Bichara Djibrine Ahmat : « Je suis le seul rescapé »
Son témoignage était très attendu par les juges et les avocats commis d’office. Plusieurs anciens prisonniers entendus par les Chambres avaient déjà évoqué ce jour d’août 1983 où 150 de leurs codétenus avaient été sélectionnés par les forces du régime pour être exécutés non loin de N’Djaména. Le récit du massacre leur avait été rapporté après leur libération par l’unique survivant : Bichara Djibrine Ahmat.
Grand, large d’épaules, mais un peu confus et déstabilisé, l’ancien combattant aujourd’hui cultivateur, s’est efforcé d’expliquer au mieux ce qui lui était arrivé il y a plus de trente ans.
Officier au sein du Conseil démocratique révolutionnaire (CDR), faction du gouvernement tchadien opposé à Habré, le GUNT, Bichara fut arrêté lors de la bataille de Faya-Largeau le 30 juillet 1983. D’abord détenu à l’aéroport de cette ville du désert avec des centaines d’autres prisonniers, il affirme y avoir vu Hissène Habré, avec des soldats blancs, « venu se réjouir de sa victoire ».
Transféré ensuite jusqu’à N’Djaména avec ses compagnons d’infortune, il fut détenu à la Maison d’arrêt avant d’être sélectionné avec 149 autres prisonniers pour être placé dans un camion qui les aurait emmené jusqu’au village d’Ambing. « Nous étions tous ligotés des pieds et des mains à l’aide de chaines », déclare-t-il à la barre.
Les militaires auraient rassemblé les prisonniers puis les auraient fusillés. Selon le témoin, le massacre aurait duré plus de deux heures : « c’était un massacre lent ». Les derniers survivants auraient été achevés par des coups de grâce. Les balles n’auraient qu’effleurer Bichara qui, faisant le mort, aurait quitté le lieu peu après le départ des militaires et aurait marché de village en village jusqu’à pouvoir traverser le fleuve du Chari et se rendre au Cameroun voisin. La personne qui l’aurait aidé à traverser aurait ensuite été exécutée par la DDS, la police politique.
Son témoignage a permis à la Commission tchadienne d’enquête en 1991 d’exhumer ce charnier et confirmer son témoignage.
Les avocats commis d’office ont questionné l’aspect réaliste de son témoignage, et l’ont longuement interrogé sur le fait qu’il était le seul à avoir survécu à des rafales de balles et des coups de grâce. Comment a-t-il pu se libérer de ses chaines de fer alors qu’il était blessé ont-ils demandé ? « J’avais reçu un entrainement de commando. Cette endurance, je l’ai au nom de mon pays, parce que j’aime mon pays » leur a-t-il répondu.
Sur question d’un des avocats des parties civiles qui voulait savoir s’il pensait que survivre à un tel massacre laissait des séquelles dans l’âme, Bichara a répondu que son esprit était encore tourmenté, même si le temps avait apaisé les douleurs.