Skip to main content

Rapport mondial 2015 : Rwanda

Événements de 2014

Le mur d’une maison, parmi beaucoup d’autres dans un village abandonné dans l'est du Rwanda, sur lequel le mot «Tutsi» a été griffonné en grandes lettres. Cette maison est située à quelques kilomètres d'une église où plus de 1 000 personnes ont été massacrées par des miliciens hutus en 1994.

© 1994 Corinne Dufka

Le 20ème anniversaire du génocide de 1994 a été commémoré lors de cérémonies et d'autres événements à travers le Rwanda, ainsi que dans de nombreux autres pays.

Le Rwanda a continué d'accomplir des progrès impressionnants en matière de développement économique et social, mais le gouvernement impose toujours de sévères restrictions aux libertés d'expression et d'association et ne tolère aucune voix dissidente. L'espace politique est extrêmement limité, et la société civile et les médias indépendants demeurent faibles. Les opposants au régime, réels ou supposés, continuent d'être la cible d'attaques, à l'intérieur et à l'extérieur du pays.

Des personnes ont été détenues illégalement pendant plusieurs semaines, voire des mois, par la police ou par l'armée, dans des centres de détention non officiels. Des dizaines de personnes ont été portées disparues. Certaines ont par la suite réapparu en prison après une longue période de détention au secret, mais on est toujours sans nouvelles d'autres.

Opposition politique

Le parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), domine tous les aspects de la vie politique et publique. Les partis d'opposition ne peuvent pas fonctionner de manière significative.

En décembre 2013, la Cour suprême a prononcé en appel une peine de quinze ans de prison contre Victoire Ingabire, présidente du parti d'opposition FDU-Inkingi, qui en 2012 avait été condamnée en première instance à huit ans de prison pour complot visant à porter atteinte au gouvernement et pour déni du génocide. Plusieurs autres membres des FDU-Inkingi, dont son secrétaire général Sylvain Sibomana, ont également été maintenus en prison.

Bernard Ntaganda, le dirigeant du PS-Imberakuri, un autre parti d'opposition, a été remis en liberté en juin après avoir purgé une peine de quatre ans en prison pour atteinte à la sûreté de l’État et divisionnisme.

Le Parti démocratique vert du Rwanda, qui a obtenu en 2013 son enregistrement officiel en tant que parti, a rejoint en avril le Forum consultatif national des organisations politiques. Aucune arrestation n'a été effectuée en ce qui concerne le meurtre du vice-président de ce parti, André Kagwa Rwisereka, en juillet 2010.

Attentats contre des opposants à l'étranger

Le 1er janvier, Patrick Karegeya, ancien chef des services de renseignement extérieurs du Rwanda et opposant en vue du régime en exil en Afrique du Sud, a été trouvé assassiné dans une chambre d'hôtel à Johannesburg. Les autorités sud-africaines ont lancé une enquête, qui était toujours en cours au moment de la rédaction de ce rapport. Karegeya était un membre dirigeant du Congrès national rwandais (Rwanda National Congress, RNC), un groupe d'opposition en exil. D'autres membres du RNC ont également été attaqués et menacés à l'extérieur du Rwanda. Le gouvernement rwandais a démenti toute implication dans ces attaques mais le 12 janvier 2014, le président Paul Kagame a été tout près de cautionner publiquement l'assassinat de Patrick Karegeya lorsqu'il a dit, entre autres choses, que « quiconque trahit le pays en paiera le prix. »

En août, un tribunal sud-africain a déclaré deux Rwandais et deux Tanzaniens coupables d'une tentative d'assassinat visant le général Kayumba Nyamwasa — un ancien militaire de haut rang et membre en vue du RNC — commise en Afrique du Sud en 2010, et les a condamnés en septembre à huit ans de prison. Le tribunal a acquitté deux autres accusés rwandais. Le juge a déclaré que l'attentat était inspiré par des motifs politiques et émanait d'un groupe d'individus au Rwanda.

Organisations de la société civile

Les organisations de la société civile indépendantes demeurent extrêmement faibles en conséquence d'actes d'intimidation et d'infiltration par l'État pendant des années. La seule organisation indépendante et efficace de défense des droits humains existant encore au Rwanda, la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l'homme (LIPRODHOR), a porté plainte en justice pour protester contre une prise de contrôle de ses instances dirigeantes en 2013 par des membres acquis au gouvernement. L'Office rwandais de la gouvernance, organe d'État qui supervise les organisations non gouvernementales nationales, a reconnu la nouvelle équipe dirigeante en 2013. Après de nombreux ajournements, un tribunal de Kigali a statué en août 2014, en se basant sur des arguments de procédure, que la plainte était sans fondement. Les dirigeants évincés de la LIPRODHOR ont interjeté appel.

En septembre, deux agents de police ont été arrêtés dans le cadre de l'enquête sur le meurtre d'un militant anti-corruption, Gustave Makonene. Après avoir tout d'abord nié les accusations de meurtre, les deux suspects ont plaidé coupable lors d'audiences préliminaires, en octobre. Le procès n'avait pas encore commencé au moment de la rédaction de ce rapport. Makonene, qui était coordinateur du Centre de plaidoyer et de consultation juridique de Transparency International Rwanda à Rubavu, dans le nord-ouest du Rwanda, a été trouvé mort en juillet 2013.

En juin, le journal pro-gouvernemental New Times a publié une « évaluation » du travail de Human Rights Watch sur le Rwanda par le ministère de la Justice rwandais, qui déformait de manière flagrante le travail de l'organisation. Entre autres allégations, il accusait Human Rights Watch de soutenir les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé majoritairement de Rwandais, qui opère dans l'est de la République démocratique du Congo et dont certains dirigeants ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.

Médias

Les points de vue pro-gouvernementaux ont encore largement dominé les médias rwandais en 2014. La plupart des journalistes ont été dans l'incapacité de s'engager dans la couverture de sujets sensibles ou réticents à le faire, en raison des menaces, des manœuvres d'intimidation et des poursuites en justice qu'ils ont subies lors des années précédentes. Toutefois, certaines stations de radio diffusent parfois des émissions interactives, lors desquelles les auditeurs peuvent appeler et soulever un éventail plus large de questions et interpeller des dirigeants politiques.

Agnès Uwimana, rédactrice-en-chef du journal Umurabyo, a été remise en liberté en juin après avoir purgé quatre ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État et diffamation, en lien avec des articles publiés dans le journal.

Le 24 octobre, l'Autorité rwandaise de régulation des services publics (Rwanda Utilities Regulatory Authority, RURA) a suspendu les émissions en kinyarwanda de la BBC. La RURA a affirmé avoir reçu des plaintes de la part de membres du public accusant la station de radio et télévision britannique d'incitation, de haine, de division, de déni du génocide et de révisionnisme après la diffusion le 1er octobre d'un documentaire télévisé de la BBC intitulé « Rwanda’s Untold Story » (« L'histoire méconnue du Rwanda »). Le 19 novembre, une commission d'enquête, créée par la RURA et présidée par l'ancien Procureur général Martin Ngoga, a commencé à enquêter sur ces allégations faites contre la BBC. Cette commission devait remettre son rapport dans les trois mois.

Détentions illégales et disparitions forcées

Des dizaines de personnes ont été détenues illégalement au secret au camp militaire Kami et dans d'autres centres de détention, certaines d'entre elles pendant des semaines, voire des mois. Certaines de ces personnes ont été torturées et ont subi des pressions pour qu'elles avouent de prétendus crimes ou pour qu'elles dénoncent d'autres personnes. Certains de ces détenus ont par la suite été jugés pour répondre d'accusations relatives à la sécurité.

Entre mars et la date de la rédaction de ce rapport, au moins 30 personnes ont été portées disparues, dont un grand nombre dans le nord-ouest du Rwanda. Certaines ont été arrêtées par des agents de l'État et emmenées vers des destinations inconnues. Au bout de plusieurs semaines, certaines des personnes disparues ont réapparu entre les mains de la police et ont été transférées dans des prisons civiles. Certaines faisaient partie d'un groupe de 16 personnes qui ont comparu devant un tribunal à Rubavu en juin, où elles étaient accusées d'atteinte à la sûreté de l'État et de collaboration avec les FDLR. Les autorités gouvernementales n'ont ni reconnu leur détention illégale ni donné d'indication sur leur sort lors de la période précédente, ce qui fait de leurs détentions des disparitions forcées. Dans un discours prononcé le 5 juin, le président Kagame a déclaré que les autorités continueraient d'arrêter des suspects et, si nécessaire, abattraient ouvertement ceux qui tenteraient de déstabiliser le pays.

Tout au long de l'année, des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants — dont beaucoup d'enfants des rues, de travailleurs de l'industrie du sexe ou de vendeurs de rue — ont été détenus illégalement, sans procès et sans chef d'accusation, dans des conditions déplorables, dans un centre de détention non-reconnu communément appelé Kwa Kabuga, dans le quartier de Gikondo à Kigali. Beaucoup ont été passés à tabac par la police ou par d'autres détenus en présence de la police.

Procès liés à la sécurité

Le procès de Joël Mutabazi, un ancien garde du corps présidentiel réfugié en Ouganda et rapatrié de force au Rwanda en octobre 2013, et de 15 co-accusés s'est ouvert en janvier devant un tribunal militaire à Kigali. Les accusés étaient inculpés de terrorisme, de meurtre, de formation de groupe armé et d'autres infractions, relatives à leur collaboration prétendue avec le RNC et les FDLR. Mutabazi et plusieurs de ses co-accusés ont déclaré au tribunal qu'ils avaient été torturés et forcés à signer des procès-verbaux. Mutabazi a été déclaré coupable de tous les chefs d'accusation et condamné en octobre à la prison à perpétuité. Treize des autres prévenus ont reçu des peines de prison allant de 3 mois à 25 ans. Les deux derniers ont été acquittés.

Un chanteur bien connu, Kizito Mihigo, un journaliste, Cassien Ntamuhanga, et deux co-accusés, Agnès Niyibizi et Jean-Paul Dukuzumuremyi, ont été arrêtés en avril et accusés, entre autres infractions, de délits à l'encontre de l'État et de complicité dans des actes de terrorisme, pour avoir prétendument collaboré avec le RNC et les FDLR. Le sort de Kizito Mihigo est resté inconnu pendant plusieurs jours avant qu'il ne réapparaisse entre les mains de la police. En novembre, il a fait des aveux complets. Deux de ses co-accusés, Cassien Ntamuhanga et Jean-Paul Dukuzumuremyi, ont plaidé non coupable. Le procès était en cours au moment de la rédaction de ce rapport, et Agnès Niyibizi n'avait pas indiqué si elle plaiderait coupable ou non.

En août, deux officiers militaires de haut rang, le général en retraite Frank Rusagara et le colonel Tom Byabagamba, ont été arrêtés et accusés, entre autres infractions, d'incitation à l'insurrection et au désordre public, et de ternir l'image du pays. Ces accusations sont interprétées comme étant liées à leurs contacts prétendus avec le RNC. Ils ont comparu devant un tribunal militaire aux côtés d'un troisième prévenu, un sergent démobilisé, François Kabayiza. Les trois hommes étaient en attente de leur procès au moment de la rédaction de ce rapport.

Justice relative au génocide

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) devait en principe faire aboutir toutes ses procédures avant la fin de l'année 2014, à l'exception d'une procédure d'appel devant se conclure en 2015. Neuf suspects contre lesquels le TPIR a émis des mandats d'arrêt sont toujours en fuite. Le TPIR et le Mécanisme des Nations Unies pour les tribunaux pénaux internationaux ont lancé une nouvelle initiative en juillet, afin de retrouver ces derniers fugitifs et de les arrêter.

Des procès de ressortissants rwandais suspectés d’implication dans le génocide ont été tenus devant les tribunaux de plusieurs pays, au nom du principe de compétence universelle, et d'autres sont prévus. Dans la première affaire portée en justice en France, devant une unité chargée des crimes de guerre nouvellement créée, un tribunal à Paris a jugé Pascal Simbikangwa, ancien chef des services de renseignement, et l'a condamné en mars à 25 ans de prison pour génocide et complicité de crimes contre l'humanité. En février, un tribunal en Allemagne a condamné un ancien maire rwandais, Onesphore Rwabukombe, à 14 ans de prison pour complicité dans le génocide.

Principaux acteurs internationaux

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, Maina Kiai, s'est rendu en visite au Rwanda en janvier et a exprimé sa préoccupation concernant les restrictions aux activités des organisations non gouvernementales et des partis politiques, entre autres questions. Dans son rapport, remis en juin au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, il a soulevé un certain nombre de préoccupations, parmi lesquelles la prévalence d'une attitude d'opposition à tout débat vigoureux et à la libre expression d'opinions, l'hostilité du gouvernement envers les initiatives pacifiques de ses détracteurs et l'existence d'un cadre juridique qui permet de réduire au silence les voix dissonantes. Le gouvernement rwandais a réfuté plusieurs de ses conclusions.

En janvier, le Département d'État américain a publiquement condamné le meurtre de Patrick Karegeya. Il a exprimé sa préoccupation concernant ce qui apparaît comme une vague de meurtres, inspirés par des motifs politiques, d'exilés rwandais de renom et par les déclarations du président Kagame concernant les « conséquences » auxquelles devraient faire face ceux qui trahissent le Rwanda. Dans un communiqué de presse publié en juin, le gouvernement américain s'est dit préoccupé par les arrestations et les disparitions de dizaines de personnes, ainsi que par la pratique de la détention au secret pour des périodes allant jusqu'à deux mois.