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Le quartier du port de Beyrouth, au Liban, partiellement détruit suite à la double explosion, le 5 août 2020. © 2020 AP Images

Alors que le Liban souffre encore des conséquences de l’explosion du 4 août dernier dans le port de Beyrouth, la France se doit d’utiliser l’influence considérable dont elle bénéficie dans ce pays afin d’assurer la mise en place d’une enquête indépendante et internationale concernant ce tragique incident. Les démarches des politiciens libanais pour ne confier les enquêtes qu’aux institutions locales sont inacceptables. L’incapacité, maintes fois observée par le passé, des autorités libanaises à établir des responsabilités en ce qui concerne les défaillances gouvernementales, ainsi que la méfiance généralisée de la population envers les institutions officielles, en sont la preuve.

Le pouvoir judiciaire n’a pas la crédibilité requise pour mener à bien une enquête transparente. Les interférences politiques sont habituelles et ce depuis des années, y compris dans des cas documentés par Human Rights Watch. Des indices préliminaires suggèrent que certains juges auraient été informés que le nitrate d’ammonium, qui a provoqué l’explosion, était négligemment stocké dans le port.

Le président Emmanuel Macron a été le premier responsable politique étranger à arriver sur les lieux et à promettre une aide internationale. Après avoir visité une zone dévastée et avoir écouté des personnes affectées, il a été remarquablement direct en appelant à un « changement profond » et à un « ordre politique nouveau », alertant la classe politique libanaise que « le temps des responsabilités » était arrivé.

En se positionnant en chef auto-proclamé de la réponse internationale à l’explosion, le président Macron ne doit pas manquer l’opportunité de demander l’établissement des responsabilités parmi les autorités libanaises. Pour commencer, il devrait exiger une enquête indépendante avec la participation d’experts internationaux – y compris celle du Rapporteur spécial des Nations Unies dont l’expertise porte sur les produits et déchets dangereux – pour déterminer la cause de l’explosion ainsi que les responsables de la mort d’au moins 177 personnes.

L'enquête devrait déterminer pourquoi et comment 2.750 tonnes de matériel hautement combustible et potentiellement explosif ont été stockées durant plus de six ans à proximité de zones densément peuplées de Beyrouth, qui était au courant et a manqué au devoir d’éloigner cette bombe à retardement, et comment l’explosion s’est produite. La France, ainsi que les autres partenaires soutenant le développement du Liban, devraient aussi exiger que le gouvernement libanais garantisse un accès total et sans entraves aux preuves dont les experts auront besoin, ainsi qu’un engagement ferme à respecter leurs recommandations et leurs déterminations de responsabilité concernant l’explosion. La communauté internationale devrait également se montrer prête à financer l’enquête si besoin est.

Le président Macron a également organisé une conférence d’aide d’urgence pour le Liban le 9 août, lors de laquelle 253 millions d’euros ont été promis en vue d’être alloués à la sécurité alimentaire, au logement et à l’éducation. Il a promis que l’aide financière serait distribuée « directement à la population libanaise » et a averti que le versement de sommes supplémentaires pour la reconstruction dépendrait de la mise en route de réformes politiques et économiques.

Au cours des vingt dernières années, la France a organisé quatre conférences pour le Liban qui ont apporté plus de 20 milliards de dollars d’aide. Cependant, aucune réforme politique ou économique de taille n’a été mise en place en échange, et ce malgré des promesses répétées, et les bénéfices de cette aide financière ne sont pas arrivés à la population, dont la situation économique s’est dramatiquement détériorée entretemps.

Juste quelques semaines avant l’explosion du 4 août, la classe politique libanaise était incapable de s’accorder sur le montant total des pertes financières du Liban et d’accepter la mise en place des réformes nécessaires pour débloquer des milliards de dollars d’aide provenant du Fonds monétaire international et de la communauté internationale. Entretemps, l’inflation s’envolait, la devise dégringolait, et encore plus de personnes plongeaient dans la pauvreté.

Cette fois-ci, la France et la communauté internationale devraient se montrer intransigeantes en exigeant un plan de réformes qui éradique complètement le système sectaire dit « des dépouilles », à la base de la corruption de la construction de l’État depuis, au moins, l’accord de Taëf de 1989 ayant mis fin à la guerre civile au Liban. Ils devraient aussi exiger fermement une réforme de la gouvernance et de la distribution des services sociaux, ainsi qu’une refonte du système électrique délabré, et la mise en place de mesures anti-corruption pour s’attaquer à la pauvreté et à l’inégalité croissantes qui ont ébranlé une majorité de la population.

Le Liban mettra de nombreuses années à se remettre des impacts dévastateurs de cette explosion. Les victimes et leurs familles méritent une justice prompte et indépendante pour la négligence criminelle ayant conduit au stockage fatal du nitrate d’ammonium. Elles méritent aussi des réponses que seule une enquête menée par des experts internationaux est en mesure de délivrer. Une enquête menée par un régime souvent perçu comme corrompu et incompétent aboutirait inévitablement à un nuage toxique d’impunité.

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