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Guinée

Événements de 2020

Des policiers font face à des partisans du chef de l’opposition guinéenne Cellou Dalein Diallo (non visibles sur la photo) à Conakry, en Guinée, le mercredi 21 octobre 2020. 

© 2020 AP Photo/Sadak Souici

La Guinée a organisé le 18 octobre une élection présidentielle qui a marqué l'aboutissement de mesures prises toute une année durant par le président sortant Alpha Condé pour s'assurer de briguer un troisième mandat. La période postélectorale a été entachée de violence, les forces de sécurité ayant tué au moins 12 personnes, dont deux enfants à Conakry, entre le 18 et le 23 octobre. Le 24 octobre, la commission électorale a annoncé que Condé avait remporté l’élection avec 59,5 % des voix. Le principal candidat de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, s’est proclamé vainqueur le 19 octobre, rejetant les résultats officiels le 24 octobre. Invoquant une fraude, Diallo a appelé à la tenue de manifestations de grande ampleur.

Le 22 mars, les Guinéens ont voté lors d’un référendum constitutionnel et d’élections législatives dont les résultats ont ouvert la voie à un troisième mandat pour le Président Condé, malgré la limite de deux mandats présidentiels fixée par la nouvelle constitution et le texte original de 2010. Ce scrutin controversé a donné lieu à des violences à Conakry et dans plusieurs autres villes, au moins 32 personnes ayant été tuées lors d’affrontements intercommunautaires à Nzérékoré, dans le sud-est de la Guinée. Pendant le week-end des élections législatives de mars et du référendum constitutionnel, l’accès aux réseaux sociaux a été sérieusement limité.

À l’approche des élections de mars et du scrutin présidentiel d’octobre, les forces de sécurité guinéennes ont souvent recouru à une force excessive et parfois meurtrière pour endiguer des manifestations par moments violentes menées par les opposants à une nouvelle constitution ; au moins 23 personnes auraient été tuées par les forces de sécurité. En outre, le gouvernement a arrêté et détenu de manière arbitraire des dizaines de dirigeants et membres du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de groupes de la société civile et de partis d’opposition s’élevant contre la nouvelle constitution.

Les membres des forces de sécurité ont continué de bénéficier d’une quasi-impunité pour leur recours excessif à la force et autres atteintes aux droits humains, la condamnation en 2019 d’un capitaine de police restant la seule condamnation connue d’un membre des forces de sécurité pour les dizaines de décès survenus lors de manifestations qui ont été recensés depuis l’arrivée au pouvoir de Condé en 2010. Le gouvernement n’a pas non plus respecté la date butoir qu’il s’était fixé pour juin concernant l’organisation d’un procès des auteurs présumés d’un massacre survenu dans un stade en 2009.                                                                                             

Covid-19

La Guinée a enregistré un nombre relativement faible de cas confirmés de Covid-19—10 901 cas au 9 octobre et 68 décès—même si, étant donné les capacités de dépistage limitées, le nombre d’infections est susceptible d’être bien plus élevé.

En mars, le Président Condé a décrété l’état d’urgence et annoncé une série de mesures pour freiner la propagation du virus provoquant le Covid-19, dont un couvre-feu, une interdiction concernant les rassemblements de grande ampleur, et des restrictions s’appliquant aux déplacements en dehors de Conakry. Le 12 mai, les forces de sécurité auraient tué sept personnes lors de manifestations parfois violentes contre les barrages routiers érigés pour contrôler la propagation du Covid-19 aux alentours de Conakry et à Kamsar, dans l’ouest de la Guinée.

Le gouvernement a fréquemment invoqué l’état d’urgence pour interdire les manifestations anti-constitution. Après qu’un porte-parole du FNDC eut annoncé de nouvelles manifestations contre la nouvelle constitution afin de marquer la fin du Ramadan le 21 mai, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile a déclaré qu’« aucun trouble à l’ordre public ne sera toléré » et que les manifestations visaient à « provoquer des affrontements avec les forces de l’ordre » et à « occasionner la propagation du Covid-19 ». Les autorités locales ont interdit une manifestation du FNDC prévue pour le 8 juillet, invoquant l’état d’urgence, puis en ont interdit une autre le 20 juillet, avançant des raisons de santé publique et le fait qu’aucune autorisation gouvernementale n’avait été demandée. Le gouvernement a interdit une autre manifestation du FNDC le 29 septembre, citant le début de la campagne présidentielle.

Les écoles ont fermé en raison de la pandémie pour une durée d’au moins trois mois, affectant environ 2,7 millions d’élèves.

Malgré le risque d’infections au Covid-19, les autorités n’ont pris aucune mesure pour réduire le grave problème de surpeuplement dans les prisons guinéennes, la prison centrale de Conakry, conçue pour 300 personnes, continuant d’abriter environ 1 500 détenus. Les autorités ont déclaré avoir enregistré 68 cas positifs au Covid-19 dans la prison centrale de Conakry en mai, ainsi que 28 dans la prison principale à Kindia.

Abus commis par les forces de sécurité

Les forces de sécurité ont fréquemment recouru à une force excessive voire meurtrière en dispersant des manifestations, et en réponse à la violence manifestée par des protestataires. Lors de manifestations de l’opposition en janvier, des vidéos circulant sur les réseaux sociaux et que des journalistes internationales ont vérifiées ont montré des membres des forces de sécurité en train de tirer en direction de manifestants, de rouer de coups un homme âgé et de se servir d’une femme comme bouclier humain pour se protéger des pierres que leur lançaient les manifestants.

Les affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants de l’opposition, ainsi qu’entre l’opposition et les partisans du gouvernement, se sont intensifiés le week-end des élections législatives et du référendum constitutionnel du 22 mars. Plusieurs bureaux de vote ont été attaqués par des manifestants, tandis que des groupes de défense des droits humains ont signalé que les forces de sécurité avaient tué neuf personnes par balles. Deux autres auraient été tuées après avoir été renversées par des véhicules appartenant aux forces de sécurité. Dans certains cas, des partisans du gouvernement ont également attaqué des manifestants de l’opposition et des journalistes.

Les forces de sécurité déployées à Nzérékoré pendant le scrutin de mars n’ont pas protégé la population de la violence électorale et intercommunautaire et ont aussi commis des atteintes aux droits humains, notamment des mises en détention illégales et arbitraires et un recours excessif à la force.

Si les élections du mois d’octobre se sont largement déroulées dans le calme, la déclaration de victoire de Diallo et l’annonce des résultats préliminaires par la Commission électorale nationale qui s’en est suivie ont entraîné des affrontements entre partisans de Condé et sympathisants de l’opposition dans plusieurs quartiers de Conakry, ainsi que des heurts entre manifestants et forces de sécurité. Des policiers et des gendarmes ont fréquemment recouru à une force excessive et parfois meurtrière à l’encontre des manifestants, notamment en tirant à balles réelles. Ils ont tué au moins 12 personnes à Conakry, dont deux enfants, entre le 18 et le 23 octobre.

Violence intercommunautaire

À Nzérékoré, dans la région de la Guinée forestière, les tensions apparues le jour du scrutin ont ravivé d’anciennes divisions intercommunautaires, entraînant des affrontements violents qui ont fait au moins 32 morts et 90 blessés ; des dizaines de foyers, de commerces et d’églises ont également été détruits ou endommagés.

Les violences ont souvent été  commises selon des critères ethniques, des membres armés de l’ethnie Guerzé, groupe ethnique considéré comme proche de l’opposition, ayant affronté des membres également armés des ethnies Konianké et Malinké, largement perçues comme sympathisantes du parti au pouvoir. Certaines victimes auraient été prises pour cible en raison de leur identité ethnique. De nombreuses personnes ont été abattues, tuées à coups de machette ou battues à mort, et au moins une a été brûlée vive.

Les corps de plus de 24 personnes tuées lors de ces violences ont été retirés de l’hôpital régional de Nzérékoré et enterrés secrètement dans une fosse commune.

Arrestations et mises en détention arbitraires

Les 11 et 12 février, soit avant et pendant des manifestations du FNDC, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement 40 personnes à Conakry et les ont conduites dans une base militaire à Soronkoni, dans l’est de la Guinée. Elles ont été détenues au secret et ce n’est que le 28 mars que les autorités ont reconnu leur détention, relâchant 36 personnes et en transférant quatre autres vers la prison centrale de Conakry.

Le 6 mars, les forces de sécurité ont arrêté deux dirigeants du FNDC, Sékou Koundouno et Ibrahima Diallo, et les ont détenus pendant une semaine sans accès à leurs avocats. Ils ont été libérés sous caution le 13 mars, et la cour d’appel de Conakry a prononcé un non-lieu le 15 juillet.

Le 17 avril, la police a procédé à l’arrestation d’Oumar Sylla, un dirigeant du FNDC, et l’a détenu sans inculpation jusqu’au 24 avril, date à laquelle il a été accusé de disséminer de fausses informations. Il a été libéré le 27 août, les juges rejetant les charges portées contre lui, mais il a été de nouveau arrêté le 29 septembre après avoir lancé un appel à manifester. Le 7 mai, le directeur juridique du FNDC, Saïkou Yaya Diallo, a été arrêté à Conakry pour le rôle qu’il aurait joué dans la détention provisoire d’un informateur du gouvernement. Au moment de la rédaction des présentes, il se trouvait toujours en détention tandis que son procès se poursuivait.

Pendant les violences électorales du mois de mars à Nzérékoré, des dizaines de personnes arrêtées ont été détenues illégalement pendant plusieurs jours au camp militaire de Beyanzin, où certaines d’entre elles ont été passées à tabac, gardées dans des conditions inhumaines et privées de nourriture et d’eau. Quarante-trois d’entre elles ont ensuite été transférées vers une prison à Kankan, à près de 400 kilomètres de Nzérékoré. Trente-cinq ont été libérées le 28 septembre, mais huit restaient en détention au moment de la rédaction des présentes.

Obligation de rendre des comptes pour les abus graves

Le système judiciaire a continué d’afficher différentes faiblesses, notamment l’inadéquation des salles de tribunal et d’autres infrastructures physiques, ainsi qu’un manque de personnel et de ressources pour enquêter sur les atteintes aux droits humains et autres délits et poursuivre leurs auteurs en justice.

Bien que le gouvernement ait annoncé l’ouverture d’enquêtes sur les présumées exactions commises par les forces de sécurité lors des manifestations—y compris l’instauration d’un panel de juges chargé d’enquêter sur les « provocations, exactions et destructions graves » commises à Conakry lors des élections de mars—, un manque de volonté politique, des capacités d’enquête limitées et la réticence des témoins à se présenter aux autorités ont fait qu’à l’issue de la plupart des enquêtes, rares sont les charges qui ont été retenues contre des membres des forces de sécurité. Le procès de plusieurs officiers de police accusés de s’être servis d’une femme comme bouclier humain pour se protéger des manifestants en janvier a certes démarré le 18 mars mais il n’a pas été conclu.

Onze ans après que des membres des forces de sécurité avaient massacré plus de 150 sympathisants pacifiques de l’opposition et violé des dizaines de femmes dans un stade le 28 septembre 2009, les responsables n’ont toujours pas été jugés. Le ministre de la Justice de l’époque, Mohammed Lamine Fofana, a déclaré en novembre 2019 que le procès aurait lieu au plus tard en juin 2020 et, le 13 janvier, le gouvernement a commencé les travaux de construction d’une salle d’audience pour que le procès puisse s’y tenir.

La Cour pénale internationale, qui assure un examen préliminaire continu du massacre de 2009, a salué le début des travaux et exhorté le gouvernement à respecter l’échéance du mois de juin. M. Fofana a toutefois été remplacé en juin par un nouveau ministre, Mory Doumbouya, et le procès n’avait toujours pas démarré au moment de la rédaction des présentes. Le 6 octobre, le Président Condé a déclaré que le gouvernement comptait bien construire le bâtiment pour le procès. Cinq personnes inculpées dans cette affaire se trouvent en détention au-delà de la limite légale en attendant le démarrage de la procédure.

Ressources naturelles

Les ressources naturelles de la Guinée, notamment la bauxite et l’or, ont continué de jouer un rôle central pour l’économie du pays. Le secteur de la bauxite a poursuivi son expansion rapide dans les régions de Boké et de Boffa, et des milliers d’agriculteurs ont perdu leurs terres à cause de l’exploitation minière, souvent avec un dédommagement insuffisant, et les sources hydriques vitales pour la région ont été endommagées. Le 4 juin, le gouvernement guinéen a confirmé la signature d’un accord avec un consortium chinois afin d’exploiter la moitié du gigantesque gisement de minerai de fer de Simandou, dans le sud-est de la Guinée. Par le passé, ce consortium, qui est déjà le premier exportateur d’aluminium de la Guinée, n’a pas respecté les normes internationales environnementales et en matière de droits humains.

Le gouvernement a démarré une seconde série de réinstallations de villages afin de pouvoir accueillir le barrage hydroélectrique de Souapiti, programme qui en tout devrait conduire au déplacement de 16 000 personnes. Plus de 10 000 personnes déplacées en 2019 n’ont toujours pas reçu d’autres terres agraires ou une aide pour trouver de nouveaux moyens de subsistance et elles peinent à accéder à une nourriture adéquate et à d’autres produits de première nécessité.

Principaux acteurs internationaux

Le 2 octobre, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine et les Nations Unies ont demandé aux forces de sécurité guinéennes d’« éviter le recours excessif à la force » pendant l’élection présidentielle et exhorté les autorités à sécuriser le scrutin dans le « respect des droits humains ». L’Union européenne et les États-Unis ont condamné la violence et les meurtres qui se sont produits pendant les élections de mars et appelé au respect de la liberté de rassemblement à l’approche de la présidentielle.

Le 9 octobre, la Procureure de la Cour pénale internationale a condamné les « propos incendiaires » qui ont contribué à « exacerber les tensions ethniques » à la veille de l’élection présidentielle. Elle a également réclamé l’organisation rapide d’un procès relatif au massacre du stade de septembre 2009. Le 25 septembre, l’UE, lest États-Unis et la France ont également demandé à la Guinée de « tenir un procès dans les plus brefs délais » pour ce massacre.

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