La situation en Afghanistan en matière de droits humains s’est encore aggravée en 2024, les talibans ayant intensifié leurs violations, en particulier à l’égard des femmes et des filles. L’Afghanistan est toujours le seul pays au monde où les filles et les femmes se voient interdire l’accès au cycle scolaire d’enseignement secondaire et aux universités, tout en se heurtant également à d’importants obstacles en matière d’emploi et à des restrictions de leurs libertés de déplacement, de réunion et d’expression. Par ailleurs, les talibans ont arrêté des journalistes et des détracteurs du gouvernement et imposé de sévères restrictions à l’activité des médias. La crise économique que connaît l’Afghanistan a rendu 23 millions de personnes dépendantes d’une assistance humanitaire, affectant les femmes et les filles de manière disproportionnée.
Droits des femmes et des filles
Par des décrets qu’ils ont émis, les talibans ont violé les droits des femmes et des filles à l’éducation, à l’emploi, et aux libertés de déplacement et d’expression. Les talibans ont également démantelé les protections pour les femmes et les filles ayant subi des violences sexistes, ont créé des obstacles discriminatoires à leur accès aux soins de santé et leur ont interdit de pratiquer des sports et de visiter des parcs. Leur imposition de règles strictes concernant le port du hijab et la présence à leurs côtés de mahram (tuteurs masculins) a empêché des femmes de se déplacer pour aller travailler ou pour recevoir des soins médicaux.
En août, les talibans ont annoncé une nouvelle loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice, qui interdit aux femmes de voyager ou d’utiliser les transports publics sans être accompagnées d’un tuteur masculin. En vertu de cette loi, les femmes et les filles sont contraintes de couvrir leur visage en public et n’ont pas le droit de chanter en public, ni de laisser entendre leur voix en dehors de leur domicile.
Les talibans ont également arrêté des femmes et des filles pour ne pas s’être conformées au code vestimentaire qu’ils ont imposé. Des experts des Nations unies ont signalé que certaines d’entre elles ont été détenues au secret pendant plusieurs jours et soumises à des « violences physiques, à des menaces et à des actes d’intimidation. »
Le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, Richard Bennett, a décrit « un système institutionnalisé de discrimination, de ségrégation, de non-respect de la dignité humaine et d’exclusion visant les femmes et les filles. » En septembre, les talibans ont interdit à Richard Bennett de se rendre en visite en Afghanistan.
Crises économique et humanitaire
Plus de la moitié de la population de l’Afghanistan — soit 23,7 millions de personnes — ont eu besoin d’une aide humanitaire d’urgence en 2024, dont 12,4 millions qui se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire et 2,9 millions déjà parvenus à des niveaux de quasi-famine. Jusqu’au mois de novembre, le Plan de réponse humanitaire de l’ONU n’avait reçu que 31 % des fonds nécessaires et certains programmes humanitaires avaient dû être suspendus à cause de ce manque de ressources. La réduction de l’aide étrangère a gravement nui au système de santé afghan et a exacerbé la malnutrition et les maladies résultant de soins médicaux inadéquats.
Les femmes et les filles ont été affectées de manière disproportionnée par la crise du système de santé. L’interdiction pour les femmes d’avoir un emploi, décrétée par les talibans, et les restrictions qu’ils ont imposées à leurs déplacements hors de leur domicile ont aggravé la crise en créant des obstacles discriminatoires supplémentaires à une distribution et une réception équitables de l’aide internationale. Les interdictions en matière d’éducation pour les filles et les femmes ont aussi mené à une pénurie de personnel de santé féminin.
Parmi les personnes les plus affectées par la crise du système de santé se trouvent les personnes handicapées. Du fait de la réduction des aides, les rares services qui étaient disponibles pour les personnes handicapées, notamment dans les domaines de la rééducation physique et du soutien psychologique, ont dans une large mesure disparu depuis que les talibans ont pris le pouvoir en 2021.
Meurtres extrajudiciaires, disparitions forcées et tortures
Dans deux rapports couvrant le premier et le deuxième trimestres de 2024, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a documenté 98 cas dans lesquels les talibans se sont livrés à des arrestations et à des mises en détention arbitraires, et 20 cas de torture ou de mauvais traitement d’anciens responsables ou membres du personnel de sécurité du précédent gouvernement. Neuf membres des forces de sécurité de l’ancien gouvernement ont été tués. La MANUA a également reçu des informations selon lesquelles des personnes qui avaient été contraintes de retourner en Afghanistan en provenance du Pakistan ont aussi subi des tortures, de mauvais traitements et d’autres formes de sévices. Les autorités talibanes ont infligé des châtiments corporels, y compris les flagellations en public de 147 hommes, 28 femmes et quatre garçons.
Les personnes LGBT en Afghanistan ont subi des persécutions et des mauvais traitements qui pourraient équivaloir à des tortures à cause de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
Attaques contre les médias et la société civile
Les talibans ont restreint la liberté d’expression et les activités des médias et ont arrêté arbitrairement et torturé des journalistes et d’autres détracteurs du gouvernement. En septembre, ils ont interdit les diffusions en direct de programmes à caractère politique, ainsi que les critiques à leur égard, et limité les possibilités d’entretiens avec des responsables en établissant une liste préapprouvée de ceux-ci.
Les talibans ont continué d’arrêter arbitrairement des employés des médias en 2024, les maintenant habituellement en garde à vue pendant plusieurs jours. Le 4 mai, ils ont arrêté un journaliste dans la province de Parwan sous l’accusation d’avoir communiqué des informations aux médias de la communauté afghane en exil. Il a été remis en liberté au bout de trois jours. Le 17 février, Mansoor Nekmal, rédacteur en chef de Khaama Press, a été arrêté à propos d’informations sur la mise en application du décret sur le hidjab à Kaboul. Il a été remis en liberté le lendemain. Le 10 février, Saifullah Karimi, journaliste de l’Agence Pajhwok, a été arrêté après avoir sollicité un entretien avec un responsable taliban au sujet de manifestations de propriétaires de restaurants et d’hôtels protestant contre des hausses d’impôts. Il a été libéré deux jours plus tard. Le 18 janvier, Jawad Rasouli et Abdul Haq Hamidi, du Centre de surveillance des médias Gardesh-e Etilat, ont été arrêtés, puis relâchés ; le 17 janvier, Ehsan Akbari a été arrêté à Kaboul et remis en liberté le 25 janvier. Dans la plupart de ces cas, les autorités talibanes n’ont fourni aucune information sur les motifs des arrestations ou sur le point de savoir si les personnes en garde à vue seraient jugées ou non. Les détenus ont également été privés d’accès à des avocats ; dans la plupart des cas, même les membres de leur famille n’ont pas été autorisés à leur rendre visite.
Le 26 septembre, Jawed Kohistani, un analyste politique bien connu, a été arrêté à Kaboul par les services de renseignement des talibans, puis remis en liberté le 15 octobre.
Réfugiés afghans
Plus de 665 000 réfugiés afghans ont été contraints de retourner en Afghanistan lorsque le Pakistan a lancé, fin 2023, une campagne d’intimidation, d’arrestations et d’expulsions visant les « étrangers en situation illégale. » Beaucoup d’entre eux vivaient au Pakistan depuis des décennies ou y étaient nés. Ceux qui sont arrivés en Afghanistan ont été confrontés à de graves difficultés économiques, ainsi qu’à un manque de logements et d’accès aux écoles.
La réinstallation de demandeurs d’asile et de réfugiés afghans aux États-Unis, au Royaume- Uni, en Allemagne, au Canada et dans d’autres pays a été lente et limitée, laissant des milliers d’Afghans qui avaient fui les talibans dans l’impasse en Iran, au Pakistan, en Turquie, aux Émirats arabes unis et dans d’autres pays.
En juillet, le Royaume-Uni a annoncé un changement de politique, créant un itinéraire administratif destiné à permettre à certains Afghans de se regrouper avec les membres de leur famille qui avaient été évacués vers le Royaume-Uni après août 2021. Toutefois, de graves problèmes sont apparus dans les programmes britanniques de relocalisation et de réinstallation, avec pour résultat que, trois ans plus tard, de nombreux Afghans exposés à des risques, y compris des femmes et des enfants, n’ont toujours pas de voie sûre pour une réinstallation au Royaume-Uni.
Attaques contre les civils
L’État islamique de la province de Khorasan (Islamic State Khorasan Province, ISKP), la branche afghane de l’État islamique (EI), a perpétré plusieurs attaques qui ont blessé et tué des civils contre les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Hazara, ainsi que contre les talibans. Le 18 mai, l’ISKP a publié une déclaration dans laquelle il menaçait les organisations non gouvernementales, les médias et les organismes d’assistance étrangers.
Le 12 septembre, l’ISKP a revendiqué la responsabilité des meurtres de 14 hommes dans la province de Daikundi. Ces meurtres ont été commis dans un district frontalier reculé entre les provinces de Daikundi, dont la population est majoritairement Hazara, et de Ghor. L’ISKP a revendiqué une attaque perpétrée le 29 avril, dans laquelle un homme armé a ouvert le feu sur des fidèles rassemblés à l’intérieur de la mosquée chiite Sahib-u-Zaman dans le district de Guzara, dans la province de Herat, tuant six personnes. Le 6 janvier, l’ISKP a revendiqué une autre attaque contre un autobus dans le secteur de Dasht-e Barchi, un quartier de Kaboul majoritairement Hazara, qui a fait au moins 5 morts et 20 blessés.
Le 2 septembre, l’ISKP a commis un attentat-suicide devant le siège du ministère public des talibans, tuant au moins 21 personnes, des civils pour la plupart.
Des tirs effectués en mai à travers la frontière par les forces de sécurité pakistanaises ont fait 25 victimes parmi les civils, dont neuf morts. Des frappes aériennes effectuées par l’armée pakistanaise dans les provinces de Khost et de Paktia ont tué huit civils en mars.
Justice et obligation de rendre des comptes
En septembre, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a présenté un rapport sur l’Afghanistan, dans lequel il souligne combien il importe de traiter le problème posé par des décennies de conflit et d’impunité pour des violations généralisées des droits humains et a spécifiquement mentionné la nécessité que les États impliqués dans des interventions militaires dans le passé prennent leurs responsabilités en ce qui concerne les violations commises par leurs compatriotes.
En 2024, aucun progrès n’a été signalé dans le premier dossier relatif à un crime de guerre instruit contre un militaire accusé du meurtre d’un civil afghan en 2012. Une enquête britannique indépendante sur des abus présumés commis par les forces spéciales du pays lors d’opérations en Afghanistan entre 2010 et 2013 s’est poursuivie en 2024.
Le 25 septembre, l’Allemagne, l’Australie, le Canada et les Pays-Bas ont annoncé qu’ils allaient engager une procédure judiciaire collective contre l’Afghanistan devant la Cour internationale de justice, affirmant que la discrimination systématique et les violences sexistes des talibans constituaient des violations des obligations de l’Afghanistan au regard de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, que l’Afghanistan a ratifiée en 2003. Ce serait la première fois qu’une telle plainte serait déposée devant la Cour en vertu de ce traité.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté en octobre une résolution dans laquelle il souligne la nécessité d’intensifier les efforts internationaux pour faire rendre des comptes pour des abus commis, y compris dans le passé, notamment grâce à la collecte et à la préservation de preuves, mais il n’a pas créé un mécanisme qui puisse fonctionner en soutien de ces efforts.