Dans certains domaines, le gouvernement du Premier ministre Justin Trudeau, dont l’année 2024 marque le dixième anniversaire au pouvoir, a progressé dans le respect des droits humains au Canada et à l’étranger, mais dans d’autres, il ne répond toujours pas aux attentes. Parmi les sujets d’inquiétude, on peut citer un racisme systémique et des abus à l’encontre des peuples autochtones, les impacts du changement climatique et une répression transnationale de la part de pays tiers qui menacent les communautés diasporiques.
Droits des peuples autochtones
Dans une décision de justice qui a fait date, la Cour suprême du Canada a conclu qu’aussi bien le gouvernement fédéral que provincial violaient un accord passé il y a 174 ans avec plusieurs Premières Nations de l’Ontario, privant des générations de peuples autochtones d’une juste compensation pour leurs ressources.
Dans un rapport paru en mars, la vérificatrice générale du Canada a détaillé les manquements du gouvernement vis-à-vis de sa responsabilité de pallier les lacunes en matière de services que présentent les programmes de maintien de l’ordre menés par les Premières Nations et les Inuits, ainsi qu’en matière de financement du logement au bénéfice des Premières Nations.
En juin, l’Assemblée des Premières Nations (APN) a publié un rapport d’étape à l’occasion du cinquième anniversaire de la publication du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. D’après ce rapport, seules deux des 231 recommandations de l’Enquête ont été pleinement appliquées et on n’enregistre que peu ou pas d’avancées pour la majorité des autres recommandations.
Dans son budget 2024, le gouvernement Trudeau a promis de consacrer, sur les cinq prochaines années, 6,6 milliards USD (9 milliards CAD) de financements en faveur des communautés autochtones afin de renforcer les services à l’enfance et familiaux, la santé, l’éducation, le logement et les infrastructures communautaires. Pourtant, dans un rapport publié en avril, l’APN estimait qu’il faudrait 254 milliards USD (350 milliards CAD) pour rattraper le retard d’investissement dans les infrastructures des Premières Nations par rapport aux communautés non autochtones, un montant qui englobe entre autres des infrastructures comme le logement, les établissements scolaires, le traitement de l’eau et les routes.
En avril, à la suite d’une visite au Canada, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à l’eau et à l’assainissement a exhorté le gouvernement à lutter contre la discrimination et la marginalisation des communautés autochtones en réglant le problème des avertissements sur la qualité de l’eau (indiquant que l’eau de boisson n’est pas potable), des pollutions toxiques et de la criminalisation des défenseurs du droit à l’eau.
Après sa visite en mai, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, tout en reconnaissant les systèmes positifs mis en place pour prévenir les détentions arbitraires, a exprimé son inquiétude au sujet du « pourcentage disproportionnellement élevé de personnes autochtones dans le système de détention criminelle » au Canada.
En octobre, le Canada a été examiné par le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Le Comité a rapporté que les femmes autochtones n’étaient pas suffisamment et effectivement impliquées dans l’élaboration des politiques d’égalité des sexes, qu’elles rencontraient des obstacles importants pour participer à la vie publique, que les stéréotypes et pratiques nocifs persistaient et que les affaires de violence fondée sur le genre étaient de plus en plus nombreuses et affectaient surtout les femmes autochtones.
La Commission interaméricaine des droits de l’homme a tenu une audience publique en juillet avec des membres de la Première Nation de Grassy Narrows de l’Ontario, qui réclament justice et réparation pour des décennies d’intoxication par le mercure qui a pollué le bassin hydrographique et les pêcheries de la communauté.
Environnement et droits humains
En juin 2024, le gouvernement Trudeau a adopté une loi attendue depuis longtemps qui oblige l’État fédéral à développer une stratégie pour prévenir et lutter contre les effets du racisme environnemental.
Le Canada subit de plein fouet l’impact du réchauffement de la planète, avec notamment des vagues de chaleur plus fréquentes et un recul de la banquise arctique. Stimulé par un climat chaud et sec, les immenses feux de forêt qui avaient traversé le Canada en 2023 ont été suivis par une autre année d’incendies plus importants que la normale, puisque plus de 5 millions d’hectares sont partis en fumée en 2024.
Le Canada demeure un des plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre par habitant, contribuant à la crise climatique et à ses répercussions de plus en plus préjudiciables dans le monde entier. L’extraction de pétrole des gisements massifs de sable bitumineux du Canada est l’une des méthodes de production pétrolière les plus émettrices de carbone et polluantes au monde. Le soutien fédéral et provincial à l’augmentation de la production de carburants fossiles ne tient pas compte de l’obligation, vis-à-vis des droits humains, d’adopter et de mettre en œuvre de solides politiques d’atténuation du réchauffement climatique. En août, le gouvernement Trudeau a annoncé le lancement d’une étude décennale sur les impacts sanitaires et environnementaux à long terme des polluants potentiels dus aux activités d’extraction dans les sables bitumineux de la province d’Alberta.
Certains projets d’extension de la production de pétrole et de gaz rencontrent une résistance importante, notamment lorsqu’ils sont transportés en traversant les terres des Premières Nations. Par exemple, les chefs héréditaires de la Nation autochtone Wet’suwet’en s’opposent depuis longtemps à la construction d’un pipeline de gaz naturel à travers leurs terres, dans le centre de la Colombie-Britannique. En juillet 2024, le chef Dsta’hyl de la Nation Wet’suwet’en est devenu la première personne au Canada à être qualifié par Amnesty International de prisonnier d’opinion suite à sa condamnation à 60 jours d’assignation à résidence, après avoir été reconnu coupable d’outrage criminel alors qu’il manifestait pacifiquement contre la construction du pipeline Coastal GasLink.
Répression transnationale
En mai, une enquête publique sur les ingérences étrangères dans les élections canadiennes a publié un rapport initial qui constatait que l’ingérence de l’étranger portait atteinte au droit des électeurs de jouir d’un processus électoral « libre de toute coercition et de toute influence secrète ». À la suite de la publication du rapport, une nouvelle législation (le projet de loi C-70) a été proposée, créant un registre obligatoire des personnes se livrant à des « activités d’influence » au nom d’États étrangers et conférant au Service canadien du renseignement de sécurité des pouvoirs étendus pour lutter contre ces menaces. En juin, le Sénat a adopté la loi C-70 sans amendements, malgré les inquiétudes exprimées par des groupes de défense des libertés civiques sur le fait que les dispositions de cette loi « auraient un impact significatif sur les droits et libertés des personnes au Canada ».
L’enquête concluait que « si toute la population canadienne est victime de l’ingérence étrangère, ses effets se font sentir de manière particulièrement marquée dans certaines communautés issues des diasporas ». L’enquête publique recueillait des témoignages de représentants des communautés diasporiques chinoise, russe, iranienne, sikh et ouïghour au Canada qui avaient subi en personne des actes de répression transnationale. En mai, à la suite de l’annonce de l’adoption de la loi C-70 par le gouvernement, les groupes représentant les diasporas ont déclaré que le registre des influences étrangères qu’elle proposait était une mesure qui aurait dû être prise depuis longtemps pour apaiser les inquiétudes de leurs communautés.
Responsabilité des entreprises
Le gouvernement Trudeau a pris des mesures pour lutter contre l’impunité des abus commis par les entreprises canadiennes à l’étranger, mais doit encore adopter une législation pour les obliger à faire preuve de diligence en matière de droits humains. Le gouvernement Trudeau s’est engagé à nouveau, à travers son budget 2024, à introduire une législation visant à éliminer tout travail forcé des chaînes d’approvisionnement canadiennes et à renforcer l’interdiction d’importer des produits fabriqués par une main-d’œuvre contrainte.
Le Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises a exhorté le gouvernement à veiller à ce que cette législation exige des sociétés d’accomplir leur devoir de diligence afin de prévenir des atteintes aux droits humains, de donner aux communautés affectées les moyens de porter plainte devant la justice canadienne et de mettre en application tout l’éventail des droits humains. L’adoption de la loi S-211, qui est entrée en vigueur en janvier 2024, oblige seulement le gouvernement à mettre en place un système obligeant les entreprises et entités publiques canadiennes à rapporter publiquement les faits relevant du travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement.
En réponse à un rapport parlementaire sur l’impact de l’exploitation minière sur l’environnement et les droits humains, le gouvernement a annoncé en février qu’il allait évaluer « l’efficacité et les avancées réalisées à ce jour » de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE). En mars, l’OCRE a publié son premier rapport final depuis que ses services ont commencé à recevoir des plaintes contre des sociétés canadiennes du secteur extractif et de l’habillement, en 2021.
Lors d’une visite au Canada en juillet, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains a appelé le gouvernement Trudeau à renforcer la réglementation et le contrôle des entreprises extractives canadiennes ayant des activités à l’étranger. Elle a par ailleurs critiqué le gouvernement fédéral qui, selon elle, n’a pas conféré à l’OCRE des pouvoirs d’enquête suffisants.
Dans son rapport de juillet au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavage concluait que le Programme des travailleurs étrangers temporaires du Canada donnait lieu à de multiples abus et qu’il constituait un terreau fertile pour des formes contemporaines d’esclavage.
Réfugiés, demandeurs d’asile et migrants
Des personnes placées en détention migratoire, y compris des personnes handicapées et demandeuses d’asile, continuent à être régulièrement menottées et enchaînées au Canada. La détention migratoire n’étant soumise à aucune limite de temps, elles peuvent y rester, y compris en étant placées à l’isolement, pendant des mois voire des années.
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) demeure le seul service majeur des forces de l’ordre du pays à ne pas faire l’objet d’une supervision civile indépendante. Le gouvernement fédéral a présenté une législation relative à sa supervision, mais elle n’a pas encore été adoptée. L’exercice incontrôlé par l’ASFC de son large mandat et de ses vastes pouvoirs d’application de la loi a entraîné de graves violations des droits humains dans le contexte de la détention liée à l’immigration, notamment un placement prolongé à l’isolement dans des prisons de sécurité maximale, la détention d’enfants et la séparation de familles, le placement indéfini en détention et le fait de priver de leur capacité juridique des personnes ayant des problèmes de santé mentale.
L’ASFC disposait traditionnellement d’une grande latitude pour placer les gens dans des centres de rétention pour migrants, des prisons provinciales ou d’autres structures carcérales. En mars, une importante victoire s’est produite pour les droits des personnes migrantes et des réfugiées : la totalité des dix provinces du Canada se sont engagées à mettre fin aux accords et dispositions sur la détention de migrants dont elles avaient convenu avec le gouvernement fédéral. Cela signifie que l’ASFC n’aura plus le pouvoir d’incarcérer les demandeurs d’asile et les migrants dans les prisons provinciales pour des motifs purement migratoires. En réaction, le gouvernement fédéral a adopté une législation visant à augmenter la détention liée à l’immigration dans les prisons fédérales.
Le gouvernement canadien a par ailleurs rencontré des difficultés en 2024 pour mettre en œuvre de nouveaux programmes de réinstallation visant à donner refuge à des personnes fuyant les conflits qui ont de la famille au Canada. En raison des délais de traitement trop longs, des obstacles pécuniaires et des barrières physiques pour procéder à la collecte des données biométriques dans les pays voisins, ces programmes accusent souvent des retards importants. Un programme de regroupement familial lancé en février et autorisant des citoyens canadiens et des résidents permanents à parrainer des membres de leur famille au Soudan n’avait, au mois d’octobre, toujours pas permis à une seule personne d’entrer dans le pays.
En septembre, pas plus de deux centaines de Palestiniens étaient arrivés au Canada grâce à un programme spécial lancé en janvier ; la plupart avaient dû payer des sommes exorbitantes pour pouvoir franchir la frontière jusqu’en Égypte avant de parvenir au Canada. En mai, le gouvernement a annoncé qu’il rehausserait le plafond de son système extrêmement critiqué de visa temporaire destiné aux Palestiniens, pour passer de 1 000 à 5 000 visas. Le plafond des réinstallations et le formulaire de demande de visa réservé aux Palestiniens ont été jugés discriminatoires par les organisations de la société civile, notamment, concernant le formulaire, parce qu’il comprenait des questions sur les blessures et cicatrices du demandeur, ses comptes sur les médias sociaux, son parcours professionnel depuis l’âge de 16 ans et des informations sur tous les membres de sa belle-famille.
Lutte contre le terrorisme
Une fois de plus, en 2024 le Canada n’a pas pris suffisamment de mesures pour porter assistance et rapatrier les hommes, femmes et enfants canadiens illégalement détenus dans le nord-est de la Syrie, dans des camps fermés et des prisons situés en plein désert et réservés aux personnes suspectées d’appartenir à l’État islamique et à leurs familles. À l’heure où nous écrivons, au moins vingt ressortissants canadiens y demeuraient, aucun n’ayant été inculpé d’un crime, ni présenté devant un juge pour examiner la légalité et la nécessité de sa détention, ce qui fait que leur détention est à la fois arbitraire et illégale.
En mai, Affaires mondiales Canada a annoncé que six enfants canadiens étaient rapatriés depuis des camps du nord-est de la Syrie. D’après l’avocat de la famille, cependant, leur mère est restée en Syrie, ayant été écartée lors des vérifications de sécurité.
À ce jour, le Canada n’a rapatrié aucun des hommes canadiens détenus en Syrie, dont certains sont maintenus depuis plus de sept ans dans des conditions de détention difficiles, voire dangereuses pour leur vie. En mars, quatre hommes canadiens ont appelé la Cour suprême à reconsidérer sa décision de 2023 de ne pas examiner leur requête remettant en question un jugement d’une cour d’appel fédérale qui absolvait le gouvernement de toute obligation de les rapatrier.