ni affiché la moindre volonté politique de juger les graves crimes dans lesquels leurs commandants ou leurs combattants sont impliqués.

Bien que la constitution ivoirienne prévoie l'indépendance de l'appareil judiciaire, ce dernier a été soumis à des pressions du pouvoir exécutif et à des influences extérieures, surtout la corruption. Par ailleurs, les cas d'arrestations et de détentions arbitraires sont fréquents, tout comme les détentions préventives prolongées sans pouvoir bénéficier des conseils d'un avocat. Sur le plan de la sécurité, la situation dans le pays reste divisée et polarisée en fonction de l'appartenance ethnique, religieuse et politique, ce qui pose d'énormes problèmes au niveau de la protection des témoins et du personnel judiciaire.

Dans son rapport final, la Commission d'Enquête de l'ONU devrait émettre des recommandations spéciales concernant les poursuites à intenter contre les personnes les plus impliquées dans les graves violations du droit international humanitaire et des droits humains commises depuis 1999. En raison des doutes qui planent quant à la volonté et la capacité du gouvernement ivoirien pour juger ces crimes, la commission devrait veiller à ce que les recommandations prévoient des mécanismes judiciaires alternatifs, tels qu'un tribunal international ou mixte (national-international), et que le gouvernement dépose une déclaration ad hoc auprès du Greffier de la Cour Pénale Internationale consentant à ce que celle-ci exerce sa compétence conformément à l'Article 12(3) du Statut de Rome.

A la réception du rapport de la Commission d'Enquête de l'ONU, le Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, devra alors présenter au Conseil de Sécurité des recommandations concrètes sur les options possibles en matière d'aide internationale à apporter à l'appareil judiciaire. Les autorités ivoiriennes et les factions rebelles devront coopérer avec tout mécanisme judiciaire éventuel. Par ailleurs, le gouvernement devrait ratifier le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale et encourager l'adoption de la législation nécessaire pour garantir sa mise en œuvre.

"La traduction en justice des auteurs des crimes internationaux les plus graves doit être au centre de toutes les futures négociations de paix," a ajouté Takirambudde. "La communauté internationale ne doit pas seulement inciter toutes les parties au conflit ivoirien à coopérer avec un mécanisme judiciaire mais les pays qui oeuvrent en faveur d'une solution à la crise doivent faire en sorte que cet organe bénéficie de tout le soutien nécessaire."

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