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Soudan

Événements de 2021

Des Soudanais protestant contre le coup d’État manifestent dans la « 40e Rue » de la ville d’Omdurman, située près de la capitale, Khartoum, le 25 novembre 2021. Leur banderole proclame « Darfour, notre révolution est pacifique ».

© 2021 AFP via Getty Images

La deuxième année de la transition démocratique au Soudan a été entachée d’instabilité politique, ce qui a ralenti le rythme des réformes en matière de droits humains et d’état de droit, ainsi que par une situation économique inquiétante ajoutant à l’insatisfaction de la population. Le gouvernement a échoué à mettre en œuvre les réformes institutionnelles et juridiques clés stipulées par la charte constitutionnelle d’août 2019, notamment la mise en place d’un Conseil législatif de transition et de commissions chargées de la paix, de la justice transitionnelle et de la lutte contre la corruption. En juin, en réponse aux critiques croissantes, le Premier ministre Abdallah Hamdok a exposé des plans visant à s’attaquer à la « crise politique nationale » et mettant l’accent sur la nécessité de réformer le secteur de la sécurité. Le 21 septembre, les autorités ont annoncé qu’une tentative de coup d’État avait été écrasée à Khartoum. Le Premier ministre a affirmé que des officiers proches de l’ancien président Omar el-Béchir étaient impliqués.

En dépit des progrès dans huit affaires de meurtres de manifestants impliquant les forces gouvernementales, justice n’a pas été rendue, dans l’ensemble, pour les graves abus des représentants de l’État, à cause de la large immunité dont ils bénéficient, du manque apparent de volonté de traduire ces affaires en justice et de l’absence de stratégies claires en vue de poursuites judiciaires. Les responsables du gouvernement ont réaffirmé l’engagement qu’ils avaient déjà exprimé de coopérer avec la Cour pénale internationale (CPI) et le Cabinet des ministres a accepté, en juin, de remettre des suspects à la Cour. Cependant, le Cabinet et le Conseil souverain, qui comprend des chefs militaires, doit examiner cette décision lors d’une réunion mixte dont la date n’a pas encore été fixée. Une incertitude demeure autour de l’approbation des transferts par le Conseil souverain, même si le gouvernement a l’obligation de le faire vis-à-vis de la communauté internationale.

Alors que le gouvernement s’était engagé à protéger les civils au Darfour après le départ de l’opération hybride de maintien de la paix des Nations Unies et de l’Union africaine (UNAMID) en décembre 2020, les violences se sont poursuivies dans cette région, avec une nette augmentation dans le Darfour-Occidental. Des tueries y ont eu lieu, ainsi que des déplacements massifs de civils et des destructions de biens civils. En 2020, le Conseil de sécurité des Nations Unies a mis en place la Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan (MINUATS), une mission qui est chargée d’appuyer la transition politique dans tout le pays, mais n’a aucun mandat pour apporter une protection physique aux personnes.

Les réformes du secteur de la sécurité, comme le fait de vérifier le cas des membres des appareils de sécurité suspectés de crimes, et de les en retirer si nécessaire, n’ont pas réussi à avancer. Les progrès de l’application de l’Accord de paix de Juba, signé en octobre 2020 entre le gouvernement et plusieurs groupes rebelles, qui prévoyait notamment l’intégration des forces rebelles à l’armée du pays et la formation de forces conjointes pour le Darfour, ont été lents.

À cause des conflits dans les régions éthiopiennes du Tigré et de l’Amhara, on comptait en août 2021 plus de 55 000 Éthiopien·ne·s réfugié·e·s dans l’est du Soudan.

Le 25 octobre, les militaires à la tête du gouvernement de transition ont effectué un coup d’État, arrêtant des responsables civils et dissolvant le gouvernement de transition. Des manifestants sont descendus dans la rue pour exprimer leur refus de ce coup d’État. Les forces de sécurité ont violemment réagi en utilisant une force létale, en plaçant des manifestants et des leaders politiques en détention et en bloquant l’accès à Internet pendant presque trois semaines.

Le 21 novembre, un accord a été signé entre l’armée et le Premier ministre, désormais rétabli dans ses fonctions, mettant fin à son assignation à résidence et l’autorisant à former un nouveau gouvernement de « technocrates ». Cet accord a été rejeté par des manifestants et plusieurs partis politiques.

Conflits et abus au Darfour et dans l’est du Soudan

En janvier, à El-Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, des milices armées arabes ont lancé des attaques contre des personnes déplacées internes de groupes ethniques africains, notamment Massalit, faisant environ 150 morts.

Entre les 4 et 8 avril, un autre cycle d’attaques à El-Geneina a tué plus de 120 civils d’après des médecins locaux, en a déplacé des milliers et a détruit des milliers de foyers. Certaines forces gouvernementales se sont rangées dans le camp des assaillants armés, tandis que d’autres ont failli à leur devoir d’intervenir. D’après l’ONU, 65 000 personnes ont été déplacées par les combats, environ 2 000 d’entre elles s’étant réfugiées dans le Tchad voisin.

En mai, l’État de Mer Rouge, dans l’est du Soudan, a connu une nouvelle flambée de violences intercommunautaires qui ont fait cinq morts et treize blessés, d’après les médias publics.

Répression en cours à l’encontre des manifestants

Les groupes ont organisé des manifestations à Khartoum et dans d’autres villes pour protester contre la situation économique et le retard des réformes. Le 30 juin, la police s’est servie de gaz lacrymogène pour disperser des manifestations contre les réformes économiques ayant entraîné une hausse des prix.

Le 11 mai 2021, les forces armées soudanaises ont fait usage d’une force excessive et létale contre des manifestants pacifiques rassemblés à Khartoum, causant deux morts. Ces manifestations entendaient honorer la mémoire des victimes de la répression mortelle du sit-in du 3 juin à Khartoum en 2019. Après l’arrestation de 99 soldats qui a été rapportée, dont au moins sept ont été inculpés, l’armée a transmis les conclusions de son enquête au procureur général d’alors. Si cette affaire a connu de nouvelles avancées, elles n’ont du moins pas été rendues publiques.

Le 1er septembre, les forces de sécurité ont également tué un étudiant à Zalingei, dans le Darfour du Sud, lors de manifestations estudiantines contre le refus des forces de sécurité de restituer un bâtiment vacant de l’UNAMID, promis à l’université.

En réponse aux récentes manifestations protestant contre le coup d’État, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive, voire létale, à l’encontre des manifestants. Entre le 25 octobre et le 21 novembre, 42 personnes ont été tuées à Khartoum, dont cinq enfants et une femme. Dans la seule journée du 17 novembre 2021, seize personnes ont été tuées par balles, dont une femme et un enfant. Il s’agissait de la riposte la plus meurtrière à ce jour en 2021.

Obligation de rendre des comptes

En dépit des appels actuels à la justice pour les crimes graves, l’établissement des responsabilités des atrocités n’a pas beaucoup avancé.

Selon le bureau du procureur général, huit affaires portant sur des meurtres de manifestants ont été recommandées pour être jugées par les tribunaux cette année. À l’heure où nous écrivons, deux procès criminels étaient en cours à Khartoum et trois à Atbara, ville située dans l’État du Nil dans le nord du Soudan, dans le cadre desquels des membres des forces de sécurité étaient jugés pour meurtre et crime contre l’humanité.

En juillet, un tribunal de l’État de Nil Blanc a condamné à mort un agent de police pour avoir tué un enfant lors des manifestations de décembre 2018. Dans le même État, en août, un autre tribunal a condamné un agent de police pour le meurtre d’un manifestant le 21 décembre 2018. Le 24 mai, un tribunal de Khartoum a condamné à mort un agent des Forces de soutien rapides (FSR) pour le meurtre d’un manifestant de 22 ans, commis le 3 juin 2019. Un tribunal d’El-Obeid, dans le Kordofan du Sud, a également condamné à mort six soldats des FSR pour le meurtre de quatre étudiants lors d’une manifestation de 2019.

La commission chargée d’enquêter sur la dispersion violente des manifestations du 3 juin à Khartoum, lors desquelles plus de 120 personnes ont été tuées, n’a pas publié ses conclusions. Les familles des victimes et des activistes ont critiqué ce retard. Le chef de la commission a déclaré qu’il avait demandé un appui technique à l’Union africaine pour analyser des séquences vidéo, mais que celle-ci avait répondu qu’il lui manquait les ressources et experts nécessaires pour apporter cette assistance.

Les médias ont rapporté que plus de 150 corps avaient été découverts en avril dans une morgue près de Khartoum, ce qui suscité, chez les activistes et les familles de personnes disparues, des interrogations vis-à-vis d’une possible tentative des autorités d’obstruer la justice et de faire disparaître des preuves.

Le 24 mai, les juges de la CPI ont confirmé les accusations à l’encontre d’Ali Mohamed Ali, dit Ali Kosheib (ou Kushayb), un ancien chef Janjawid qui s’est rendu en 2020. La Cour a annoncé que son procès démarrerait le 5 avril 2022.

Quatre suspects recherchés par la CPI pour des accusations de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour, y compris l’ex-président el-Béchir, sont toujours fugitifs du point de vue de la Cour, bien que trois d’entre eux soient actuellement détenus par les autorités soudanaises.

En juin, la Procureure de la CPI d’alors, Fatou Bensouda, a visité le Darfour pour la première fois. Lors d’une visite effectuée en août, le nouveau Procureur, Karim A.A. Khan, a signé un nouveau protocole d’entente avec les autorités afin de mieux avoir accès au Soudan et de garantir une coopération sur toutes les affaires pour lesquelles des mandats d’arrêt ont été émis, suivant un protocole d’entente qui avait été signé spécifiquement pour coopérer dans l’affaire Kosheib. Le même mois, le Cabinet des ministres a accepté de remettre à La Haye les suspects en détention recherchés par la CPI, dont l’ex-président el-Béchir.

Par ailleurs el-Béchir est actuellement jugé au Soudan, aux côtés de 27 autres anciens responsables, accusé d’avoir porté atteinte à l’ordre constitutionnel lors du coup d’État ayant renversé en 1989 le dernier gouvernement soudanais élu.

Aucune avancée n’a été constatée dans la mise en place du Tribunal pénal spécial pour le Darfour, qui était prévu par l’Accord de Juba signé en octobre 2020.

Autres réformes

Le 11 janvier, l’ancien procureur général a émis une instruction limitant aux policiers et aux procureurs le pouvoir d’arrêter et de détenir des civils et proclamant que toute arrestation effectuée par des agents des services de renseignements ou de l’armée serait considérée comme illégale. Cette mesure est survenue après qu’une personne détenue a été tuée par les FSR en décembre 2020 et que des activistes sont descendu·e·s dans la rue pour appeler à mettre fin aux abus des FSR.

Le 23 février, lors d’une réunion mixte du Cabinet et du Conseil souverain (qui exerce le pouvoir législatif en l’absence d’un corps législatif transitionnel), la ratification aussi bien de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées que de la Convention des Nations Unies contre la torture a été approuvée.

Le 24 avril, la réunion mixte a approuvé des lois sur la formation de commissions sur la paix, la justice transitionnelle et la lutte contre la corruption.

Le Cabinet des ministres a également approuvé une loi portant ratification du Statut de Rome de la CPI le 3 août. Pour entrer en vigueur, cette ratification nécessite l’approbation de la réunion mixte.

Détention illégale

Alors que l’armée effectuait le coup d’État, les forces de sécurité ont raflé des dizaines de personnes à Khartoum et aux alentours, dont au moins 30 responsables civils, qui ont été placés en détention dans des lieux non révélés, sans aucun accès à leur famille ni à leur avocat. Dans le cadre de l’accord du 21 novembre, un certain nombre de personnes détenues ont été libérées. Au moins sept détenus, dont un ancien ministre, ont été inculpés de sédition et maintenus en détention, d’après leurs familles.

Orientation sexuelle, identité de genre

La loi pénale soudanaise de 1991, dans son Article 148, continue à pénaliser la sodomie d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre la perpétuité, tandis que l’Article 151 prévoit jusqu’à un an de prison pour les « actes indécents », y compris entre femmes.

Principaux acteurs internationaux

Le 6 janvier, le Soudan et les États-Unis ont signé un accord normalisant ses relations avec Israël. Cela faisait suite à la décision des États-Unis de lever leurs sanctions contre le Soudan en 2020.

Le 17 mai, la France a organisé une conférence de donateurs pour soutenir la transition au Soudan, à laquelle ont assisté des chefs de gouvernements d’États africains, de l’Union européenne et du Golfe, ainsi que des institutions financières internationales et régionales. Axée sur la crise économique du pays, elle a assuré au Soudan des contributions internationales sous forme d’allègement de dettes et de planification d’investissements futurs.

En juin, le Fonds monétaire international (FMI) a octroyé au Soudan un prêt de 2,5 milliards USD. En mars, le FMI et la Banque mondiale ont approuvé la requête du Soudan de voir sa dette allégée dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), qui a exigé du gouvernement d’adopter des réformes économiques drastiques supervisées par le FMI, notamment l’élimination des subventions aux carburants et l’introduction d’une réforme des taux de change.

Des pourparlers facilités par l’UA se sont tenus à Kinshasa entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie au sujet du grand barrage éthiopien de la Renaissance (GERD), sans succès. Le Soudan a déclaré qu’il ne prendrait part à aucune nouvelle négociation sous l’égide de l’UA tant que les experts et les observateurs ne se voyaient pas accorder un rôle plus important. En septembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a émis un communiqué dans lequel il encourage le Soudan et les autres parties à reprendre les négociations.