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Égypte

Événements de 2021

Un membre des forces de sécurité de l’agence de renseignement égyptienne monte la garde près d’un portrait géant du président Abdel Fattah al-Sissi, le 31 mai 2021.

© 2021 Mahmud Hams/AFP via Getty Images

En 2021, les autorités ont intensifié le recours aux tribunaux d'urgence de la sûreté de l'État abusifs pour poursuivre les activistes ainsi que les critiques pacifiques qui ont rejoint des milliers de dissidents se trouvant déjà dans les prisons surpeuplées d'Égypte. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort lors de procès collectifs, ce qui s'est ajouté au nombre d'exécutions en forte augmentation.    

En janvier, le gouvernement a publié des règlements d'application de la loi de 2019 sur les ONG qui ont codifié des restrictions draconiennes sur les organisations indépendantes. Les autorités n'ont pas mené d'enquête appropriée sur un viol collectif très médiatisé, et des témoins clés restent soumis à des interdictions de voyager extrajudiciaires après avoir été emprisonnés pendant des mois en représailles apparentes pour s'être manifestés.     

L'armée a continué d'imposer de sévères restrictions aux déplacements et de démolir des centaines de bâtiments dans le nord du Sinaï au nom de la lutte contre Wilayat Sina', une filiale locale de l'État islamique (également connu sous le nom d'ISIS). Ces démolitions sont susceptibles de constituer des crimes de guerre.    

La crise prolongée des droits humains en Égypte sous le gouvernement du président Abdel Fattah al-Sissi a fait l'objet de rares critiques internationales au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.    

Abus commis par des membres de la police et des forces de sécurité

En 2021, des agents de la police et de la Sécurité nationale du ministère de l'Intérieur ont arrêté arbitrairement des dizaines, probablement des centaines, de personnes pour activisme pacifique, en faisant disparaître de force un grand nombre pendant des jours ou des semaines. Des agents de la Sécurité nationale ont également systématiquement exigé des activistes nouvellement libérés qu’ils se présentent régulièrement à leurs bureaux, en plus d'autres formes de coercition et de convocations extrajudiciaires. Le 1er février, la police a arrêté Ahmed Samir Santawy, un étudiant de l'Université d'Europe centrale, et l'a détenu au secret pendant cinq jours au cours desquels il a été roué de coups, selon son avocat.   

Les autorités ont omis d’enquêter sur les cas de torture et de mauvais traitements, qui restent répandus. Le 18 avril, des forces de sécurité ont arrêté la mère, le père ainsi que la sœur du dissident emprisonné Abdelrahman Gamal Metwally al-Showeikh après que sa famille a déposé une plainte pour torture et agression sexuelle présumées d'al-Showeikh dans une prison de Minya. Sa mère, Hoda Abdel Hamid, demeurait toujours en octobre en détention provisoire dans une prison du Caire, privée de voir sa famille ou ses avocats, après que les procureurs l'ont accusée de « propager de fausses informations » et d’ « adhérer à une organisation terroriste » à cause de la vidéo qu'elle a publiée sur Facebook détaillant la torture présumée de son fils.

Les forces de sécurité ont intimidé et harcelé les familles de dissidents vivant à l'étranger. Le 13 février, les autorités ont perquisitionné les domiciles de six membres de la famille élargie de Mohamed Soltan, un défenseur des droits humains basé aux États-Unis. Ils ont arrêté deux de ses cousins ainsi qu’un autre membre de sa famille à leur domicile. Ils ont été libérés cinq jours plus tard. Le père de Soltan, Salah, emprisonné depuis 2013 dans plusieurs affaires pour s'être opposé à la destitution militaire de l'ancien président Mohamed Morsy, est détenu au secret depuis juin 2020 en représailles au plaidoyer en faveur des droits humains mené par Mohamed Soltan à Washington.    

Ces dernières années, des membres de  l'Agence nationale de sécurité ont tué des dizaines de « terroristes » présumés à travers le pays lors d'exécutions extrajudiciaires que les autorités ont qualifiées de « fusillades ». Un rapport de Human Rights Watch publié en septembre 2021 a révélé que les présumés militants armés tués ne représentaient aucun danger imminent pour les forces de sécurité ou d'autres personnes lorsqu'ils ont été tués et que, dans de nombreux cas, ils avaient déjà été en détention.      

L'armée a continué d'imposer de sévères restrictions à la liberté de mouvement dans le Sinaï Nord, où l'armée combat depuis des années le groupe armé Wilayat Sina', une filiale de l'État islamique. Malgré une diminution apparente des attaques violentes par des militants armés, l'armée a démoli des centaines de maisons et rasé la plupart des terres agricoles du gouvernorat. Le gouvernement a omis d’indemniser les milliers de personnes dont les maisons et les moyens de subsistance ont été détruits au nom de la création de zones tampons. Les démolitions massives, dont plus de 12 300 bâtiments, sont susceptibles de constituer des crimes de guerre, sans preuve dans de nombreux cas d'une nécessité militaire « absolue ».     

Le président al-Sissi a publié un décret le 2 octobre transférant des pouvoirs incontrôlés au ministère de la Défense dans le Sinaï Nord, notamment le pouvoir d'expulser les habitants de n'importe quelle zone, d'imposer des couvre-feux et d'interdire les transports ou les communications. Le décret de six mois peut être renouvelé indéfiniment tant que le gouvernement revendique une menace « terroriste » continue.   

Conditions d’incarcération et décès en détention

Les conditions désastreuses dans les prisons et dans les centres de détention égyptiens sont restées à l'abri d'un contrôle indépendant. Les autorités ont régulièrement privé des détenus malades de l'accès à des soins de santé adéquats. Selon le Comité pour la justice, une organisation indépendante, 57 détenus, pour la plupart emprisonnés pour des motifs politiques, sont décédés en détention au cours des huit premiers mois de 2021.   

Le 25 juillet, la famille d'Abd al-Moniem Abu al-Fotouh, 69 ans, ancien candidat à la présidence et chef du parti Strong Egypt, a déclaré qu'il avait souffert de symptômes ressemblant à une crise cardiaque lors de son isolement prolongé à la prison de Tora, au Caire. Abu al-Fotouh, injustement détenu sans jugement depuis 2018, a subi plusieurs crises cardiaques en détention, selon les déclarations de sa famille, mais les autorités pénitentiaires ont rejeté leurs demandes de le faire admettre dans un hôpital. 

L’activiste éminent Alaa Abdel Fattah est en isolement cellulaire sans procès dans la prison de haute sécurité de Tora depuis septembre 2019. Sa famille a déclaré qu'un officier de l'Agence nationale de sécurité avait privé les prisonniers de visites, d'exercice, de soleil, ainsi que de livres et de journaux. En octobre, les autorités ont renvoyé Abdel Fattah ainsi que l'avocat des droits humains Mohamed al-Baqr à un procès dans une autre affaire pour « diffusion de fausses informations » devant une cour de sûreté de l'État d'exception.  

Le 15 septembre, le président al-Sissi a déclaré que le gouvernement inaugurerait bientôt le plus grand complexe pénitentiaire d'Égypte, qu'il a décrit comme construit selon un « modèle américain ». L’organisation indépendante We Record a rapporté en octobre que le nouveau complexe, au nord-ouest du Caire, aura une capacité supérieure à 30 000 prisonniers.   

Procès équitables, procédure régulière, peine de mort    

En 2021, l'Égypte a continué d'intensifier son recours à la peine de mort et aux exécutions, dans de nombreux cas à la suite de procédures inéquitables et de procès de masse. Le Front égyptien pour les droits humains a déclaré qu'au cours des six premiers mois de 2021, les autorités ont exécuté 80 personnes, dont environ la moitié dans des cas de violence politique présumée. Amnesty International a indiqué que l'Égypte se classait au troisième rang mondial pour le nombre d'exécutions. Le 14 juin, la Cour de cassation, la plus haute cour d'appel d'Égypte, a confirmé les condamnations à mort de 12 dirigeants, membres et sympathisants des Frères musulmans, ainsi que de longues peines de prison pour des centaines d'autres condamnés lors d'un procès collectif inique de plus de 700 dissidents, dont 22 enfants, accusés d'avoir participé au sit-in de Rab'a en 2013 qui s'est opposé à l'éviction militaire du président Mohamed Morsy.    

Les autorités ont eu de plus en plus recours aux tribunaux d’exception de sûreté de l’État, dont les décisions ne sont pas susceptibles d'appel, pour poursuivre les dissidents. Le gouvernement de l'ancien président Hosni Moubarak les avait abolis en 2007, mais le gouvernement d'al-Sissi les a rétablis en 2017.

Selon les avocats et les familles des détenus, les juges et les procureurs ont régulièrement placé des milliers de suspects en détention provisoire sans présenter de preuves, souvent lors de brèves audiences qui ne leur ont pas permis de présenter une défense. Même lorsque les tribunaux ont ordonné la libération de détenus, les procureurs suprêmes de la Sûreté de l'État les ont régulièrement ajoutés à de nouvelles affaires portant les mêmes charges afin de les détenir au-delà de la limite de deux ans de détention provisoire prévue par la loi égyptienne. 

Liberté d'association et attaques contre les défenseurs des droits humains 

En janvier 2021, le gouvernement a publié des règlements d’application de la loi de 2019 sur les ONG,  confirmant son caractère restrictif ainsi que l'ingérence étendue du gouvernement. Les organisations non gouvernementales (ONG) existantes doivent s'enregistrer en vertu de la nouvelle loi d'ici janvier 2022, faute de quoi elles risquent d'être dissoutes.

Sous les pressions internationale et nationale, les autorités ont abandonné les enquêtes contre plusieurs organisations et défenseurs critiques dans l'affaire 173 de 2011, vieille de dix ans, dans laquelle des dizaines d'ONG ont été poursuivies pour avoir reçu des fonds étrangers. Cependant, les interdictions de voyager punitives et les gels d'avoirs n'ont pas été levés malgré les ordonnances du juge en août et septembre. Plusieurs autres organisations et membres du personnel restent accusés dans cette affaire, notamment Gamal Eid, directeur du Réseau arabe d'information sur les droits humains, et Hossam Bahgat, directeur de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne

En septembre, les autorités ont renvoyé à un procès devant une cour de sûreté de l'État d'exception Patrick Zaki, chercheur sur les droits des femmes à l'Initiative égyptienne pour les droits de la personne, pour « diffusion de fausses informations ». Les autorités le détenaient depuis février 2020 et des agents l'auraient torturé en détention.   

Toujours en septembre, un procès collectif a commencé devant une cour de sûreté de l'État d'exception qui comprenait l'avocat Ezzat Ghoniem, directeur de la Egyptian Coordination for Rights and Freedoms, et environ deux douzaines d’activistes que les autorités liaient au groupe, dont l'avocat Hoda Abdel Moniem et l’activiste Aisha al-Shater. Les forces de sécurité détiennent Ghoniem depuis mars 2018. Ces personnes font face à des accusations criminelles pour avoir rejoint et financé un groupe illégal, et pour « diffusion de fausses informations ».  

Les procès de Zaki, Ghoniem et des autres ont commencé la semaine même où le président al-Sissi a annoncé la « stratégie nationale » du gouvernement pour les droits humains et a affirmé que 2022 serait « l'année de la société civile ». 

Liberté d’expression

Les autorités ont libéré plusieurs journalistes détenus tels que Khaled Dawood et Esraa Abdel Fattah, mais en ont détenu d'autres. Le 22 février, des agents de la Sécurité nationale de l'aéroport du Caire ont arrêté le chroniqueur et journaliste Gamal al-Gamal, connu pour ses opinions critiques, et l'ont détenu au secret pendant cinq jours à son retour de Turquie. Les autorités l’ont libéré sans jugement en juillet.  

En mai, les autorités ont arrêté le journaliste chevronné Tawfiq Ghanim pour terrorisme. Il était toujours en détention provisoire au moment de la rédaction du présent rapport. En juillet, les autorités ont arrêté Abdel Nasser Salama, ancien rédacteur en chef du journal gouvernemental al-Ahram à la suite d'un article qu’il a publié sur sa page Facebook critiquant le président al-Sissi et l'appelant à démissionner.

Liberté de croyance

Les autorités ont arrêté des activistes indépendants travaillant sur la discrimination sociétale et gouvernementale contre la minorité chrétienne d'Égypte, comme Ramy Kamal, le chef de Maspero Youth for Human Rights. Il est détenu sans jugement depuis novembre 2019, accusé d'avoir rejoint et financé un « groupe terroriste ». 

L'Initiative égyptienne pour les droits de la personne a déclaré en octobre que depuis 2016, les autorités avaient approuvé la légalisation de seulement 1 958 églises et bâtiments de service parmi plus de 5 540 bâtiments de culte chrétiens qui n'ont pas de statut juridique approprié. Le gouvernement n'a également délivré aucune licence pour construire de nouvelles églises, sauf dans de nouvelles villes du désert qui sont soumises à des règles différentes.

Droits des femmes, identité de genre, orientation sexuelle  

En 2021, les tribunaux ont condamné au moins quatre femmes influenceuses des médias sociaux à deux et cinq ans de prison pour des infractions liées aux bonnes mœurs pour leurs vidéos et publications en ligne.   

Le 11 mai, le procureur général Hamada al-Sawy a déclaré que son bureau avait mis fin aux enquêtes sur l'affaire très médiatisée de viol collectif « Fairmont » de 2014 pour « preuves insuffisantes » et a ordonné la libération des quatre hommes accusés. Cela est intervenu après que les principaux témoins, qui se sont manifestés pour soutenir la survivante du viol en 2020, ont été illégalement arrêtés et que deux d'entre eux ont passé des mois en détention arbitraire. Au moment de la rédaction du présent rapport, les cinq témoins clés restent arbitrairement interdits de voyager à l'étranger malgré la clôture de l'affaire.   

Le 25 septembre, un tribunal pénal du gouvernorat d'al-Qaliubya a condamné un père et une infirmière respectivement à trois et dix ans de prison pour avoir pratiqué des mutilations génitales féminines (MGF) sur une jeune fille ayant entraîné une invalidité de longue durée. En mars, le parlement égyptien a amendé le code pénal pour imposer des peines plus sévères aux professionnels de la santé ainsi qu’aux autres personnes pratiquant des MGF. Les augmentations antérieures des peines n'ont guère réussi à endiguer la pratique des MGF, qui reste endémique.  

En mars, des femmes ont lancé la campagne sur les réseaux sociaux #GuardianshipIsMyRight pour s'opposer aux amendements à la loi sur le statut personnel, proposés par le gouvernement, qui auraient encore ajouté à une discrimination profondément enracinée à l’égard des femmes.     

Droits sociaux, économiques et à la santé  

Les autorités ont utilisé des lois antiterroristes abusives pour réprimer les entreprises et les travailleurs. Fin septembre, des agents de la Sécurité nationale ont arrêté trois travailleurs d'une usine d'appareils électriques dans l'ouest du Caire pour avoir participé à un sit-in. Les procureurs suprêmes de la Sûreté de l'État les ont libérés une semaine plus tard après avoir déposé des accusations de terrorisme contre eux, a rapporté le Centre indépendant des services syndicaux et ouvriers. Les autorités ont arrêté l'homme d'affaires bien connu Safwan Thabet en décembre 2020 et son fils, Seif Thabet, en février 2021, et les ont maintenus en détention provisoire dans des conditions s'apparentant à des actes de torture pour des motifs liés au terrorisme. La famille a expliqué que l’arrestation est intervenue après qu'ils ont refusé les demandes des agents de la Sécurité de renoncer au contrôle des actifs de leur entreprise.

Le plan du gouvernement pour le déploiement du vaccin Covid-19 qui a commencé en mars a été inefficace et vague. À la mi-octobre, environ 15 % de la population avait reçu une dose du vaccin malgré l'affirmation du gouvernement selon laquelle il disposait de millions de doses supplémentaires. Une étude citée par un rapport de la Banque mondiale, publiée en août, a révélé que les autorités égyptiennes sous-déclaraient les décès liés au Covid-19 par dizaines de milliers.  

La plupart des enfants égyptiens subissent des châtiments corporels à la maison ou à l'école. L'Égypte a promis d'interdire les châtiments corporels dans tous les contextes lors de son Examen périodique universel des Nations Unies en 2019, mais n'a pas révisé le code pénal ni d'autres lois qui exemptent cette pratique de sanctions.

Principaux acteurs internationaux

En 2021, deux facteurs majeurs ont inquiété le gouvernement égyptien : le changement d'administration aux États-Unis, et une condamnation commune attendue depuis longtemps du bilan de l'Égypte par 32 États au Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève en mars.

Bien que le président des États-Unis Joe Biden ait promis qu'il ne donnerait « plus de chèques en blanc » au président al-Sissi en septembre, son administration a débloqué 170 millions de dollars sur les 300 millions de dollars de financement militaire que le Congrès des États-Unis avait suspendus en attendant des améliorations en matière de droits humains. Les 130 millions de dollars restants seront débloqués en attendant des progrès sur des conditions non transparentes fixées par l'administration.  

Les États membres de l'Union européenne ont continué de citer l'Égypte dans leur déclaration conjointe au point 4 au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, mais les ventes d'armes, l'assistance militaire et le soutien politique ont continué d'être la règle au niveau bilatéral pour nombre de ces États. La négociation des priorités du partenariat UE-Égypte a été bloquée en raison de la résistance de l'Égypte à lier l'assistance à la situation des droits humains.

Le président français Emmanuel Macron a déclaré en décembre 2020 que son gouvernement ne conditionnerait pas les ventes d'armes à l'Égypte à l'amélioration des droits humains. En mai, le gouvernement français a annoncé une vente de 3,75 milliards d'euros (4,5 milliards de dollars US) de 30 avions de combat Rafale à l'Égypte, financée par des prêts français qui ajoutent au fardeau de la dette extérieure de l'Égypte.   

En octobre, un tribunal italien a suspendu le procès par contumace de quatre policiers égyptiens et agents de l'Agence nationale de sécurité inculpés par des procureurs italiens d'enlèvement et de torture de Guilio Regeni, un chercheur italien qui a été assassiné en Égypte en 2016, en raison du manque persistant de coopération de la part des autorités égyptiennes.