Le Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir a continué d’exercer un contrôle total sur le paysage politique rwandais en 2019. Le président Paul Kagame et d’autres hauts représentants du gouvernement ont régulièrement menacé ceux qui critiquaient le gouvernement ou le FPR. Plusieurs membres de l’opposition et un journaliste ont disparu ou ont été retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses. Bien que le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) ait déclaré avoir ouvert des enquêtes sur ces dossiers, rares sont les conclusions qu’il a partagées. En octobre, les forces de sécurité auraient tué 19 personnes qui auraient été impliquées dans une attaque dans le district de Musanze.
Les détentions arbitraires, les mauvais traitements et les actes de torture perpétrés dans des centres de détention officiels et non officiels se sont poursuivis, d’après des sources fiables. Human Rights Watch a continué de documenter la détention illégale et les mauvais traitements infligés aux enfants des rues à Kigali.
Répression politique
Après des années de menaces, de manœuvres d’intimidation, de morts dans des circonstances mystérieuses et de procès à fort retentissement sur la base d’inculpations politiques, rares sont les partis d’opposition qui restent actifs ou commentent publiquement les politiques du gouvernement.
En 2019, trois membres du groupe de l’opposition des Forces démocratiques unifiées (FDU)-Inkingi ont été portés disparus ou retrouvés morts. En septembre, Syldio Dusabumuremyi, le coordinateur national du parti, a été poignardé à mort. Sur le moment, le RIB a annoncé avoir deux hommes en détention. Eugène Ndereyimana, également membre des FDU-Inkingi, a été porté disparu le 15 juillet quand il a manqué d’arriver à une réunion à Nyagatare, dans la province rwandaise de l’Est.
Anselme Mutuyimana, un assistant de Victoire Ingabire, alors présidente des FDU-Inkingi, a été retrouvée mort en mars ; il présentait des marques de strangulation. Le RIB a déclaré avoir lancé des enquêtes sur ces dossiers.
Boniface Twagirimana, le numéro deux du parti, qui a « disparu » de sa cellule de prison à Mpanga, dans le sud du Rwanda, en octobre 2018, était porté disparu au moment de la rédaction des présentes.
En novembre, Victoire Ingabire a annoncé la création d’un nouveau parti, Développement et Liberté pour tous, ou Dalfa Umurinzi, et déclaré aux médias que le parti ferait campagne pour ouvrir l’espace politique et que le développement serait l’une de ses priorités.
Liberté d’expression
L’ingérence de l’État et ses manœuvres d’intimidation ont contraint de nombreux acteurs de la société civile et journalistes à cesser de travailler sur des questions sensibles touchant à la politique ou aux droits humains. La majeure partie de la presse écrite et des médias audiovisuels est restée fortement dominée par les opinions pro-gouvernementales. Les organisations de la société civile indépendantes sont très faibles, et elles sont peu nombreuses à documenter et exposer les atteintes aux droits humains commises par les agents de l’État.
Constantin Tuyishimire, journaliste de la chaîne TV1 Rwanda qui couvre le nord du Rwanda, a été porté disparu en juillet alors qu’il était censé être en reportage dans le district de Gicumbi. Les autorités ont déclaré estimer qu’il s’était probablement enfui en Ouganda à cause de dettes impayées ; ses proches n’ont pas été en mesure de confirmer cette hypothèse.
Le service de la BBC en langue kinyarwanda reste suspendu depuis 2014.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le Rwanda est l’un des seuls pays d’Afrique de l’Est à ne pas criminaliser les relations entre personnes consentantes du même sexe. Lorsque le chanteur de gospel Albert Nabonibo a révélé son homosexualité en août 2019, le ministre des Affaires étrangères de l’époque lui a publiquement fait part de son soutien.
Répression à l’étranger
En septembre, la justice sud-africaine a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de deux Rwandais accusés du meurtre du colonel Patrick Karegeya, dissident rwandais retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel à Johannesburg le 1er janvier 2014. Au cours d’une enquête sur le meurtre de Patrick Karegeya ouverte le 16 janvier 2019 à Johannesburg, le magistrat en chef a demandé pourquoi aucune arrestation n’avait eu lieu alors que les noms et les numéros de passeport de quatre suspects étaient connus de la police. L’unité d’enquête spéciale d’Afrique du Sud a déclaré dans un témoignage écrit que le meurtre de Patrick Karegeya et les attaques contre l’ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise, le général Kayumba Nyamwasa, « étaient directement liés à l’implication du gouvernement rwandais ».
En octobre, une enquête du Financial Times a révélé qu’un logiciel israélien mis au point par le Groupe NSO avait été utilisé pour espionner des dissidents et des détracteurs politiques qui vivent à l’étranger. Ce logiciel espion ciblait des individus par l’intermédiaire des appels WhatsApp et permettait aux pirates d’accéder à des données personnelles sur leur téléphone, telles que des messages ou leur localisation.
Détentions arbitraires, mauvais traitements et actes de torture
Bien que le manque d’accès au pays et aux centres de détention à des fins de recherche rende difficile la documentation des violations, les informations ont continué d’affluer selon lesquelles des gardiens de prison recouraient aux menaces, aux passages à tabac et à des actes d’intimidation à l’encontre des détenus, y compris pour leur arracher des aveux.
Détention illégale dans le centre de transit de Gikondo
Des vendeurs ambulants, des travailleuses du sexe, des enfants des rues et d’autres personnes démunies ont continué d’être détenus au Centre de transit de Gikondo, un centre de détention non officiel où sont envoyées les personnes au « comportement déviant » dans le cadre d’un processus de réhabilitation.
La détention à Gikondo est arbitraire et les conditions y sont dures et inhumaines. Il est fréquent que la police ou d’autres entités, agissant sous les ordres de la police ou avec son consentement, maltraitent ou passent à tabac les détenus. Les enfants sont détenus dans des conditions déplorables et dégradantes. Les autorités ne fournissent souvent pas aux détenus, qui vivent dans la plupart des cas dans des espaces restreints, les besoins de première nécessité, tels qu’un approvisionnement régulier et en quantités raisonnables de nourriture et d’eau potable. Il arrive que les détenus dorment à même le sol.
Le Parlement rwandais a adopté une loi sur les services de réinsertion en mars 2017. Un décret ministériel d’avril 2018 sur les centres de transit prévoit qu’une personne qui « démontre un comportement déviant » puisse être internée, ce comportement étant défini comme notamment la prostitution, la toxicomanie, la mendicité, le vagabondage, la vente ambulante informelle ou tout autre comportement déviant qui nuit à l’intérêt public.
Droits des réfugiés
En février, la Commission nationale des droits de la personne du Rwanda a publié les conclusions de son enquête sur le meurtre d’au moins 12 personnes perpétré en février 2018 lorsque la police a tiré à balles réelles sur des réfugiés originaires de la République démocratique du Congo. Ces réfugiés manifestaient devant le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans le district de Karongi, province de l’Ouest.
Le rapport a conclu que la police « avait recouru à tous les moyens pacifiques et moins nuisibles pour maîtriser la situation » et que finalement « des balles réelles avaient été utilisées en dernier recours après le lancement d’une violente attaque organisée par un groupe de manifestants à l’encontre de la police ». Le rapport de la commission a contredit des récits indépendants, y compris ceux de Human Rights Watch, selon lesquels la police rwandaise avait fait usage d’une force excessive.
La police rwandaise a arrêté plus de 60 réfugiés de février à mai 2018, qu’elle a inculpés de participation à des manifestations illégales, de violences envers les autorités publiques, de rébellion et d’attaque à la force obligatoire des lois. Certains ont également été inculpés de « propagation d’informations mensongères en vue de provoquer l’hostilité de l’opinion internationale vis-à-vis de l’État rwandais ». Human Rights Watch a appris qu’en octobre 2018 et septembre 2019, 35 réfugiés ont été condamnés à des peines allant de trois mois à quinze ans ; 22 ont été libérés, et le procès d’au moins quatre autres se poursuivait au moment de la rédaction du présent rapport.
La plupart des réfugiés, de l’ethnie banyamulenge en RD Congo, pays voisin, se trouvent au Rwanda depuis 1996.
Le gouvernement rwandais, le HCR et l’Union africaine ont signé un accord en septembre pour instaurer un mécanisme de transit permettant de faire sortir les réfugiés de la Libye. Le Rwanda a convenu d’accueillir et de fournir une protection aux réfugiés et aux demandeurs d’asile qui se trouvent actuellement dans des centres de détention en Libye, où ils font l’objet d’exactions et de l’insécurité. En vertu de cet accord, ils seront transférés vers le Rwanda à titre volontaire. En septembre et octobre, 189 personnes, essentiellement originaires de la Corne de l’Afrique, ont été évacuées vers le Rwanda. Le HCR s’est engagé à rechercher des solutions pour les personnes évacuées.
Justice pour le génocide
Vingt-cinq ans après le génocide de 1994, un nombre important de responsables du génocide, y compris d’anciens hauts représentants du gouvernement et autres personnalités clés, ont été traduits en justice.
Ces dernières années, le gouvernement rwandais a sollicité la mise en place de traités d’extradition avec des dizaines de pays, dans une volonté de juger les suspects de génocide restants au Rwanda. En 2018, il a ratifié des traités avec l’Éthiopie, le Malawi et la Zambie. Par ailleurs, le 28 janvier, Vincent Murekezi, suspect de génocide, a été extradé du Malawi vers le Rwanda « dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers ». Il avait été condamné au Malawi pour des délits de fraude.
En mars 2019, la police néerlandaise a arrêté un Rwandais soupçonné d’avoir été impliqué dans le génocide, à l’issue d’une demande d’extradition émanant des autorités rwandaises. D’après une information publiée en août 2019 par un organe médiatique local, les autorités judiciaires rwandaises ont envoyé plus d’un millier de demandes d’extradition de suspects de génocide.
En novembre s’est ouvert dans un tribunal belge le procès Fabien Neretse, un suspect de génocide, accusé d’avoir commis 13 meurtres et d’avoir provoqué un nombre « incalculable » de morts supplémentaires.
Principaux acteurs internationaux
Le rapport 2018 de l’Union européenne sur les droits humains, publié en mai 2019, a conclu qu’il existait « des informations continues relatives à de graves atteintes aux droits civils et politiques ». Lors d’un entretien accordé en juin à la chaîne France 24, le Président Kagame a qualifié ce rapport de « ridicule », balayant du revers de la main les questions relatives au fait que des détracteurs ont été tués, agressés physiquement, emprisonnés, condamnés au silence ou contraints de s’exiler à l’approche de l’élection présidentielle de 2017.
Le Rwanda reste un acteur de premier plan sur la scène internationale. L’ancienne ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo est l’actuelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, une institution internationale chargée de promouvoir le rayonnement de la langue et des valeurs françaises. En février, Kagame a été élu président de la Communauté d’Afrique de l’Est, une organisation intergouvernementale forte de six nations de la région des Grands Lacs. Le Rwanda devrait accueillir la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth en juin 2020.