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Maroc/Sahara occidental

Événements de 2018

Des policiers anti-émeute à Jerada, au Maroc, le 27 décembre 2017, face à des manifestants protestant contre les conditions de leur emploi, suite à la mort de deux mineurs décédés alors qu'ils travaillaient dans une mine de charbon clandestine. 

© 2017 Reuters

Faisant preuve de plus en plus d'intolérance à l'égard de la contestation publique, les autorités marocaines ont réagi en mars à la manifestation dans la ville minière de Jerada par des semaines de répression, faisant usage d'une force excessive contre les manifestants et arrêtant des responsables de la manifestation, qui ont ensuite été condamnés à des mois de prison. En juin, un tribunal de Casablanca a condamné des leaders du « Hirak », un mouvement de protestation qui a manifesté régulièrement dans la région du Rif pendant des mois, à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison lors de procès inéquitables. Un tribunal a condamné un journaliste célèbre, critique à l’égard du gouvernement, à trois ans de prison pour un chef d’accusation douteux, alors qu'il purgeait déjà une peine pour incitation à des manifestations non autorisées. 

Bien que les représentants de Human Rights Watch aient pu opérer de manière relativement libre au Maroc et au Sahara occidental, les autorités ont continué tout au long de 2018 à restreindre les activités d’autres ONG, notamment la plus grande organisation indépendante de défense des droits humains au Maroc.

Les lois sur la violence à l'égard des femmes et sur le travail domestique sont entrées en vigueur à l'automne, offrant de protections nouvelles, mais limitées aux victimes de violence et d'abus. 

Liberté de réunion, violences policières et système pénal 

Le ministère des Droits de l’homme du Maroc a déclaré que les services de sécurité n’avaient dispersé que 3 % des 17 511 manifestations organisées au Maroc en 2017. Ces dispersions, selon le ministère, ont été menées d’une manière compatible avec « le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit ». Cependant, en 2017 et 2018, Human Rights Watch a documenté plusieurs cas de recours excessif à la force pour disperser des manifestations, ainsi que des arrestations de manifestants pacifiques pour des motifs tels que manifestation sans autorisation et agression de policiers.

Le Code de procédure pénale donne à tout accusé le droit de contacter un avocat après 24 heures de garde à vue, ce délai pouvant être prolongé à 36 heures. Toutefois, les détenus n'ont pas le droit d'être assistés d'un avocat lorsque la police les interroge ou leur présente leurs déclarations pour signature.

À partir du 14 mars, les autorités ont répondu à des manifestations socio-économiques dans la ville minière paupérisée de Jerada, dans le nord-est du pays, par une campagne de répression allant bien au-delà d'un effort visant à traduire en justice des manifestants considérés violents. Lors d’un incident filmé en vidéo, le 14 mars, un véhicule de la police a pris d'assaut une manifestation, heurtant Abdelmoula Zaiqer, âgé de 16 ans, et le blessant grièvement. Des agents de police sont entrés par effraction dans des maisons sans montrer de mandat, ont battu plusieurs hommes lors de leur arrestation et ont cassé portes et fenêtres, selon des activistes locaux et un avocat. Entre le 14 mars et le 31 mai, les autorités ont arrêté et mis en accusation au moins 69 manifestants à Jerada. Quatre leaders de la manifestation ont été condamnés à des peines allant de trois à neuf mois de prison. 

Le « Hirak », un mouvement de protestation socioéconomique né en 2016 dans la région du Rif,  avait organisé plusieurs grandes manifestations pacifiques jusqu’à ce qu’une vague de répression policière en mai 2017 se solde par l’arrestation de plus de 400 activistes. Cinquante-trois d’entre eux, dont les leaders du mouvement, ont été transférés dans une prison à Casablanca, où ils ont été jugés dans un procès collectif qui a duré plus d’un an. Le tribunal de première instance a rejeté les affirmations des accusés selon lesquels leurs aveux avaient été obtenus sous la torture et la contrainte, malgré des rapports médicaux apportant un certain soutien à leurs affirmations. Le 26 juin, le tribunal les a tous reconnus coupables. Parmi les chefs d’accusation, figuraient la rébellion, les violences contre les forces de police, l’organisation de manifestations non autorisées et la réception de fonds étrangers.Le tribunal les a condamnés à des peines allant d’un an à vingt ans de prison. 

En août 2018, le roi Mohammed VI a gracié 188 activistes du Hirak, dont 11 du groupe de Casablanca, mais parmi eux, aucun leader. Les procès en appel du groupe de Casablanca ont débuté le 14 novembre.

Le 25 septembre, les garde-côtes ont tiré sur un bateau en Méditerranée, tuant l'étudiante Hayat Belkacem, 20 ans, et blessant trois autres passagers, qui tentaient apparemment de migrer vers l'Europe. L’agence de presse marocaine a déclaré que les garde-côtes avaient ouvert le feu après que le bateau eut agi de manière « suspicieuse» dans les eaux marocaines et que le pilote ait désobéi aux ordres. Les autorités se sont engagées à enquêter sur le décès de Belkacem, mais elles n'avaient pas encore divulgué leurs conclusions au moment de la rédaction du présent document. 

Le 17 octobre, un tribunal de première instance de Tétouan a condamné Soufian al-Nguad, 28 ans, à deux ans de prison pour incitation à l'insurrection, propagation de la haine et insulte au drapeau et aux symboles du Maroc, après qu’il a critiqué les circonstances du décès de Belkacem sur Facebook et encouragé à manifester en protestation. 

Liberté d’association

Les autorités ont fréquemment empêché la tenue d’événements organisés par des sections locales de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), en refusant l’accès aux lieux prévus. Dans un cas typique, le 12 mars, les forces de sécurité dans la ville de Beni Mellal ont bloqué l’entrée d’un centre communautaire où la section locale avait planifié une conférence. Les autorités n’ont fourni aucune justification écrite pour cette interdiction. Entre janvier2017 et juillet 2018, 16 événements organisés par l’AMDH ont été annulés dans tout le Maroc, après que les autorités ont soit directement refusé l’accès aux participants, soit fait pression sur l’opérateur de la salle pour annuler l’événement, selon l’AMDH.

Le gouvernement a continué d’imposer une interdiction de facto, en vigueur depuis 2015, à l’égard des missions de recherche d'Amnesty International, en dépit d’un accès relativement libre de cette organisation au pays, depuis près de 25 ans. Les chercheurs de Human Rights Watch ont pu mener des missions de recherche en 2018 à Jerada et El-Ayoun au Sahara occidental, mais ont été fréquemment suivis par des voitures avec des hommes en civil à bord. 

Liberté d’expression

Le Code de la presse et de l’édition, adopté par le parlement en juillet 2016, élimine les peines de prison pour des délits liés à la liberté d’expression. Mais en même temps, le code pénal maintient les peines de prison pour plusieurs délits d'expression non-violente, dont le fait de « causer un préjudice » à l’Islam, à la monarchie, ou encore d’ « inciter contrel'intégrité territoriale », en référence à la revendication marocaine sur le Sahara occidental. 

Les autorités ont engagé des poursuites contre des journalistes et des activistes des médias sociaux pour des délits qui, bien que n’étant pas ostensiblement liés au journalisme, constituaient apparemment des représailles contre leurs prises de positions. 

Le 14 novembre, une cour d’appel de Salé, près de Rabat, a confirmé la peine de cinq ans de prison d’Elmortada Iamrachen, 32 ans, l’un des principaux porte-parole du mouvement de protestation « Hirak » du Rif. Un tribunal avait condamné Iamrachen en novembre 2017 pour incitation et apologie du terrorisme dans des publications Facebook, sur la base d'aveux à la police selon lesquels il avait cherché, à travers ces publications, à inciter les lecteurs à commettre des actes terroristes.Iamrachen a rejeté ces « aveux » peu de temps après les avoir signés, déclarant au tribunal qu’ils avaient été obtenus sous la contrainte.

Le 28 juin, un tribunal de première instance de Casablanca a condamné le journaliste HamidEl Mahdaoui à une peine de trois ans d’emprisonnement pour avoir omis de signaler une menace sécuritaire. La condamnation était basée sur un appel téléphonique qu’il avait reçu d’un homme disant vouloir déclencher un conflit armé auMaroc. Le tribunal a rejeté la principale ligne de défense d’El Mahdaoui, selon laquelle il avait conclu que les déclarations de son interlocuteur n’étaient que bavardage stérile. Critique connu à l’égard du gouvernement, El Mahdaoui purgeait déjà une peine d’un an de prison pour avoir « invité à participer à une manifestation interdite».

Sahara occidental

Le processus de négociation sous l'égide des Nations Unies entre le Maroc et le Front Polisario en vue de l'autodétermination du Sahara occidental, dont l’essentiel du territoire se trouve sous contrôle marocain de facto, est resté bloqué malgré les visites dans la région de Horst Kohler, envoyé du secrétaire général de l'ONU. Le Maroc propose une certaine autonomie sous sa domination mais rejette un référendum sur l'indépendance. 

Pendant plusieurs semaines en mars et en avril, puis de nouveau entre septembre et novembre, trois prisonniers condamnés à la prison à vie et un autre condamné à une peine de 30 ans, tous membres du groupe « Gdeim Izik », ont mené une grève de la faim dans la prison de Kenitra,réclamant d’être transférés dans des prisons plus proches de leurs familles au Sahara occidental, à environ 1 200 kilomètres au sud. Leur demande n'était pas encore satisfaite au moment de la rédaction du présent document. De même qu’une vingtaine de leurs co-accusés, les trois hommes ont été condamnés à l'issue de procès inéquitables en 2013 et 2017 pour responsabilité dans la mort de 11 membres des forces de sécurité, lors d'affrontements ayant éclaté après le démantèlement forcé par les autorités d'un vaste camp de manifestants à Gdeim Izik, au Sahara occidental, en 2010. Les deux tribunaux se sont fondés presque entièrement sur leurs aveux à la police pour les condamner, même si les accusés ont désavoué ces aveux et affirmé les avoir signés sous la torture sans avoir été autorisés à les lire.

Au Sahara occidental, les autorités marocaines ont systématiquement empêché les rassemblements en faveur de l'autodétermination, et ont fait obstruction au travail de certaines ONG locales des droits humains, notamment en bloquant leur enregistrement légal. Elles ont aussi parfois battu des activistes et des journalistes, en détention ou dans les rues.

Le 28 juin, des militants indépendantistes ont organisé une manifestation à El-Ayoun à l'occasion de la visite de l'envoyé de l'ONU. La police a battu au moins sept militants, dont des membres de l'Association sahraouie des victimes de graves violations des droits humains commises par l'État marocain (ASVDH) – selon l'ASVDH, qui a porté plainte auprès du procureur d'El-Ayoun. À la connaissance de Human Right Watch, aucune enquête n’a été ouverte.

Le 25 juin, Mohamed Salem Mayara et Mohamed El Joumayi, deux journalistes du site Web Smara News et correspondants de la chaîne de télévision pro-Polisario RASD TV, ont été accusés d'avoir jeté des pierres et bloqué une rue.Les accusations ont été portées plusieurs mois après la publication de photos d'un policier brandissant son arme dans la ville de Smara, au Sahara occidental. La police a arrêté Mayara et El Joumayi le 27 mars à Smara, puis le même policier les a battus dans une camionnette alors qu'ils se rendaient à El-Ayoun, selon ce qu’a déclaré leur avocat, Mohamed Aboukhaled, à Human Rights Watch. Au moment de la rédaction du présent document, ils étaient toujours en détention tandis que leur procès se poursuivait. 

Migrants et réfugiés

Le gouvernement n’a pas encore adopté un projet de loi sur le droit d'asile, premier du genre au Maroc. Entre 2013 et 2017, une commission marocaine interministérielle ad hoc a délivré des cartes de réfugiés ainsi que des permis de résidence d’une année renouvelable à 745 personnes, d’origine sub-saharienne pour la plupart, reconnues comme réfugiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Depuis lors, le Maroc a autorisé 1 106 autres réfugiés reconnus par le HCR à avoir accès à des services publics de base, tels que l'éducation et la santé, mais ne leur a pas donné le droit de travailler légalement. 

En septembre, Amnesty International a signalé une « répression à grande échelle de milliers de migrants, demandeurs d'asile et réfugiés subsahariens sans procédure régulière ». L’organisation a déclaré que les forces de sécurité ont effectué des raids dans plusieurs villes des provinces de Tanger, Nador et Tétouan, dans le nord du pays. Elles ont rassemblé des ressortissants subsahariens, les ont emmenés dans des villes de l'intérieur où elles les ont libérés.

Droits des femmes et des filles

Le Code de la famille de 2004 contient des dispositions discriminatoires pour les femmes en matière de succession et de procédures de divorce. Il fixe à 18 ans l’âge minimum du mariage mais permet aux juges de marier les enfants avant cet âge dans certaines circonstances. Les juges permettent de tels mariages régulièrement.

La pénalisation de l'adultère et des relations sexuelles entre personnes non mariées a un impact discriminatoire en matière de genre, les victimes de viol risquant ainsi de faire l’objet de poursuites si leurs accusations ne sont pas maintenues. Les femmes et les filles font également l'objet de poursuites en cas de grossesse et d'accouchement hors mariage.

Une nouvelle loi sur les violences faites aux femmes, adoptée le 14 février, est entrée en vigueur six mois plus tard. Cette loi criminalise certaines formes de violence domestique, établit des mesures de prévention et offre de nouvelles protections aux victimes. Mais elle n’énonce pas les obligations de la police, des procureurs et des juges d’instruction dans les affaires de violence conjugale, ni ne finance des centres d’hébergement pour femmes. 

Employé(e)s domestiques

Une loi de 2016 sur les droits des travailleurs domestiques est entrée en vigueur le 2 octobre. Cette loi offre aux employé(e)s domestiques des protections nouvelles, quoique limitées.  Elle exige des contrats écrits pour les employé(e)s domestiques, fixe à 18 ans l'âge minimum pour un tel emploi (après une période de transition de cinq ans au cours de laquelle les jeunes de 16 et 17 ans pourront travailler), limite les heures de travail hebdomadaires, garantit un jour de repos hebdomadaire et des congés payés, et fixe un salaire minimum. Elle prévoit des sanctions financières pour les employeurs qui ne respectent pas la loi, et des peines de prison pour les récidivistes.La loi est désormais entrée en vigueur, mais les autorités doivent encore mettre en place des mécanismes de mise en œuvre adéquats, pour que les employé(e)s domestiques puissent exercer leurs droits.

Orientation sexuelle et identité de genre

Le code pénal du Maroc est toujours discriminatoire envers les personnes LGBT. L’article 489 du code pénal prévoit des peines de prison de six mois à trois ans pour tout « acte impudique ou contre nature avec un individu du même sexe».

Principaux acteurs internationaux

En contrepoint des efforts du Maroc pour obtenir la reconnaissance internationale de son annexion unilatérale du Sahara occidental, la Cour de justice de l’Union européenne a conclu le 27 février que l’accord sur la pêche entre le Maroc et l’Union européenne ne s’appliquait pas aux eaux situées au large du Sahara occidental, en raison du statut séparé et distinct garanti à ce territoire par l’ONU. 

Deux nouveaux accords UE-Maroc, élaborés en réponse à la décision et faisant allusion aux «bénéfices pour la population du Sahara occidental et [à] la consultation de cette population », sont en attente de votes des parlements de l'Union Européenne et du Maroc.

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