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Mauritanie

Événements de 2018

Des citoyens mauritaniens attendent leur tour pour voter, devant un bureau de vote à Nouakchott, lors du premier tour des élections législatives, le 1er septembre 2018.

© 2018 Ahmed Ould Mohamed Ould Elhadj/AFP/Getty Images

Les autorités mauritaniennes ont restreint la liberté d’expression et de réunion, particulièrement lorsque des activistes indépendants protestaient contre le racisme et la discrimination ethnique, la persistance de l’esclavage et d’autres sujets sensibles. Elles ont emprisonné des activistes sur la base d’accusations peu crédibles et refusé de libérer le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir alors qu’il a déjà purgé sa peine pour blasphème. Le sénateur d’opposition Mohamed Ould Ghadda a passé la plus grande partie de l’année 2018 en détention préventive sur la base de vagues accusations de corruption.

L’esclavage a décliné, mais n’a pas été entièrement éliminé.

Outre les pressions sociales, diverses politiques et lois nationales qui pénalisent l’adultère et les crimes de moralité font qu’il est difficile et risqué pour les femmes de dénoncer les agressions sexuelles à la police, ce qui les rend vulnérables à la violence liée au genre.

Les lois mauritaniennes infligent la peine de mort pour diverses infractions, y compris, sous certaines conditions, le blasphème, l’adultère et l’homosexualité. Un moratoire de fait demeure en vigueur sur la peine capitale et les châtiments corporels qui sont inspirés de la charia islamique et présents dans le code pénal.

Liberté d’expression

Des médias locaux en ligne produisent divers points de vue et reportages, critiquant parfois de façon virulente le président Mohamed Ould Abdel Aziz, qui termine son second mandant en 2019 – d’où les spéculations sur la possibilité qu’il vise un amendement constitutionnel ou une autre disposition qui lui permettrait de rester au pouvoir. Pourtant les procureurs se servent d’une législation répressive, notamment la pénalisation de la diffamation et les définitions très larges du terrorisme et de l’« incitation à la haine raciale », afin de censurer et poursuivre les opposants pour des discours non violents.  Une nouvelle loi antidiscrimination adoptée en 2017 est venue s’ajouter à cet arsenal. Son article 10 énonce : « Quiconque encourage un discours incendiaire contre le rite officiel de la République islamique de Mauritanie sera puni d’un à cinq ans d’emprisonnement. »

En novembre 2017, une cour d’appel a réduit la condamnation pour blasphème contre le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkhaitir, lui infligeant deux ans de prison au lieu de la peine capitale, estimant qu’il s’était suffisamment « repenti » pour pouvoir bénéficier de cette peine plus légère. L’infraction de Mkhaitir consistait en un article où il avançait que ses compatriotes ne devraient pas se servir de la discrimination que le prophète Mohammed a, dit-on, pratiquée pour justifier leur propre discrimination à l’égard des groupes vulnérables, dont la caste des m’alimine, à laquelle Mkhaitir appartient. Puisqu’il était emprisonné depuis son arrestation en janvier 2014, la cour d’appel aurait dû faire libérer Mkhaitir juste après avoir réduit sa peine.

Pourtant, les autorités le détiennent depuis lors dans un lieu tenu secret, bien que sa santé soit déclinante et que plusieurs pays aient offert de lui accorder l’asile politique. Mkhaitir serait « en détention administrative pour sa propre sécurité », ont déclaré les autorités à un comité des Nations Unies le 2 mai, faisant apparemment allusion aux manifestations de rue lors desquelles certains Mauritaniens ont réclamé son exécution.

Le 27 avril, l’Assemblée nationale votait pour rendre la peine de mort obligatoire pour quiconque est reconnu coupable de « discours blasphématoire ». Ce durcissement des peines semblait survenir en réaction à la réduction de la condamnation de Mkhaitir en appel.

Le 7 août, les autorités ont arrêté Biram Dah Abeid, le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une association qui lutte contre l’esclavage. Cet activiste, qui alors qu’il était en prison a remporté un siège à l’Assemblée nationale lors des élections de 2018, demeurait en détention provisoire au moment de la rédaction de ce rapport, inculpé pour avoir soi-disant insulté et menacé un journaliste. 

L’activiste Abdallahi Yali est lui aussi emprisonné depuis janvier 2017. Il fait l'objet d’un procès qui s’est ouvert le 29 octobre 2018 pour incitation à la violence et à la haine raciale, en vertu du code pénal, de la loi antiterrorisme et de la loi sur la cybercriminalité. Le fondement de ces chefs d’inculpation est à chercher dans des messages WhatsApp où Yali appelait les Haratines, l’ethnie dont il fait partie, à résister à la discrimination et à réclamer le respect de leurs droits. Les Haratines, des arabophones à la peau sombre qui descendent d’esclaves, constituent un des groupes ethniques les plus importants de Mauritanie.

Liberté d’association

La loi sur les associations de 1964 exige que les associations obtiennent l’autorisation d’opérer légalement et permet au ministère de l’Intérieur de refuser cette autorisation en invoquant des motifs vagues tels qu’une « propagande antinationale » ou une « influence fâcheuse sur l’esprit des populations ». Le ministère a ainsi refusé la reconnaissance légale à plusieurs associations qui font campagne sur des sujets controversés, telles que l’IRA et « Touche pas à ma nationalité », qui accuse le gouvernement de discriminer les personnes noires lors du processus d’enregistrement à l’état civil.

En juillet, les activistes de l’IRA Abdallahi Saleck et Moussa Bilal Biram ont terminé de purger leur peine de deux ans de prison. Ils étaient les derniers de 13 membres de l’IRA à être libérés après avoir été condamnés, lors d’un procès inique, pour leur rôle supposé dans les violences qui avaient éclaté lorsque la police a tenté de démanteler un camp informel à Nouakchott en 2016. La cour d’appel a décidé que Saleck et Biram étaient coupables d’incitation à un rassemblement illégal et de gestion d’une association non reconnue.

Le 22 juillet, les autorités mauritaniennes ont bloqué le départ vers Genève de cinq activistes à la tête d’organisations de veuves et d’orphelins qui réclament que des comptes soient rendus sur la répression exercée par l’État à l’encontre d’Afro-Mauritaniens entre 1989 et 1991, et qui s’opposent à l’amnistie décrétée en 1993 par le gouvernement pour ces événements. Maimouna Alpha Sy, Aïssata Mamadou Anne, Aïssata Alassane, Diallo Yaya Sy et Baba Traoré devaient participer à l’examen du rapport périodique de la Mauritanie par le Comité des Nations Unies contre la torture.

Des représentants de Human Rights Watch se sont rendus en Mauritanie plusieurs fois en 2018 et y ont mené leurs recherches sans obstacles. Par contre ils n’ont pas réussi à obtenir du gouvernement la permission de tenir une conférence de presse dans un hôtel de Nouakchott en février, et ont dû la tenir dans les locaux d’une organisation locale.

Opposition politique

Au début de 2017, le sénateur Mohamed Ould Ghadda a aidé à tenir en échec une motion présentée au Sénat, soutenue par le président Abdel Aziz, demandant de dissoudre cet organe, c’est-à-dire la chambre haute du Parlement. En réaction, le président a appelé à un référendum pour supprimer cette chambre, ce à quoi Ghadda s’est également opposé. En août 2017, cinq jours après que les électeurs ont approuvé la suppression du Sénat, les autorités ont arrêté Ghadda, l’accusant d’avoir accepté des pots-de-vins de Mohamed Bouamatou, un financier exilé et détracteur du président. (Une fondation créée par Bouamatou, la Fondation pour l’Égalité des chances en Afrique, soutient le travail de Human Rights Watch.) En août 2018, les autorités ont libéré Ghadda après une année en détention préventive. Quatre mois plus tôt, le 25 avril, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a déterminé que la détention de Ghadda était arbitraire. Les poursuites contre lui sont toujours en instance.

Les autorités ont refusé de reconnaître légalement un parti politique, les Forces progressistes pour le changement, qui ne mâche pas ses mots sur le thème de la discrimination raciale. Le parti a fait appel de ce refus devant la Cour suprême en 2015, mais attend toujours qu’elle se prononce.

Esclavage

La Mauritanie a aboli l’esclavage en 1981 et l’a criminalisé en 2007. Le gouvernement soutient qu’il n’existe plus d’esclavage, mais seulement ses séquelles, notamment l’exclusion et la pauvreté extrême – des problèmes qu’il s’efforce de résoudre. L’Indice mondial de l’esclavage estime toutefois qu’il y a 90 000 esclaves en Mauritanie, soit 2 % de la population, y compris les personnes qui subissent des formes « modernes » de cette pratique, comme le travail forcé ou la servitude.

Trois tribunaux spéciaux poursuivent les crimes liés à l’esclavage, mais depuis leur création par une loi de 2015, ils n’ont jugé que quelques affaires. En mars 2018, on a rapporté que le tribunal spécial de Nouadhibou avait condamné un père et un fils à 20 ans de prison, et dans une affaire distincte, une femme à 10 ans, pour avoir réduit des personnes en esclavage.

Droits des femmes

En 2017, le Parlement adoptait une loi sur la santé reproductrice qui reconnaît qu’il s’agit d’un droit universel, tout en maintenant l’interdiction de l’avortement. Il a également adopté un Code général sur la protection de l’enfant, qui criminalise la mutilation génitale féminine.

En plus de la pression sociale qui les pousse à garder le silence, les femmes qui subissent des violences sexuelles font face à des obstacles institutionnels, notamment des procédures d’enquête policière et judiciaire qui ne tiennent pas compte de la question du genre. La loi mauritanienne ne définit pas suffisamment le crime de viol et les autres formes d’agression sexuelle, même si un projet de loi sur la violence liée au genre, contenant des définitions plus spécifiques, est en attente devant le Parlement. La criminalisation des relations sexuelles consensuelles entre adultes en dehors du mariage dissuade probablement les filles et les femmes de dénoncer les agressions, puisqu’elles peuvent se trouver elles-mêmes inculpées si la justice estime que l’acte sexuel en question était consensuel. En 2018, des femmes étaient en prison pour adultère alors qu’en fait elles avaient déclaré avoir été violées.

Les lois mauritaniennes sur le divorce, la garde des enfants et l’héritage sont discriminatoires envers les femmes.

Orientation sexuelle

L’article 308 du code pénal interdit les comportements homosexuels entre musulmans majeurs et les punit de mort s’il s’agit de deux hommes. On ne connaît aucun cas de personnes emprisonnées ou condamnées à mort en 2018 pour comportement homosexuel.

Enregistrement à l’état civil

La Mauritanie a continué à mettre en œuvre son processus national d’enregistrement biométrique à l’état civil pour tous ses citoyens et étrangers résidents. De nombreux citoyens, en particulier les plus pauvres et les moins éduqués, ont eu beaucoup de mal à remplir les lourdes conditions en ce qui concerne les documents à fournir. Certains disent avoir cessé d’essayer de s’enregistrer. Les écoles ont parfois empêché des enfants non enregistrés de s’inscrire, alors que l’instruction est obligatoire de 6 à 14 ans. Même lorsque les autorités éducatives autorisaient les élèves à s’inscrire, elles les empêchaient de passer les examens nationaux qu’ils doivent décrocher pour pouvoir aller plus loin, ce qui a poussé de nombreux d’entre eux à interrompre leur scolarité.

Principaux acteurs internationaux

La Mauritanie fait partie du G5 Sahel, une alliance de cinq pays qui coopèrent sur la sécurité, notamment la lutte contre le terrorisme. Le G5 a son quartier général à Nouakchott. La rencontre la plus significative du président Abdel Aziz avec un chef d’État occidental en 2018 a été lorsqu’il a reçu le président français Emmanuel Macron, les 2 et 3 juillet, à l’occasion d’un sommet du G5. Aucune annonce publique n’indiquait que les deux dirigeants aient évoqué des questions de droits humains.

Le 3 novembre, les États-Unis ont averti la Mauritanie qu’à compter de janvier 2019, elle perdrait les avantages des préférences commerciales dont elle bénéficiait en vertu de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). La Maison-Blanche a justifié cette décision en déclarant que « la Mauritanie a[vait] fait des progrès insuffisants pour combattre le travail forcé, en particulier la plaie qu’est l’esclavage héréditaire (...), [et] continu[ait] à restreindre la capacité de la société civile à travailler librement en faveur de la lutte contre l’esclavage ». En 2017, les États-Unis ont exporté vers la Mauritanie 128 millions USD de marchandises et importé du pays l’équivalent de 62 millions USD.

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